Lionel Tran: Nous avons fait découvrir aux gens "Une trop bruyante solitude" de Bohumil Hrabal

Bohumil Hrabal
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Avez-vous lu "Une trop bruyante solitude", roman du Tchèque Bohumil Hrabal traduit en français par François Kérel? Si vous ne le connaissez pas encore, ce qui est bien dommage d'ailleurs, vous avez maintenant la possibilité de le connaître grâce à la bande dessinée qui en été tirée par un trio d'artistes français, Lionel Tran, Ambre et Valérie Berge. Le roman, en partie autobiographique, raconte la vie d'un homme nommé Hanta qui travaille dans un centre de collecte de vieux papiers, où il broie à l'aide d'une vieille presse mécanique les livres condamnés au pilon par la censure communiste.

Fascinés par ce livre drôle, grinçant et tragique sur un monde voué à sa perte, les trois artistes ont créé un album de dessins évoquant certains aspects du roman de Bohumil Hrabal. L'année dernière, ils sont venus à Prague pour présenter deux expositions sur leur oeuvre. Ils ont fini par attirer l'attention des responsables de la maison d'éditions tchèque Mata, qui ont décidé de faire traduire l'album en tchèque et de le publier.

Aujourd'hui, c'est chose faite et la bande dessinée "Une trop bruyante solitude" existe donc en deux versions, française et tchèque. Lionel Tran, auteur des textes, retrace les étapes principales de la réalisation de ce projet:

"Lorsque nous avons présenté l'album en français au monastère de Strahov, l'année dernière, ainsi que l'exposition qui l'avait accompagné, nous avons rencontré les représentants de la maison d'édition Mata qui nous ont dit qu'ils étaient intéressés pour faire une version tchèque de cet album. Cela nous intéressait parce que ce n'était pas un éditeur spécialisé dans la bande dessinée, mais un éditeur littéraire. Notre travail d'adaptation a toujours voulu être très, très proche du roman de Hrabal. Donc, la rencontre s'est faite, et après il y a eu un long travail de retraduction de notre album qui est très très dense au niveau de la langue."

Vous vous êtes basé sur la traduction française du livre. Comment a-t-on procédé pour rédiger les textes tchèques?

"La traductrice, qui s'appelle Renata Sagetova et qui est une étudiante tchèque qui vit en France à Lyon, a fait une première traduction, d'après la version française. Ils se trouve qu'elle ne connaissait pas le texte tchèque du roman « Une trop bruyante solitude ». Après cette première traduction, elle a fait trois jets de traduction d'après trois versions différentes du roman "Une trop bruyante solitude" qui nous ont été confiées par le PNP (Musée de littérature nationale) et une version différente qui a été mise à notre disposition par les éditions Mata, qui ont fait retravailler le texte pour qu'il colle au plus près à la langue de Hrabal. "

Etes-vous content de l'impression et de la présentation de la version tchèque du livre?

"Le livre est très beau et il s'accompagne d'une chose dont nous sommes très fiers, d'une réédition du roman de Bohumil Hrabal qui est illustrée des images extraites de notre album. Cela, c'était très important pour nous. Comme je vous l'avais dit l'année dernière, quand l'album de bande dessinée a été édité en France, les gens qui l'ont découvert ont eu l'envie de lire le roman. Nous avons donc aidé à faire découvrir le roman à des gens qui ne le connaissaient pas, notamment à la jeune génération. Et le fait que le roman de Hrabal soit réédité par Mata alors qu'il n'était plus disponible est vraiment important pour nous. Aujourd'hui, dans la dédicace, je vois des gens qui sont autant intéressés par notre album et qui découvrent ce texte, qui n'est pas le roman de Hrabal le plus connu en République tchèque. Alors que c'est pour nous un de ses meilleurs textes et que mondialement, c'est une de ses oeuvres les plus connues. Alors, on est donc très, très fiers de ces deux actions, de ces deux éditions conjointes."

Hrabal a écrit encore beaucoup d'autres romans, par exemple, "Trains étroitement suivis", "Moi qui ai servi le roi d'Angleterre", ou "La chevelure sacrifiée". N'avez-vous pas envie de continuer dans cette voie, de faire une autre bande dessinée basée sur un roman de Hrabal?

"Peut-être un jour nous reviendrons sur l'oeuvre de Hrabal, peut-être nous pourrions nous intéresser à "Moi qui ai servi le roi d'Angleterre". Pour l'instant, nous travaillons très lentement. Avec tout l'investissement qu'il y a eu pour créer toute la scénographie autour de la bande dessinée, cela a été cinq ans de notre vie. Maintenant nous avons besoin de la distance, mais par contre en faisant "Une trop bruyante solitude" nous avons surtout conservé les éléments dramatiques, la dureté de ce que raconte Hrabal, puisque c'est un roman sur la perte d'un monde. Je pense que c'est un roman qui peut faire écho aujourd'hui et c'est pour cela qu'il est traduit dans autant de pays. Mais au passage nous avons laissé délibérément de côté l'humour de Hrabal. Et ces jours-ci à Prague nous avons commencé avec Ambre à travailler sur un projet de faire un album beaucoup plus humoristique. Ce ne sera pas une adaptation de Hrabal mais le fait que nous ayons laissé de côté son humour, nous a chagriné. Cela fait qu'aujourd'hui nous avons tous les deux envie de faire de l'humour, de retourner un peu à la folie de Hrabal dans un champ artistique libre."


Les images créées par le dessinateur Ambre sont un voyage dans un monde de vieilles usines, théâtre des vies et du travail d'innombrables ouvriers, paysage industriel qui doit céder la place à l'univers sophistiqué de nouvelles technologies. C'est dans ce décor nostalgique et désuet que se joue le drame de la vie de Hanta, personnage principal du roman.Le dessinateur Ambre précise :

"On a souligné le côté dramatique de Hrabal. C'était un peu notre voie, notre "chemin de fer"."

Vous avez donc évincé l'humour de Hrabal?

"On a renoncé. On avait peur de le trahir. Et puis on ne peut pas tout montrer. Dans une adaptation, on ne peut pas prendre et montrer tout ce qu'une oeuvre dit. On est obligé de choisir un peu. On a dû donc laisser de côté les choses que nous aimons mais on avait peur de trop en dire, de le trahir, de le faire mal."

Etes-vous content du résultat de votre travail?

"De toute façon, c'est très difficile d'avoir un avis objectif sur son travail. Pour moi c'est le travail le plus abouti que j'ai pu faire graphiquement jusqu'à maintenant. Et c'est même très difficile pour moi de sortir de ce travail pour faire autre chose.

Aimeriez-vous continuer dans cette voie, et faire une bande dessinée basée sur un autre roman de Hrabal?

"Non, je crois que ce serait faux pour nous. Cet album a été fait, maintenant il faut qu'on fasse autre chose. Comment dire? Il faut que chaque album soit différent, que ce soit la recherche de quelque chose de différent. Si on commence à labourer le même sillon, je pense qu'on perd un côté spontané et un côté un peu expérimental aussi."