L’histoire tchèque du XXe siècle, un thème toujours explosif

'Le Siècle tchèque', photo: CT

« Avons-nous vraiment une identité nationale ? », se demande l’écrivain et journaliste Pavel Kosatík. Auteur d’une longue série de livres consacrés à des personnalités importantes de la politique et de la culture tchèque du XXe siècle, il peut être considéré aujourd’hui comme le spécialiste du livre biographique. Lorsque la Télévision publique tchèque lui a proposé d’écrire les scénarios d’une série consacrée à l’histoire tchèque du XXe siècle, il a relevé le défi. En collaboration avec le réalisateur Robert Sedláček, il a créé une espèce de chronique des grands événements de l’histoire tchèque moderne en neuf épisodes intitulée « Le Siècle tchèque ». La diffusion des cinq premiers épisodes de la série sur le petit écran a suscité de nombreuses réactions qui n’ont pas toujours été positives.

Pavel Kosatík,  photo: David Vaughan
« Notre objectif n’a pas été de présenter les faits, mais nous voulions raconter quelles en ont été les conséquences », dit Pavel Kosatík. Les auteurs de la série soulignent qu’il ne s’agit pas de films documentaires mais d’œuvres qui abordent sans tabou les événements clés de l’histoire tchèque moderne. Ils observent notamment la psychologie des protagonistes des événements historiques dans des moments où ces personnalités se retrouvent dans des situations critiques et savent que leurs décisions se répercuteront sur leur vie, sur la vie de leurs proches et sur le destin de leur pays pendant de longues années.

Le scénariste Pavel Kosatík et le réalisateur Robert Sedláček ont choisi dans l’histoire tchèque du XXe siècles neuf moments cruciaux qu’ils considèrent comme décisifs pour l’évolution du pays. La première partie de la série évoque la Première guerre mondiale, les événements ayant abouti à la fondation de la Tchécoslovaquie indépendante et le rôle historique du premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk.

'Le Siècle tchèque',  photo: CT
La deuxième partie du cycle est centrée sur Edvard Beneš, président de la République au moment de la signature des accords de Munich en 1938, lesquels ont livré le pays, sans défense, à l’occupant allemand. Le président ordonne d’abord la mobilisation générale puis revient sur sa décision et capitule face à la suprématie militaire allemande. Pavel Kosatík souligne l’importance de ce moment historique pour l’identité nationale du peuple tchèque :

« Je pense que si nous laissons échapper, à un certain moment, la possibilité d’agir, quelque chose de fondamental change et ce changement risque d’être durable. La fonction fondamentale de l’Etat est de se défendre et s’il laisse échapper cette possibilité, cela pose inévitablement certaines questions : ‘Est-ce seulement un jeu d’enfant ? N’avons-nous un hymne national et les autres attributs d’un Etat seulement pour ressembler aux autres peuples ? Avons-nous vraiment une identité nationale ?’ J’en doute un peu et je ne le dis pas pour agacer les gens mais parce que je me dis qu’une éventuelle désillusion fondée sur des arguments pourrait améliorer cette situation. Est-ce trop optimiste ? »

'Le Siècle tchèque',  photo: CT
C’est la Deuxième Guerre mondiale qui est évoquée par la troisième partie de la série. Elle est consacrée aux deux grands problèmes qui se posent au gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres – les rapports entre Tchèques et Allemands et leur future coexistence, ainsi que l’organisation du mouvement de la résistance et de l’attentat contre le protecteur du Reich Reinhardt Heydrich. Les quatrième et cinquième épisodes ont pour thème la prise du pouvoir par les communistes en 1948, l’instauration du régime arbitraire et la terreur stalinienne qui finit par broyer, dans les années 1950, même les membres influents du Parti communiste de Tchécoslovaquie. Les quatre épisodes restants qui n’ont pas encore été diffusés, retraceront les événements clés de l’histoire tchèque à partir des années 1960 jusqu’à la fin du siècle. Les cinq premiers chapitres de la série ont été très suivis par les téléspectateurs et, comme il fallait s’y attendre, ils ont provoqué des réactions contradictoires et suscité de nombreuses questions. C’était d’ailleurs l’intention de Pavel Kosatík :

'Le Siècle tchèque',  photo: CT
« Ce qui me fait plaisir, c’est qu’ils ont encore envie de poser des questions. Ils ont compris que nous voulons aussi poser des questions et c’est ainsi que j’imagine des leçons d’histoire de qualité. Ce n’est pas ce que certaines institutrices enseignent encore à l’école, ce ne sont pas des vérités toutes faites. Les gens pensent que l’histoire est déposée quelque part dans les archives et qu’il suffit de la sortir quand nous en avons besoin. Mais ce n’est pas comme ça. Finalement chaque génération doit redécouvrir les faits qui ont déjà été examinés par les historiens. »

'Le Siècle tchèque',  photo: CT
Les réactions de la presse ont été mitigées. Bien que la plupart des critiques apprécient le projet en tant que moyen pour attirer l’attention des Tchèques sur leur histoire, leurs avis sur la réalisation de la série divergent. Certains apprécient les performances et les maquillages des acteurs qui campent les personnalités historiques importantes, d’autres les considèrent comme peu convaincants et même ridicules. Certains critiques contestent également le choix des épisodes de l’histoire tchèque du XXe siècle et mettent en cause la façon dont les auteurs de la série interprètent ces événements clés. Pavel Kosatík s’attendait à de telles réactions. Il sait bien que l’histoire récente est encore pour beaucoup de Tchèques un thème sensible, douloureux et explosif. Dans un entretien pour la presse, il a même comparé l’histoire tchèque à de la dynamite. Il déplore pourtant la nature de certaines critiques :

« Je souhaite toujours que les réactions soient basée sur des arguments. Je ne tiens pas à ce qu’on soit d’accord avec moi, mais quand on pense que j’ai déformé quelque chose, je veux qu’on me dise que c’est pour telle ou telle raison. Si ce n’est qu’un sentiment, je ne peux pas me disputer avec mes critiques. Mais je le comprends aussi parce que beaucoup de Tchèques vivent l’histoire émotionnellement et cela est dû au fait qu’aujourd’hui beaucoup de gens souffrent d’une grande frustration. »

En lisant certaines réactions négatives, Pavel Kosatík a eu pourtant l’impression que les auteurs de ces textes avaient formulé leurs critiques avant même d’avoir vu « Le Siècle tchèque » et qu’ils ne cherchaient qu’une cible sur laquelle ils pourraient tirer. Il souligne que les gens sont responsables de leur approche de l’histoire. A son avis, ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont facilement manipulables. Il rappelle dans ce contexte les récentes élections présidentielles et parlementaires en République tchèque lors desquelles les hommes politiques ont exploité le thème des Allemands des Sudètes et de leur expulsion de Tchécoslovaquie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Selon Pavel Kosatík, les gens devraient être préparés pour pouvoir réagir à une telle exploitation de l’histoire à des fins politiques.

'Le Siècle tchèque',  photo: CT
En faisant émerger des profondeurs des archives les grands moments de l’histoire du XXe siècle, il a voulu démontrer que les protagonistes de ces événements, ces personnages historiques, n’étaient que des êtres humains souvent pris au dépourvu par les obstacles qui s’accumulaient sur leur chemin. En évoquant leur situation, leurs doutes, leurs faiblesses et leurs décisions critiquables, il a trouvé chez eux aussi l’intelligence, l’abnégation, le courage. A son avis, l’histoire tchèque du XXe siècle ne manque pas non plus de beaucoup d’exemples d’une certaine forme d’héroïsme :

« Souvent, l’héroïsme tchèque au XXe siècle ne naissait pas de la décision de l’Etat mais de la décision personnelle de gens qui refusaient de rester passifs. L’Etat a souvent capitulé, Munich et les nazis ont liquidé l’armée tchécoslovaque, mais il restait quand même quelques personnes qui ont refusé de baisser la tête, se sont exilées à Londres ou sont parties pour le front de l’Est. Et il y a eu aussi des familles de résistants qui sont restées ici et ont été exterminées, et beaucoup de gens sont tombés dans la guerre. C’était donc un héroïsme qui s’est imposé contre la volonté de l’Etat, parce que l’Etat vous dit souvent : soit sage, laisse tomber… En s’opposant à l’Etat, ces héros ont fini par lui profiter. Et cela me plaît. »