Les villas célèbres, survol de deux siècles d’architecture tchèque

Etre propriétaire d’une villa ou d’une maison familiale est un des rêves de notre civilisation. Qui d’entre nous n’a pas rêvé de vivre dans une charmante maison au milieu d’un jardin ? Aujourd’hui, réaliser un tel rêve devient de plus en plus facile, mais peut-on encore considérer les innombrables maisons poussant comme des champignons autour des grandes villes tchèques comme la matérialisation d’un rêve ? Ces nouveaux quartiers résidentiels uniformisés n’apportent-ils pas plutôt une grande désillusion ? Où sont ces villas de rêve, fierté de leurs propriétaires et de leurs architectes ? Vous trouverez la réponse à cette question dans une série de 15 livres parus entre 2004 et 2010 intitulée « Les villas célèbres. »

La série a commencé en juin 2004 par la publication des « Célèbres villas de Prague ». Les auteurs ont réuni dans leur livre les informations et la documentation verbale et photographique sur 63 maisons familiales et villas pragoises conçues et réalisées par les meilleurs architectes de l’époque, parmi lesquels Jan Kotěra, Adolf Loos, Josef Gočár, Pavel Janák, Otakar Novotný, Jan Kaplický et autres. Depuis, chaque année ou presque, sont sortis de nouveaux maillons de la longue série qui devaient former une véritable encyclopédie des plus belles maisons individuelles ayant été construites en Bohême, en Moravie et en Silésie depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours. Chaque livre a été consacré à une région. Plus de 250 spécialistes, historiens d’art et architectes ont collaboré à ce projet de grande envergure placé sous le haut patronage de l’épouse du président de la République, Livia Klausova. Ils ont formé 15 équipes qui ont écrit 15 livres. Au début de leur travail, ils se sont bien sûr posé la question fondamentale : « Qu’est-ce qu’une villa ? » Réponse avec l’auteur du projet, Oldřich Janota :

Oldřich Janota
« La préhistoire de ce genre de maisons, ce sont les villas de la Rome antique et puis celles construites par Palladio en Italie. C’étaient des maisons de campagne. A Prague et dans d’autres villes après la démolition des remparts, les riches citadins ont commencé à construire des maisons dans la banlieue. C’était une espèce de petits châteaux. Par exemple, le château baroque de Troja près de Prague est une villa à l’italienne. C’était donc des gens plutôt riches, des industriels, etc. Puis, après 1918, sous la première République tchèque, s’y sont jointes les couches moyennes de la population : des enseignants, des médecins, des juristes, et même des gens simples. »

Le Pavillon lacustre,  photo: Huhulenik,  CC BY 3.0 Unported
Et Oldřich Janota de rappeler que, aujourd’hui, 40 % de la population tchèque logent dans des maisons familiales, et que ce sont également des villas souvent entourées de jardins. La série « Les villas célèbres » illustre l’évolution de l’architecture tchèque au cours des deux siècles. Cela commence par de beaux spécimens de l’architecture Empire, comme par exemple le Pavillon lacustre dans le domaine des châteaux de Lednice et de Valtice, en Moravie du Sud. S’ensuivent les villas néo-gothiques, néo-Renaissance et néo-baroques de la seconde moitié du XIXe siècle que les architectes, marqués par le romantisme et la nostalgie du passé, savaient très bien insérer dans les parcs et les paysages.

Marquée par l’Art nouveau, la période de la fin du XIX et du début du XXe siècle constitue un autre grand chapitre de l’évolution des maisons familiales tchèques. Toute une pléiade d’architectes plus ou moins influencés par l’Art nouveau français ou la Sécession viennoise a créé de nombreuses maisons aux lignes sinueuses et élégantes. C’est à cette époque que s’impose le grand architecte tchèque Jan Kotěra, qui enseigne à l’Académie des Beaux arts de Prague et contribue à la formation de toute une génération d’architectes modernes. Ces nouveaux venus apporteront les nouveaux styles, le cubisme, le rondeau-cubisme et finalement le fonctionnalisme.

La villa de Martin Frič
C’est avec le fonctionnalisme, ce style dépouillé, véritable symbole de la modernité, que l’architecture tchèque du XXe siècle atteint son apogée. Des industriels, des propriétaires fonciers, des hommes politiques et des artistes se font construire des villas dans ces styles. Parmi eux figurent les écrivains Karel Čapek, Vladimír Vančura, les peintres Václav Špála et Josef Čapek, les sculpteurs František Bílek et Stanislav Sucharda, le cinéaste Martin Frič. Tous laisseront l’empreinte de leur personnalité dans ces maisons qui figureront parmi les villas célèbres de République tchèque.


Le quinzième et dernier volume de la série est sorti en septembre 2010. A cette occasion a aussi été organisée dans la Bibliothèque nationale technique de Prague une exposition intitulée « Les villas célèbres de Bohême, de Moravie et de Silésie ». L’auteur du projet, Oldřich Janota, résume :

« La série compte 15 livres, c’est donc un livre pour chaque région de République tchèque. Les villas sont situées dans près de 250 villes et communes. Pour cette exposition ont été choisis, sur un ensemble de presque 800 maisons, les 120 villas les plus intéressantes situées dans 56 villes et communes, Prague, Brno, Olomouc, Prostějov, mais aussi dans des villes de bien moindre importance comme Krucenburk et d’autres. »

Photo: www.slavnevily.cz
Ceux qui ont préparé cette exposition n’ont pas voulu se limiter à des photos et à des documents écrits. Le commissaire Ladislav Zikmund a voulu donner à l’exposition une troisième dimension :

« Nous avons cherché à présenter dans cette exposition dont l’espace est limité les 120 villas les plus intéressantes, ce qui n’était pas une tâche facile. Et pour ne pas en faire seulement une présentation bidimensionnelle de l’architecture, nous avons aussi misé sur des modèles et cherché des objets et des meubles illustrant l’évolution du design tout au long du XXe siècle. Nous commençons par le mobilier en bois courbé, en passant par le mobilier métallique, les années 1980, jusqu’à la période actuelle. »

Evidemment, les auteurs de l’exposition ont eu l’embarras du choix. Ils ont été obligés de faire un tri et de laisser de côté beaucoup de maisons extrêmement intéressantes. Ladislav Zikmund explique quels ont été les critères décisifs dans leur choix :

La villa Tugendhat,  photo: CzechTourism
« Les critères sont nombreux. Pour devenir célèbre, une villa ne doit pas nécessairement être un chef-d’œuvre architectural, comme c’est par exemple le cas de la villa Tugendhat à Brno ou de la villa Müller à Prague. Les villas choisies ont été par exemple celles qui ont été habitées par des personnalités importantes, qui ont été le théâtre d’événements culturels, sociaux ou historiques, ou qui ont joué un rôle important dans la région où elles se trouvent. »

Le visiteur peut donc suivre l’évolution architecturale des maisons individuelles sur le territoire tchèque au cours des deux derniers siècles. Les auteurs y ont aussi ajouté des projets relativement récents, comme la villa pragoise conçue par l’architecte Emil Přikryl pour la réalisatrice de cinéma Věra Chytilová ou une maison créée par l’architecte tchéco-britannique Jan Kaplický, auteur du projet très controversé de la Bibliothèque nationale tchèque. Oldřich Janota ajoute que les organisateurs de l’exposition ont aussi voulu faire sortir de l’ombre les richesses de petites villes qui échappent à l’attention générale :

La villa à Krucemburk,  photo: Site officiel de Slavné vily
« J’ai déjà parlé de Krucemburk dans la région de Jihlava, c’est une petite ville où il y a une somptueuse villa conçue par Josef Gočár, une des plus grandes personnalités de l’architecture tchèque. Dans une enquête, Gočár a même devancé Jan Kotěra, en tant qu’architecte tchèque le plus populaire du XXe siècle. A Krucenburk donc, il y a la Villa rouge ou la Villa Binko qui est un de ces chef-d’œuvres peut-être inconnus du public. »

Le visiteur voit les maisons sur des photos historiques et aussi sur des photos récentes. Il peut constater que certaines villas sont restaurées avec beaucoup de goût et de sensibilité pour leur style original. Il y a en a cependant qui sont défigurées par une restauration bâclée et même d’autres qui n’ont pas été restaurées du tout et dont le délabrement devient inquiétant. Si leurs propriétaires ne font rien, dans quelques années les dégâts seront irréparables et ces joyaux architecturaux seront perdus. Un des objectifs de l’exposition et de toute la série des 15 livres sur les villas tchèques est donc de sauver ces maisons exceptionnelles pour les générations futures.