Les palais du livre

Luxor - le Palais des livres

Selon un classement de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la République tchèque figure à la 17ème position en ce qui concerne l'intérêt que ses habitants portent aux livres. La statistique met en relief le nombre de journaux et de revues lus par les gens, le nombre de livres que les gens ont à la maison, la fréquence de leurs visites dans les bibliothèque publiques, etc. La Tchéquie se place donc derrière la Finlande, le Canada, la Nouvelle-Zélande, mais aussi derrière la Grande-Bretagne, le Japon, la Suède, la Belgique, la France et les Etats-Unis. Elle se trouve cependant devant l'Italie, l'Allemagne, la Hongrie. Sans surestimer la portée d'une telle enquête, il convient de constater que les Tchèques aiment certes les livres mais qu'ils ne sont pas un peuple de bibliomanes. Quels sont les besoins des lecteurs tchèques ? Que font les éditeurs et les libraires tchèques pour assouvir ces besoins ? C'est de cela que je vais vous parler aujourd'hui.

C'est à Prague que se situe la majorité écrasante des affaires du marché du livre en République tchèque. On estime que 70 à 80 % des ventes sont réalisées dans la capitale. Cela ne veut cependant pas dire que les petits libraires pragois ont la vie facile. Les petits libraires, et même leurs collègues des environs de la capitale, sont pratiquement sans défense face aux gigantesques librairies qui se multiplient à Prague ces derniers temps. Les petites librairies sont-elles vouées à la disparition? Pourront-elles survivre grâce à la poignée de fidèles qui préfèrent le calme et les petites dimensions à l'opulence des grands espaces? Toujours est-il que les petits libraires ressentent douloureusement les changements qui se produisent actuellement dans ce domaine.

Une grande librairie se trouve dans le centre Novy Smichov, dans le 5ème arrondissement de Prague, centre qui englobe l'hypermarché Carrefour, un multiplex et d'innombrables boutiques et restaurants. C'est néanmoins sur la place Venceslas, au centre de la capitale, qu'on trouve le plus grand nombre de ses grands espaces, dont la gigantesque librairie Kanzelsberger qui a évincé le café Astra et occupe tout un édifice dans la partie inférieure de la place. Dans son catalogue, il y a près de 20 000 titres. Ajoutons que la firme Kanzelsberger réunit une chaîne de librairies, dont cinq à Prague et une vingtaine dans d'autres villes tchèques. Vers la fin de l'année 2002, on a ouvert, toujours place Venceslas, le Palais des livres. L'édifice qui a jadis abrité le célèbre café dansant Luxor, propose aujourd'hui plusieurs étages surchargés de livres, quelque 33 000 titres. Selon le copropriétaire de la firme Neoluxor, Jiri Jirasek, ses dimensions font de ce grand espace l'une des dix plus grandes librairies d'Europe. Jiri Jirasek a importé ainsi sur le sol tchèque ce qu'il admirait depuis des années en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne. "Aujourd'hui, dit-il, les gens ne veulent pas discuter avec le vendeur, c'est relégué au siècle dernier. Ils désirent le contact avec le livre et un large choix."


Annuellement, on publie en République tchèque quelque 14 000 titres, ce qui est beaucoup pour une population de 10 millions d'habitants. On se bouscule donc sur le marché du livre. Les éditeurs (il y en plus de 3 000) ont quelques peines à écouler leur production et deviennent souvent une espèce d'otages des grands libraires. Ces derniers leur dictent leurs conditions. Plus de la moitié des livres parus ne sont acceptés par les libraires que pour la vente par commission, c'est-à-dire que l'éditeur ou le distributeur ne reçoit l'argent que si le livre est vendu. Seuls les livres d'auteurs célèbres, les best-sellers dont par exemple Harry Potter, et encore quelques autres catégories, dont les manuels scolaires, échappent à ce traitement. Une grande partie de la production dégringole à une vitesse vertigineuse parmi les livres vendus au rabais. Il n'y a que quelques best-sellers et certains ouvrages encyclopédiques qui peuvent rester dans les librairies même pendant plusieurs années sans changer de prix. Le reste se retrouve dans les librairies spécialisées dans la vente au rabais qui sont déjà presque aussi nombreuses que les librairies normales.

Le marché du livre devient ainsi une affaire qui manque de sérieux et n'échappe pas à la critique. "Cela dépend de l'éditeur, c'est lui qui décide quand il faut retirer le livre et le fait vendre au rabais, dit la directrice commerciale de la maison d'édition Ivo Zelezny, Eva Kaiserova. Il y a en a qui le font au bout de trois mois et nuisent au marché." Si le livre passe à cette catégorie inférieure, le libraire ne paye à l'éditeur que le tiers de son prix mais le paye comptant, ce qui, pour certains éditeurs, reste encore une affaire lucrative. Le livre est vendu aux lecteurs aux deux tiers de son prix initial.


Qu'est-ce qu'il faut faire pour vendre un livre en République tchèque ? Qu'est ce qui donne à un livre le caractère d'un best-seller? Voilà une question qui ne cesse de préoccuper les éditeurs mais à laquelle il n'est pas facile de répondre. Selon Jaromir Cisar de l'Union des libraires et éditeurs tchèques, la qualité du livre et son succès commercial sont deux choses différentes. Qu'est ce qu'on demande le plus? Ce sont rarement les romans et la littérature de fiction qui figurent parmi les best-sellers, mais plutôt les livres de cuisine, les ouvrages sur la médecine naturelle, sur les régimes alimentaires, sur les exercices pour améliorer la condition physique, etc. Le public raffole également des livres consacrés à ce qu'on a vu à la télévision, aux vedettes du petit et du grand écran. Néanmoins, une campagne publicitaire bien orchestrée peut parfois lancer un livre de qualité. C'est le cas des deux livres d'une écrivaine pratiquement inconnue, Vera Legatova ; deux livres qui se vendent cependant bien aussi parce qu'ils ont été portés à l'écran.

Le tirage des livres promis au succès varie en général autour de 5 000 mais peut parfois grimper jusqu'à 25 000. Les libraires tirent des livres vendus des bénéfices de 30 %. Ils ont donc intérêt à proposer des ouvrages bien vendables mais dont la qualité est souvent discutable. Ces bénéfices sont parfois utilisés pour subventionner la publication des livres de qualité dont le tirage atteint en général 2500 exemplaires. Le tirage des oeuvres des auteurs débutants ne dépasse que rarement 1500 exemplaires et les poètes doivent se contenter d'habitude de 500 exemplaires.


Ces chiffres sont plutôt modestes, mais il est évident que le marché du livre est une affaire plutôt lucrative. Le livre se porte relativement bien malgré la concurrence que représente aujourd'hui la télévision, la vidéo, le cinéma et l'internet. On continue à lire et les livres continuent de faire partie de la vie quotidienne des Tchèques.