Les lecteurs tchèques face aux nouveaux médias

Photo: Barbora Kmentová

Les Tchèques sont réputés être un peuple de lecteurs. Mais l’engouement de la population pour les livres a sans doute beaucoup souffert au cours de ces dernières décennies avec l’avènement de nouveaux médias et notamment la télévision et l’internet. Comment changent donc les goûts et les intérêts des lecteurs tchèques aux XXIe siècle ? Que lisent-ils et que lisent leurs enfants ? Quels sont les livres qu’ils amènent quand ils partent en vacances. Acceptent-ils les nouveaux médias comme le livre électronique et la liseuse ? Nous tâcherons de répondre à ces questions et encore à certaines d’autres avec Pavel Nýč, de la maison d’éditions Fragment.

Pavel Nýč,  photo: Fragment
Pavel Nýč constate que les Tchèques lisent de moins en moins la littérature classique et apporte sa propre explication de la disgrâce des anciens auteurs :

« La raison est simple. C'est ma théorie : les livres écrits il y a plus de cent ans sont pleins des descriptions, de longs passages sur l'aspect du paysage par exemple. Aujourd'hui de tels passages sont perçus comme rébarbatives. Cependant, nous devons tenir compte du fait qu'à l'époque où ces livres ont été écrits, ils apportaient aux lecteurs les impressions que nous avons aujourd’hui en regardant des films documentaires. Je me rappelle par exemple que dans les romans de Jules Verne il y a de longs passages sur l'aspect de la mer, sur le fond de la mer, sur les îles aux palmiers. Aujourd'hui ces longues descriptions perdent leur intérêt, parce que grâce aux films documentaires et même aux films d'aventures nous savons comment sont les récifs coralliens, les palmiers, etc. C'est pourquoi les livres ont changé. C'est pourquoi ils sont plus vifs, plus rapides, pleins de mouvement et d'action, comme la vie. Parce que même la vie s'est accélérée. »

Barbora Kmentová
Quels sont donc les livres que les gens lisent pendant les vacances. Y-a-t-il une grande différence entre ce que nous lisons à la maison et pendant nos séjours à la mer ou dans les montagnes ? Selon Pavel Nýč, la réponse à cette question n'est pas simple parce que les lecteurs ont l'embarras du choix, leurs intérêts sont très variés et la gamme des genres qui leur est proposée, est très large. Ce qui est très populaire, par exemple, ce sont les jeux de lettres que nous connaissons tous, les mots croisés, genre qui est très lié avec les jours de repos et les vacances. Et l'éditeur rappelle que même les mots croisés ont évolués. Aujourd'hui il y a sur le marché les mots croisés de toutes les tailles et mêmes ceux en gros caractères que les lecteurs faibles de vue peuvent lire sans lunettes. Bien sûr les mots croisés ne sont pas la vraie littérature bien qu'ils puissent être considérés comme une source de connaissances très spécifique. Selon Pavel Nýč, les lecteurs continuent à aimer aussi la littérature de fiction, les belles lettres :

« Bien sur les vacanciers lisent beaucoup la fiction pour adultes comme les romans policiers, la littérature romantique, etc. Aujourd'hui c'est même la littérature érotique qui est très populaire chez les femmes, et les lectrices ne s'en cachent plus. Elles lisent ce genre sans complexes par exemple sur la plage. Nous vivons dans une société ouverte et ouvrir aujourd'hui un roman érotique sur la plage, cela ne gêne plus ni le lecteur, ni la lectrice, ni leur entourage. »

Photo: Archives de Anastasiya Zamyakina
Les romans policiers restent toujours très populaires et on peut dire que c'est la lecture de vacances typique et un des genres préférés des vacanciers tchèques. Aujourd'hui la tendance est au roman policier nordique. En Tchéquie, comme ailleurs, les lecteurs n'ont pas résisté à cette vague scandinave ayant déferlé sur les maisons d'édition et les librairies. La mode du polar scandinave a commencé en Tchéquie avec le roman « Les hommes qui n'aimaient pas les femmes », premier tome d'une trilogie désormais célèbre de l'auteur suédois Stieg Larsson. Pavel Nýč estime que ces polars nordiques sont en général de bons livres en leur genre, mais il rappelle qu’il y a aussi beaucoup d'autres excellents romans policiers qui n’ont pas été écrits en Scandinavie et n'en méritent pas moins l'intérêt des lecteurs. La qualité n'est pas donc toujours décisive et, selon Pavel Nýč, les modes, les courants et les tendances du jour sont des éléments très importants pour le succès d'un livre :

« Je ne sais pas comment naissent ces tendances. Avant la période du polar nordique les lecteurs raffolaient des sagas de vampires. Ce n'est qu'après l'apparition d'un nouveau courant dans l'édition que tout le monde se dit : ' Voilà c'est une nouvelle tendance. Publions quelque chose du même genre !'Les tendances changent. Tous les trois à cinq ans il y a un nouvel engouement. Et je dois dire malheureusement que je ne sais pas quelle tendance s'imposera dans l'avenir. »

Photo: Štěpánka Budková
De grands changements se sont produits également, au cours de la dernière décennie, dans le domaine de la littérature pour enfants. Les livres pour les enfants préscolaires sont devenus interactifs, sont souvent pleins d'autocollants et invitent les petits lecteurs non seulement à la lecture passive mais aussi à participer à l'action et au jeu. Les enfants continent à aimer les contes de fées et même ceux écrits au XIXe siècle par les classiques de la littérature tchèque Karel Jaromír Erben et Božena Němcová. Cependant, Pavel Nýč se demande si cet intérêt pour les auteurs classiques n'est pas dû plutôt aux parents qui ont jadis aimé les livres de ces classiques et les achètent et lisent aujourd'hui à leurs enfants. Quant aux contes de fées modernes, leurs auteurs ne respectent plus les vieux concepts et ne racontent plus que les histoires des princes et des princesses. Les héros de ces contes sont beaucoup plus actuels et font partie de notre monde. Et l’éditeur remarque que la limite entre le bien et le mal dans ces récits n'est pas toujours aussi évidente et nette comme dans le conte classique, ce qui correspond plus à la réalité et à la vie.

« Quant à la catégorie des enfants d'âge scolaire, cela devient plus intéressant. Les écoliers commencent à lire et ça les intéresse beaucoup. Outre les livres sur la nature, sur la société ou les ouvrages qui leur apprennent comment se comporter dans une telle ou telle situation, ils lisent les livres dont les thèmes ont bien changé. Ce sont les livres d'aventures et parfois même aussi des livres d'horreur. En effet, dans les livres pour les enfants de huit à neuf ans par exemple nous trouvons aujourd'hui des éléments d'horreur. Et ils aiment et acceptent tout cela et le trouvent amusant. »

Photo: Štěpánka Budková
Et l'éditeur revient à son idée et constate que les enfants aujourd'hui lisent beaucoup moins les livres de Jules Verne ou de Karl May à cause de longs passages descriptifs, c'est-à-dire pour les mêmes raisons pour lesquelles les adultes négligent la littérature classique.

Le lecteur moderne jouit aussi de nouvelles facilités techniques. Il semblait que le livre électronique allait révolutionner le marché des livres, mais en République tchèque sa réception est encore assez tiède bien que le nombre de livres électroniques augmente. Cette année, l’intérêt des lecteurs pour ce media a doublé, mais il faut dire que le livre classique continue à dominer largement le marché. Actuellement les ventes des livres électroniques ne génèrent qu’un pourcent des recettes du marché en République tchèque car la majorité des lecteurs tchèques sont conservateurs et aiment le livre classique. Pavel Nýč cite à titre de comparaison la situation aux Etats-Unis où le livre électronique représente aujourd’hui déjà dix pourcents du marché. Quelles sont les possibilités de la liseuse, appareil conçu pour lire les livres électroniques ? Selon l’éditeur, comme chaque nouveau média la liseuse a ses avantages et ses inconvénients :

« Dans une liseuse, dont les dimensions ne dépassent pas celles d’un petit livre, vous pouvez télécharger toute une bibliothèque et vous pouvez l’avoir toujours sur vous. Vous pouvez acheter et télécharger un livre électronique à partir de votre domicile à la dernière minute, par exemple la veille de votre départ en vacances. Un avantage important pour beaucoup de lecteurs est le fait que vous pouvez agrandir la taille des caractères, ce qui est apprécié par ceux parmi nous dont la vue faiblit. Et il y a encore un avantage très intéressant : la liseuse vous permet de cacher ce que vous lisez. Si par exemple quelqu’un a honte de lire un roman des éditions Harlequin, il peut le lire sur une liseuse et son entourage ne voit pas le genre du livre qu’il lit. »

Photo: Barbora Kmentová
La liseuse est aussi sans doute un excellent moyen pour ceux qui partent en voyage et pour les vacanciers qui ne sont plus obligés de mettre dans leurs valises de gros volumes. Bien que les avantages de la liseuse sont donc évidents, la vielle génération des lecteurs habitués à feuilleter des livres classiques, à sentir leur parfum, à les tenir entre les mains, se montre assez réticente vis-à-vis de cet intrus sur le marché des livres. Son inconvénient est aussi le fait que beaucoup de livres n’existent pas encore sous la forme électronique et ne peuvent donc être téléchargés sur une liseuse. Il semble donc que malgré la progression du livre électronique, la liseuse va encore longtemps coexister avec le livre classique.