Le premier et le dernier des livres de Petr Sís

Les enfants tchèques peuvent trouver actuellement dans les librairies deux livres du dessinateur et écrivain Petr Sís. Il s’agit d’un de ses premiers et d’un de ses derniers ouvrages. En comparant ces deux livres le lecteur peut prendre la mesure du trajet parcouru par cet auteur depuis le début de sa carrière d’illustrateur dans les années 1980 jusqu’à sa création actuelle.

Depuis 1984, le dessinateur et écrivain Petr Sís tchèque vit et travaille à New York. Il doit sa notoriété à ses livres pour enfants. Il en a créé une vingtaine et ses illustrations ornent également une cinquantaine d’ouvrages d’autres auteurs. Ses livres ont été publiés dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique. Il est également lauréat de toute une série de distinctions et notamment du prix Hans Christian Andersen considéré comme une sorte de prix Nobel de la littérature pour enfants. Ces livres sortent régulièrement aussi en Tchéquie mais un de ses premiers ouvrages intitulé « Un nain nommé Gustave » est resté pendant longtemps inconnu des enfants tchèques. C’est l’éditeur Stanislav Škoda de la maison d’édition Paseka qui a décidé de combler cette lacune :

« C’est un beau conte moral sur la recherche de la place dans le monde. Quand Petr Sís est parti de Tchécoslovaquie en Suisse où il devait travailler pour la télévision, il a fait la connaissance de l’éditeur tchéco-suisse Otakar Božejovský et celui-ci lui a proposé d’illustrer le texte déjà existant de l’écrivain allemand et grande figure de la littérature occidentale pour enfants, Max Bolliger. Petr Sís a accepté cette proposition, s’est mis au travail et n’a terminé ce livre que plus tard aux Etats-Unis. (…) Je crois que c’est un livre pour les petits enfants d’âge préscolaire et du premier âge scolaire qui leur sera lu très probablement par leurs parents avant de dormir. »

Un nain nommé Gustave
Dans ce livre, les illustrations de Petr Sís accompagnent l’histoire d’un petit nain qui possède une très belle voix et est aimé pour la beauté de son chant. Un jour cependant il s’éprend de l’éclat de l’or, commence à accumuler les biens, oublie de chanter et perd peu à peu ses amis. C’est dans la solitude qu’il se rend compte que tout l’or du monde ne vaut pas le talent et l’amitié et il part à la reconquête de ce qu’il a perdu. Stanislav Škoda rappelle dans ce contexte les inspirations de Petr Sís au début de carrière :

Un nain nommé Gustave
« C’est un des premiers livres de Petr Sís et il est apparemment inspiré par la poétique du dessinateur et cinéaste Jiří Trnka. Petr Sís a d’ailleurs parlé Jiří Trnka comme de son maître et sa grande source d’inspiration lors de la remise du prix Hans Christian Andersen. Sa création a cependant évolué par la suite dans une direction tout à faite différente. Il a aussi commencé à écrire les textes de ses livres et aujourd’hui c’est un auteur différent. Je pense cependant que c’est un illustrateur si excellent qu’il faut présenter au public tchèque toutes les facettes de son talent y compris ses premières œuvres. »


C’est en septembre 2012 qu’est sorti en France le dernier opus de Petr Sís intitulé « La conférence des oiseaux ». Les enfants tchèques, eux, ont été parmi les premiers qui avaient pu lire ce livre dont la version tchèque était sortie à l’automne 2011 aux éditions Labyrint. L’auteur lui-même a présenté à la radio ce conte poétique qu’il a écrit et illustré :

« Ce livre raconte une histoire dans laquelle les oiseaux du monde entier se réunissent et constatent que le monde est chaotique et qu’ils doivent chercher un nouveau roi. Et ils sont apostrophés par la huppe qui est un oiseau bien actif et qui affirme de connaître l’endroit où ce roi vit. Selon la huppe, le roi vit sur le mont Kaf et c’est là qu’il faut aller. Et les oiseaux sont ravis parce qu’ils pensent que ce ne sera pas un problème. »

Les oiseaux s’envolent donc vers le mont Kaf mais le vol est long et c’est ce vol qui est, selon Petr Sís, le sujet véritable du livre. Certains oiseaux tombent, certains meurent. Ils vivent diverses aventures et certains perdent courage parce qu’ils pensent qu’ils n’arriveront jamais au but. Ils volent au-dessus de sept vallées qui sont en réalité sept étapes de la vie, dont l’amour, l’amitié et finalement la mort. Petr Sís ne cache pas que ce conte pour enfants est également une fable philosophique :

« Enfin les oiseaux arrivent à la montagne où il y a un immense lac-miroir et ils espèrent y trouver ce roi qui répondra à toutes leurs questions. Et ils doivent se rendre à l’évidence : ce roi qu’ils cherchent n’est que le reflet d’eux-mêmes dans ce lac-miroir. Cela m’a semblé typique de notre vie. Nous cherchons toujours quelqu’un qui nous expliquerait tous nos problèmes et nous débarrasserait de nos soucis et en réalité toutes les solutions se cachent en nous. Certains d’entre nous pratiquent le yoga, d’autres achètent des vêtements, des disques ou se mettent au régime et nous cherchons tous à rendre la vie meilleure et heureuse. Et c’est le vrai sujet de ce livre. »

Petr Sís aime bien son livre et le trouve beau mais avoue que dans certains pays les éditeurs et même les lecteurs ne savaient pas comment aborder cet ouvrage insolite. Ils ne savaient pas le situer, n’arrivaient pas à déterminer son genre, si c’était un livre d’art, un livre de poésie ou autre chose :

La conférence des oiseaux
« Pour moi ce n’est pas important. J’ai été emballé par ce thème, puis je l’ai dessiné. C’est inspiré par un poème créé en Perse au XIIe siècle. Et j’ai été très content que des Iraniens actuels, écrivains et poètes, aient déclaré que j’avais compris leurs sentiments. C’était très important parce que je craignais d’offenser quelqu’un. »

En Tchéquie, Petr Sís n’a pas eu cependant l’impression de ne pas avoir été compris. Son éditeur tchèque a tout simplement constaté que c’était un livre pour les enfants des parents intelligents. Presque tous les livres de Petr Sís parlent de la recherche, de la découverte, de la passion de chercher et de découvrir. Tout d’abord il était attiré par les héros actifs comme ceux de Jules Verne ou les voyageurs comme Emil Holub, puis il a commencé à être fasciné par les gens qui ne pouvaient vivre et agir que dans leur imagination :

La conférence des oiseaux
« J’ai lu cela par exemple sur les gens déportés dans le camp de concentration de Terezín qui ne pouvaient qu’imaginer leurs découvertes, qui ne pouvaient découvrir des choses que mentalement. Quand on est jeune, on cherche à découvrir quelque chose, et ce poème, ‘La conférence des oiseaux’, nous dit combien ce processus de recherche est long. »

Petr Sís se félicite qu’il y ait en Tchéquie, et aussi dans d’autres pays européens dont la France, les éditeurs pour lesquels le livre n’est pas surtout un article commercial. Il veut cependant aussi continuer son combat pour les beaux livres aux Etats-Unis :

La conférence des oiseaux
« En Tchéquie il y a des éditeurs magnifiques comme la maison d’édition Baobab ou mon éditeur Jáchym Dvořák de la maison d’édition Labyrint qui publient des livres parce qu’ils trouvent que ces livres sont beaux et qu’ils ont de la valeur non pas parce qu’ils seront achetés par des millions d’enfants. En Amérique cela n’existe pas, mais je le prends comme un combat pour quelque chose de positif. Certains diront qu’il y a la tradition de Mickey Mouse mais le pays est énorme et c’est un combat constant pour changer la perception de l’art et de la poésie par les Américains. Et c’est ce que je considère comme un défi. J’ai ainsi toujours un programme pour lequel je peux me battre. »