Le phénomène Houellebecq

Michel Houellebecq, photo: CTK
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Invité du Festival des écrivains, Michel Houellebecq a surpris, déconcerté et fasciné le public pragois. On connaissait sa réputation d'auteur qui déboulonne les tabous, mais on ne s'attendait pas à un personnage de prime abord aussi recroquevillé sur lui-même et semblant lutter contre une timidité insurmontable. Sa voix faible et pas toujours compréhensible, son langage meublé d'hésitations et de longs silences fonctionnent cependant comme une carapace protectrice d'un esprit aussi original que corrosif. On s'en est aperçu lors d'un court débat au théâtre Minor, lorsque l'écrivain a joué des questions du public, les renvoyant parfois à ses interlocuteurs comme des balles de ping-pong, les détournant et les déformant avec humour et montrant ces questions et ceux qui les posaient sous un éclairage surprenant et teinté d'ironie. Ce n'est qu'après le départ de ce superbe manipulateur que l'on s'est rendu compte que nous venions d'assister à une véritable mise en cause du débat entre l'écrivain et ses lecteurs. Ce fut comme une mise en évidence des clichés et des lieux communs qui sont si fréquents dans de tels dialogues durant lesquels on entend souvent des questions banales et les réponses que le public désire entendre.

Michel Houellebecq,  photo: CTK
Michel Houellebecq a aussi lu un long passage de son livre "Extension du domaine de la lutte". Voici comment il a présenté son texte en jouant du contraste entre les héros de son roman et Giacomo Casanova auquel le festival était dédié.

"En fait, c'est en prenant l'avion que je me suis aperçu que j'allais à un festival dédié à Casanova, et cela m'a fait un choc. Pour vous, Tchèques, cela évoque sûrement quelque chose. Il est surtout resté célèbre en tant que grand séducteur, c'est même comme ça qu'il est passé dans le langage courant. Ce n'est pas tellement fréquent que le nom propre devienne un nom commun. Enfin, tout cela est un peu embarrassant parce que les personnages de mon roman ne sont vraiment pas des Casanova. Le premier, le narrateur, n'a pas de vie sexuelle depuis des années et des années, il est beaucoup trop déprimé et découragé pour faire une tentative dans ce sens, et puis, comme il est dépité et découragé, même s'il essayait, ça ne marcherait pas. Le second, Raphaël Tisserand, lui, il essaie de séduire les femmes, à peu près toutes, mais ça ne marche pas. Il est trop laid, il n'a pas de charme, il a une mauvaise odeur corporelle, au point qu'il n'a jamais réussi à séduire une seule femme. Donc, si ces personnages se mettaient à penser à quelqu'un comme Casanova, ils éprouveraient une jalousie atroce, beaucoup de haine allant sans doute jusqu'au désir de meurtre. Bref, difficile d'envisager une lecture plus anti-Casanova. Dans l'avion, je me suis mis à envisager de changer, au dernier moment, pour vous faire des propositions de lecture avec un contenu sexuel plus positif puisqu'il y en a dans mes livres. Cela ne manque pas, on me le reproche même souvent. Et puis à la fin, je me suis rendu compte que "Extension du domaine de la lutte" était le seul livre traduit en tchèque. C'est une information que j'ai dû mal mémoriser parce que, de loin, c'est celui de mes livres qui est le moins traduit en général. Donc, en fait, je me suis dit que je n'avais pas d'issue et que j'allais lire ce livre. C'est donc une lecture qu'il est vraiment très difficile de dédier à Casanova."


On sait que les rapports de Michel Houellebecq vis-à-vis de la presse sont très compliqués depuis la publication d'une interview dans le magazine Lire en 2002 qui lui a valu un procès contre différentes association musulmanes. Bien qu'il refuse souvent de répondre aux journalistes, cette fois-ci, il a répondu aux questions de Radio Prague.


La vie des héros de vos romans est souvent une suite de déceptions. Y a-t-il dans votre univers, qui est plein de pessimisme, aussi quelque chose qui permet d'espérer le bonheur, une lueur d'espoir?

"Je dirais que cela dépend des livres. Comme il y en a un seul qui est paru en Tchéquie, "Extension du domaine de la lutte", la réponse est simple: non, radicalement aucune.

Et dans les autres livres ...?

"Oui, on peut dire que dans "Plateforme" le personnage central ne passe pas loin du bonheur."

Votre oeuvre a été qualifiée de scandaleuse, de pornographique, etc. Vous considérez-vous comme l'homme par qui le scandale arrive? Le scandale peut-il aider une oeuvre littéraire à s'imposer?

"Non, au bout du compte, ça ne cause que des emmerdements parce que cela déplaît beaucoup aux éditeurs et on finit par être surveillé de plus en plus près. Donc, en réalité, c'est plutôt un inconvénient pur au bout d'un certain temps. En fait, le scandale ne dépend jamais tellement de soi. Finalement, on ne sait jamais très bien ce qui va scandaliser les gens, ce qui va provoquer des procès ..."

Vous obéissez donc tout simplement à votre vision du monde ?

"Ah oui. Enfin je n'obéis pas uniquement à ça. J'obéis aussi aux personnages. Un personnage, une fois que c'est commencé, c'est parfois plus lui qui commande que l'auteur. Bon, j'exagère un peu en disant ça, mais dire que l'auteur commande complètement ses personnages, ce serait une autre exagération."

Vous heurtez-vous parfois dans votre création littéraire à la censure? Est-ce que vous êtes aussi obligé de pratiquer l'auto-censure?

"J'essaie de ne pas le faire."

Et vous réussissez à ne pas le faire?

"J'espère, mais c'est épuisant. C'est l'une des choses les plus épuisantes dans le fait d'écrire un livre."

Aujourd'hui, vous vous trouvez à Prague, au pays de Kafka, de Hasek, de Hrabal et de Kundera. La littérature d'Europe centrale a-t-elle joué un rôle dans votre évolution littéraire?

"Honnêtement, je soupçonne qu'il existe quelque chose comme l'Europe centrale, mais finalement, à tort, je ne la différencie pas tellement du domaine allemand. En réalité, j'ai lu tous les livres de Kafka sans vraiment m'inquiéter de savoir d'où il était. Je savais juste que c'était traduit de l'allemand. C'était important parce que j'essayais de lire en allemand parfois. Et le fait qu'il n'appartient pas à l'Allemagne mais à une autre aire culturelle tout à fait différente, ne m'est apparu que récemment. Peut-être y a-t-il d'autres auteurs que je crois allemands et qui sont autrichiens ou tchèques, je ne sais pas. C'est possible."

Pourquoi avez-vous quitté la France. Pourquoi vivez-vous maintenant à l'étranger?

"Surtout pour changer. J'ai du mal à apprendre les langues étrangères et finalement je crois que j'avais envie d'apprendre l'anglais. Je crois que c'est la raison de base, la seule possibilité pour moi parce que je suis très mauvais en langues étrangères. Cela me demande des efforts énormes. C'était donc l'envie de vivre dans un pays où l'on parle anglais."

Quelle est jusqu'à présent votre impression de Prague?

"A vrai dire, mis à part le fait que c'est très beau, aucune. J'ai juste fait un tour dans le centre. Mais oui, c'est très beau ... "