La force d’un impuissant

Photo: Repro 'Objekt Julek' / Větrné mlýny
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« La victoire de l’esprit sur la matière » - c’est par ces paroles que le théologien dissident Josef Zvěřina a résumé la vie et la personnalité de Julius Augustin Varga, un homme qui a su résister à un sort qui semblait désespérée. La biographie de cette personnalité est le sujet d’une bande dessinée que son auteur Ondřej Elbel a intitulée Objekt Julek (Personne suivie : Julek). Le livre est sorti aux éditions Větrné mlýny.

Ondřej Elbel,  photo: Větrné mlýny
L’auteur de la bande dessinée Ondřej Elbel n’a pas eu l’occasion de connaître personnellement Julius Augustin Varga (1962-1996). Il n’en a pas été moins subjugué par le sort et la force intérieure de cet homme dont la situation semblait sans issue. C’est ainsi qu’il parle de celui qui devait devenir héros de sa bande dessinée :

« Julius Varga était une personnalité exceptionnelle qui a vécu dans une petite ville. C’était un homme extrêmement éprouvé. Atteint d’une grave maladie, il était très limité dans ces activités, mais il était pourtant une des personnalités les plus inspirantes dans la ville de Šumperk et dans les grands environs. »

La vie de Julius (Julek) Varga a été courte mais il n’est pas oublié par ceux qui ont eu l’occasion de l’approcher et de le connaître. Aujourd’hui encore son histoire continue à étonner et à intriguer. Des photos et un film réalisé pendant sa vie démontrent que c’était un être réduit à l’impuissance, une épave humaine qui ne pouvait pas bouger et dont les membres ont été rétrécis et déformés par la maladie. Il semble incroyable que ce malade dont les organes flanchaient souvent et dont le corps endolori ne cessait de le tourmenter, ait eu non seulement la force de continuer à vivre et à souffrir, mais aussi la volonté de s’instruire et d’aider les autres. Selon Ondřej Elbel, ce malade incurable a trouvé le moyen de vivre avec sa maladie :

« A sa naissance, Julek Varga était un enfant tout à fait normal, mais plus tard, probablement à la suite d’une vaccination, il a été atteint d’une maladie qui s’appelle la dermatomyosite. Pendant longtemps il n’est pas parvenu à accepter son infirmité. Il ne l’a acceptée qu’au moment où il a commencé à croire en Dieu. »

La force d’écouter, de comprendre et de conseiller

'Personne suivie : Julek',  photo: Větrné mlýny
Aidé par ses parents qui le soignent d’une manière exemplaire, le jeune converti commence à attirer dans son orbite des jeunes de son âge. Après avoir surmonté le premier choc de la vue de ce corps abîmé par la maladie, ses visiteurs, qu’ils soient chrétiens ou non-croyants, se mettent à sympathiser avec cet homme impuissant qui trouve cependant toujours la force de les écouter, de les comprendre et de les conseiller. Bientôt ils commencent à se plaire en sa présence, leurs visites ne leur semblent plus comme un acte de charité et ils finissent par se rendre compte que les relations avec ce malade leur sont utiles et même salutaires. Ondřej Elbel évoque l’importance que prend la maison de Julius Varga dans la ville de Šumperk, une petite agglomération située sous le massif de Jeseníky en Moravie du Nord :

« Ce qui a été très important c’est le fait que Julius Varga et son appartement sont devenus une espèce de centre socio-culturel de la ville de Šumperk. C’était un foyer ouvert à tout le monde, parfois il y avait jusqu’à quarante visiteurs par jour. Julek n’est pas seulement devenu le conseiller et confesseur de beaucoup de gens, le maître à penser de nombreux chrétiens et non-croyants. Il a appris, tout seul, cinq langues étrangères et il n’a pas cessé de s’instruire. Il a aussi lutté contre le régime communiste. C’est chez lui qu’on imprimait des pétitions rédigées par lui-même, pétitions qui étaient ensuite distribuées dans la ville. Il était une des personnalités les plus respectées de la région de Šumperk. »

Aux prises avec la StB

Photo: Repro 'Objekt Julek' / Větrné mlýny
Il est évident que ces activités de Julius Varga pendant la triste période de la normalisation, dans le pays occupé par l’armée soviétique et sous un régime autoritaire, attirent sur le jeune activiste l’attention de la StB, la police secrète du régime communiste. La bande dessinée d’Ondřej Elbel évoque entre autres l’épisode où Julius est convoqué à la police pour répondre de ses actes jugés subversifs. Les agents de la StB qui s’apprêtent à interroger cet impuissant apporté dans la salle d’interrogation dans les bras de sa mère, doivent cependant se rendre à l’évidence. Ce sont eux qui sont impuissants face à ce jeune dissident qui nie tout, ne leur donne aucune information valable et ne peut même pas signer le procès-verbal à cause de la difformité de ses mains. Cette confrontation entre l’impuissance d’un individu et la force brutale d’un système politique qui finit par la victoire de l’impuissant illustre bien ce que Václav Havel appelait « le pouvoir des sans-pouvoir ». C’est aussi un des moments forts de la bande dessinée de Ondřej Elbel, projet dont la réalisation a été assez compliquée :

« Ma première idée était d’écrire une pièce de théâtre à ce sujet. J’étais chef artistique et metteur en scène du théâtre de la ville de Šumperk et une des lignes dramaturgiques de notre troupe était l’adaptation pour la scène de sujets locaux. Et comme j’ai découvert par hasard l’histoire de Julius Varga, j’ai décidé de la présenter dans notre théâtre. Cependant le projet n’a finalement pas été réalisé parce qu’un groupe de conseillers municipaux a décidé de changer la direction du théâtre et la pièce a été retirée du répertoire encore avant sa première. J’ai donc présenté la pièce plusieurs fois sous forme de lecture scénique mais la portée de ce genre de manifestation me semblait insuffisante et j’ai décidé d’adapter cette histoire en bande dessinée pour la rendre plus accessible au grand public. »

Six dessinateurs différents

Ondřej Elbel a confié la réalisation de la bande dessinée à six dessinateurs différents qui ont illustré, chacun à sa manière, un chapitre de la vie de Julius Varga. Le résultat de ce travail collectif peut sembler assez disparate parce que les artistes n’ont pas cherché à unifier leurs moyens d’expression qui couvrent donc une large gamme de styles, du dessin classique à la caricature. Le livre s’ouvre par l’épisode de l’interrogatoire par la StB et dans les chapitres suivants les auteurs évoquent presque chronologiquement la vie de Julius, son désespoir, sa solitude, sa lutte contre la maladie, son acceptation de sa maladie, son ouverture aux autres, son rôle social et aussi ses engagements politiques sous le communisme et lors de la chute du régime en 1989. Ondřej Elbel a ajouté aux dessins de nombreuses notes explicatives et aussi des citations de textes rédigé par Julius qui illustrent ses idées et sa vie intérieure.

Un témoignage bouleversant et encourageant

Photo: Repro 'Objekt Julek' / Větrné mlýny
Julius Varga est mort en 1996 à l’âge de 33 ans. Sa courte existence a laissé une profonde trace dans la mémoire de ceux qui l’ont connu et dont les témoignages ont servi à Ondřej Elbel lorsqu’il écrivait sa pièce de théâtre et puis le scénario pour sa bande dessinée. Son livre sauve de l’oubli l’histoire de Julius Varga qui resurgit du passé et continue à apporter un témoignage bouleversant et encourageant sur la force infinie qui peut se cacher même dans l’esprit de ceux qui nous semblent les plus faibles. Ondřej Elbel s’interroge, lui-aussi, sur les sources de cette force :

« Je crois que c’était la foi profonde de Julius Varga qui faisait partie de cette force qui l’a aidé à survivre, à surmonter sa maladie et à devenir une grande inspiration pour son entourage. Ce qui m’a surtout intrigué dans cette histoire, c’est le fait qu’un homme aussi limité physiquement soit capable de faire des choses incroyables grâce à la seule force de son esprit. »