La bande dessinée tchèque, un art au seuil de la maturité

Le visiteur
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La bande dessinée se fait de plus en plus populaire en République tchèque ces derniers temps. Pourtant, c'est un genre qui est loin d'être aussi prisé comme, par exemple, en France et en Belgique et qui ne fait pas encore partie de ce que l'on appelle la "vraie littérature". On a toujours tendance à la considérer comme un art pour les enfants. Voici les témoignages de deux auteurs de bandes dessinées tchèques.

Tomas Prokupek est publiciste et rédacteur de la revue de bandes dessinées Ark, dont la BD « Le visiteur » a obtenu plusieurs prix internationaux pour le scénario et la réalisation. Tomas Prokupek est considéré comme un connaisseur du genre. A son avis, la bande dessinée tchèque n'occupe pas la place qu'elle mérite:

"La situation de la BD tchèque n'est toujours pas très bonne. La raison principale est qu'à l'époque du communisme la continuité de l'évolution a été coupée. En ce moment on cherche donc à renouer avec quelque chose qui n'a pas pu fonctionner pendant quarante ans, mais la génération des quadragénaires et des plus âgés estime toujours que les BD sont pour les enfants et que leurs possibilités sont limitées. Mais la BD est, au contraire, un media ouvert et comparable à la littérature ou au cinéma. La forme de la bande dessinée n'est pas restreinte, il ne dépend que de l'auteur quel contenu il saura donner à cette forme.

Pourquoi les Tchèques lisent assez peu les BD? C'est dû en partie au fait que les Tchèques n'ont pas vécu avec les comics pendant leur enfance et leur adolescence, qu'il n'y ont donc pas trouvé de modèles de comportement. En plus, actuellement la BD doit se mesurer à une forte concurrence qui n'existait pas auparavant, internet, les jeux vidéo, les multimédias, etc. La BD exige une attitude plus active que ces nouveaux médias et il n'est pas facile pour elle de leur faire face. Et de surcroît, chez nous, la bande dessinée ne marche pas économiquement. Elle est peu publiée et peu lue. C'est donc un cercle vicieux dont on n'arrive pas à sortir.

Aux Etats-Unis, où les comics atteignent les plus gros tirages, ils sont paradoxalement perçus comme chez nous avec un certain mépris. On y publie avant tout des séries sur des supers héros. C'est en France que la situation est la plus intéressante pour un auteur de BD. La situation de ces auteurs est comparable avec celle des autres artistes. Là-bas, il existe aussi des écoles supérieures ou l'on peut étudier le dessin ou le scénario de la bande dessinée. Je crois que la France et la Belgique sont les pays les plus favorables à la BD. "


Que faire pour améliorer la position et la perception de la bande dessiné en Tchéquie? Tomas Prokupek voit un espoir dans l'activité de certains éditeurs éclairés. Il apprécie notamment dans ce contexte la maison d'édition Labyrint qui a publié la trilogie Alois Nebel : Le Ruisseau blanc, La Gare centrale et Les monts d'or, histoire d'un cheminot auquel les trains qui passent ont dérangé l'esprit. Le livre créé par le scénariste Jaroslav Rudis (1972) et le dessinateur Jaromir 99 (1963) a été publié grâce à l'éditeur Joachim Dvorak. Tomas Prokupek propose cependant aussi une autre stratégie :

"Je vois une possibilité aussi dans la publication de bandes dessinées dans des magazines et des revues qui ne sont pas destinés exclusivement à la poignée de fans de la BD, ce que l'on réussit, peu à peu, à faire. Il y a aussi des tentatives de certains auteurs tchèques de s'imposer à l'étranger, et après avoir fait leurs preuves devant d'autres publics, revenir pour attirer aussi le public tchèque. Je crois que c'est également une voie à suivre."


Jiri Grus (26) appartient à la jeune génération des dessinateurs qui sont l'espoir de la BD tchèque. Il a déjà obtenu plusieurs prix de la meilleure bande dessinée et même sa thèse de fin d'études à l'Académie des Arts à Prague a été une espèce de BD, d'ailleurs très appréciée par la commission pédagogique. Il est entré dans le monde des comics à peu près à l'âge de douze ans en publiant ses premiers essais dans une revue slovaque. Il a raconté par le dessin l'histoire d'un habitant d'un HLM enlevé par un démon ailé qui l'amène dans les hautes montagnes. La revue a non seulement publié ses oeuvres mais lui a aussi payé ses premiers honoraires, ce qui a rendu le jeune auteur beaucoup plus respectable aux yeux de ses parents. Pour autant, il ne pense pas que la BD soit un genre enfantin:

"Il faut s'occuper plus profondément de la bande dessinée pour connaître les recoins de cette problématique et on verra que le mythe sur la distraction pour les enfants n'est plus valable. Déjà dans les années quatre-vingt-dix, la BD est devenue adulte et aujourd'hui on peut y trouver toute une gamme de thèmes, depuis les sujets autobiographiques, politiques, satiriques, jusqu'aux comics commerciaux genre supers héros caractérisés aujourd'hui cependant par des dépassements intéressants. Certains auteurs qui travaillent à la main utilisent la peinture à l'huile, l'aquarelle et des techniques de maîtres anciens. Ainsi, lorsque l'on est dégoûté par le contenu, on peut se délecter par la forme. La bande dessinée qui est une adaptation d'une oeuvre littéraire ou qui fait la publicité d'un produit ne m'intéresse pas beaucoup. Je crois pourtant qu'une bande dessinée dans laquelle on voit superman distribuer des préservatifs peut faire comprendre que le sexe sans protection est un risque. Si cela aide quelqu'un, je ne suis pas contre. Mais la BD classique m'intéresse beaucoup plus. Quant à moi, je me laisserais surprendre par moi-même. Je ne sais pas comment je vais évoluer. Je ne vois mon avenir ni en noir, ni en blanc. Ce sera plutôt une nuance du gris."