Jiří Vacek : La Bibliothèque slave, mon destin

'La Bibliothèque slave, mon destin', photo: Národní knihovna ČR

Une mosaïque de souvenirs - c’est ainsi que le bibliothécaire Jiří Vacek caractérise son livre intitulé « La Bibliothèque slave, mon destin ». C’est un curieux livre de Mémoires qui retrace l’existence bientôt centenaire d’une bibliothèque. L’auteur dont la vie se confond avec l’existence d’une institution, nous rappelle que les bibliothèques ont été et restent les piliers de notre civilisation.

Toute une vie vouée à une seule institution

'La Bibliothèque slave,  mon destin',  photo: Národní knihovna ČR
Jiří Vacek commence à fréquenter la Bibliothèque slave de Prague dès ses études à l’Ecole supérieure de langue et de littérature russes et tombe rapidement sous le charme de cette institution et de ses employés. Il devient l’un d’eux le 1er juillet 1964. D’abord chargé du suivi des articles sur la philologie et la littérature publiés dans les périodiques russes et polonais, Jiří Vacek restera fidèle à la Bibliothèque slave pendant toute sa vie. Il se souvient :

« J’ai l’impression que c’était hier. Parce que les visages des gens que j’ai connus et avec lesquels j’ai vécu et qui sont devenus mes amis, se sont gravés dans ma mémoire. Quand je ferme les yeux, je me souviens de la majorité des bibliothécaires qui étaient de deux générations plus âgés que moi. J’ai connu de nombreux bibliothécaires qui ont travaillé à la bibliothèque depuis son ouverture dans les années 1920. Parmi eux, il y avait beaucoup d’émigrés, notamment de nationalité russe et ukrainienne. Certains de ces émigrés travaillaient encore dans notre bibliothèque dans les années 1960 et 1970, donc à une époque où pour des raisons bien connues, il n’était pas sans danger de dire du bien de l’émigration russe. Cependant, notre directeur Josef Strnadel cherchait à faciliter par tous les moyens le sort des gens qui, pour des raisons politiques ou autres, étaient indésirables, et il les employait malgré les problèmes que cela pouvait engendrer. »

Les origines de la Bibliothèque slave

Fondée en 1924, l’institution s’appelle d’abord « La Bibliothèque russe du ministère des Affaires étrangères ». Elle naît dans le cadre des activités du soutien pour l’émigration russe initiées par le premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk. C’est une initiative importante. Des écoles, des institutions culturelles et des associations sont créées pour assurer un bon niveau de la vie aux Russes chassés de leur pays après la Grande révolution d’octobre. De nombreux émigrés russes trouvent alors en Tchécoslovaquie la possibilité de poursuivre leurs études et leurs recherches scientifiques, ainsi que des conditions propices à l’éducation de leurs enfants. Jiří Vacek rappelle que les documents russes constituaient la base des fonds de toute la bibliothèque :

Photo: Facebook de Slovanská knihovna
« Il existe un grand ensemble de livres et surtout de périodiques de l’émigration russe. Il attire les chercheurs de nombreux pays, du Canada au Japon. Dans l’entre-deux guerre, il y avait à Prague ce qu’on appelait ‘les archives historiques russes’ qui réunissaient surtout les documents sur les mouvements sociaux et révolutionnaires en Russie au XIXe et au début du XXe siècles. A l’origine, ces fonds s’appelaient ‘Archives de la révolution russe’, mais plus tard leur champ d’intérêt s’est surtout étendu sur l’émigration russe. Aujourd’hui, la bibliothèque abrite un ensemble unique de livres et de périodiques de l’émigration russe de tous les continents : d’Extrême-Orient, d’Australie, des deux Amériques et bien sûr pratiquement de toute l’Europe. »

Sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères

En 1927, les fondateurs de la bibliothèque décident que l’institution abritera désormais aussi les documents sur les littératures d’autres peuples slaves et qu’elle s’appellera « La Bibliothèque slave du ministère des Affaires étrangères ». Placée sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, l’institution réussit à accumuler avec le temps une quantité considérable de documents qui sont remarquables aussi par leurs qualités. Les nouvelles acquisitions arrivent d’une douzaine de pays et font l’objet d’importants échanges internationaux. Dans les années 1920 et 1930, l’établissement entretient des contacts avec près de trois cents bibliothèques et centres de documentions dans 150 villes de vingt-six pays. Entre 1925 et 1926, le nombre d’acquisitions annuelles s’élève à 50 000. Il s’agit notamment d’ouvrages historiques et philologiques, les ouvrages sur les sciences naturelles et la médecine n’y figurant pas. L’institution n’est donc plus uniquement une bibliothèque russe. Jiří Vacek précise :

Photo: Facebook de Slovanská knihovna
« Evidemment, les documents du fond russe représentaient toujours, même avant la guerre, au moins le tiers des fonds de la bibliothèque, mais la deuxième position était occupée par les fonds polonais, puis ukrainien et ainsi de suite jusqu’au fond de la Serbie blanche, aujourd’hui une région d’Allemagne orientale, le fond du plus petite peuple slave. »

Durant l’entre-deux- guerres le ministère des Affaires étrangères poursuit énergiquement la recherche de nouvelles acquisitions. Il achète par exemple plusieurs bibliothèques privées dans leur intégralité, dont trois notamment à Lvov. Un de ces ensembles comprend plusieurs centaines d’ouvrages imprimés en Pologne à partir du XVIe siècle. Des bibliothèques privées sont achetées aussi dans les Balkans, à Ljubljana et à Zagreb, parmi lesquelles la bibliothèque de Dubrovnik, la « Ragusiana », qui comprend d’innombrables ouvrages publiés à partir du XVIe siècle, c’est-à-dire à partir de la période de la Renaissance ragusaine. Et la Bibliothèque slave abrite aussi un certain nombre de documents bulgares de l’époque où le pays était occupé par l’Empire ottoman.

Abritée d’abord dans le pavillon de la Réserve de chasse royale, aujourd’hui le parc de Stromovka à Prague, la bibliothèque se retrouve bientôt à l’étroit. Vers la fin des années 1920, elle quitte donc le pavillon devenu trop petit pour s’installer dans les combles du Klementinum, ancien collège des jésuites dans la Vieille Ville de Prague, aujourd’hui siège de la Bibliothèque nationale. C’est là où la Bibliothèque slave se trouve encore de nos jours, un siècle ou presque après sa fondation. Elle a survécu à la guerre et aux quatre décennies du régime communiste sans perdre ses fonds et son importance.

Mémoire vivante des collections et de l’histoire de la Bibliothèque slave

Photo: Facebook de Slovanská knihovna
Aujourd’hui, la Bibliothèque slave fait partie de la Bibliothèque nationale de Prague, mais elle garde une certaine autonomie. Jiří Vacek, qui en a été le directeur de 1978 à 1992, constate qu’il n’existe actuellement que peu d’institutions comparables :

« Il ne faut pas oublier dans ce contexte le département slave de la Bibliothèque universitaire de Helsinki. Comme on le sait, la Finlande a été jusqu’en 1917 une principauté autonome dans le cadre de l’Empire russe. C’était donc une institution qui comptait parmi les trois bibliothèques sur le territoire russe ayant le droit de recevoir un exemplaire de tout ce qui était publié en Russie. Grâce à cela, cette bibliothèque possède aujourd’hui un ensemble complet de livres et de périodiques publiés en Russie depuis les années1820 jusqu’en 1917. C’est donc l’unique bibliothèque européenne qui est comparable à la Bibliothèque slave de Prague. »

Avec le temps, Jiří Vacek est devenu un grand spécialiste de la slavistique, un grand connaisseur des collections de la Bibliothèque slave et de son histoire. Son immense culture et ses expériences de bibliothécaire lui permettent de s’orienter avec aisance dans les immenses fonds de la bibliothèque et d’aider les chercheurs des nationalités les plus diverses. Sa mémoire prodigieuse lui a aussi permis de faire resurgir du passé et d’évoquer dans son livre d’innombrables personnalités liées de diverses manières à sa bibliothèque, ses collègues bibliothécaires, des émigrés russes et ukrainiens, des chercheurs, historiens, philologues, écrivains et poètes qui venaient pour puiser dans les rayons et souvent pour lui demander conseil. Ces personnages qui ont animé la vielle institution insufflent aussi la vie au livre de ce témoin à la mémoire phénoménale qui s’est fait chroniqueur de la Bibliothèque slave de Prague.