Gao Xingjian : « J’ai besoin de la liberté d’écrire pour sentir que je suis encore vivant »

Gao Xingjian, photo: www.pwf.cz

« L’art est un besoin intérieur de l’humanité. Une consolation », dit l’écrivain chinois Gao Xingjian, auteur du roman « La montagne de l’Âme », qui lui a valu en l’an 2000 le prix Nobel de Littérature. Ce n’est qu’après son départ pour l’exil que l’auteur a pu publier ce livre inclassable qui ne respecte pas les règles du roman classique. Le livre a été traduit dans beaucoup de langues, parmi lesquelles le tchèque. Après son départ de Chine, Gao Xingjian a acquis la nationalité française. Aujourd’hui il vit en France et partage sa création entre la littérature, la peinture et le théâtre. Il était un des invités du 20e Festival des écrivains qui s’est tenu à Prague du 6 au 10 juin. Radio Prague a saisi l’occasion pour l’interroger sur plusieurs aspects de sa vie et de son œuvre.

Gao Xingjian,  photo: www.pwf.cz
N’avez-vous pas hésité avant de devenir écrivain ? Est-ce vous qui avez choisi la littérature comme moyen d’expression ou est-ce la littérature qui vous a choisi ?

« Depuis mon enfance je m’amusais à écrire, j’ai fait de la peinture et j’ai joué aussi du théâtre. A l’âge de cinq ans, je suis monté pour la première fois sur la scène avec ma mère. Et j’ai créé aussi une troupe de théâtre avec des étudiants. Depuis ma jeunesse, depuis mon enfance, j’ai donc une passion pour le théâtre, la littérature et la peinture. L`écriture, la littérature, c’est plutôt une nécessité pour moi pour sentir que je suis vivant. J’ai ma propre pensée, mes sensations, je dois m’exprimer. A l’époque de Mao Tsé-toung, il n’y avait que la pensée unique, la seule pensée correcte était sa pensée. Dans toutes circonstances, même si l’on parlait en famille, on ne pouvait pas dire n’importe quoi, de peur d’être dénoncé. Ce qui se passait aussi en Europe, dans les pays de l’Est. C’est pourquoi, l’écriture pour moi est une nécessité. Et après, je m’en fous. Peu importe si c’est publié ou non. Mais j’ai besoin de cette liberté d’écrire pour sentir que je suis encore vivant. »

Votre livre « La Montagne de l’âme » a suscité de nombreuses réactions et interprétations. Est-ce un voyage initiatique, un récit autobiographique, la découverte de la Chine profonde, une poursuite de soi-même ? Que pensez-vous de toutes ces tentatives de caractériser votre livre qui pourtant échappe à toute classification ?

Photo: www.pwf.cz
« C’était un livre pour moi même. Je l’ai écrit à l’époque, après la mort de Mao Tsé-toung où on a commencé à reprendre des activités artistiques. C’était possible mais la censure nous surveillait toujours. En ce temps-là, tous les écrivains s’auto-censuraient pour se faire publier. Moi pour pouvoir publier mes premiers manuscrits, j’ai aussi pratiqué cette autocensure. Même avec cette autocensure tous mes écrits étaient attaqués, critiqués et interdits. Alors je me disais que c’était tout à fait stupide, cette autocensure et que je devais écrire au moins un livre pour moi-même sans penser à la possibilité d’être publié ou non de mon vivant. C’est ainsi qu’est née ‘La Montagne de l’âme’. Une fois prise cette décision-là, on est libre. On est tellement libre qu’on peut écrire vraiment un livre sans se soucier de comment le classer. Peu importe. Cela doit être un vrai livre pour moi. C’est-à-dire mes réflexions. Il faut trouver aussi une forme aussi souple qu’elle peut accepter, qu’elle peut contenir, toutes les réflexions possibles. »

Aviez-vous l’intention d’écrire un roman ? Est-ce encore un roman ?

« Oui, c’est un défi à la conception romanesque bien définie. Bien sûr, c’est aussi une recherche de l’art de la narration. Moi je pense que pour le roman les intrigues, la fiction ne sont pas tellement nécessaires. On peut dépasser toutes ces conceptions romanesques. Ce dont on ne peut pas se passer pour le roman, c’est la narration. Bien sûr, il y a un narrateur qui raconte. Si l’on tient encore à la narration, ce n’est plus la prose ou l’essai, c’est quand même le roman. Pour moi, c’est la dernière définition, la limite de cet art-là. »

Dans votre jeunesse vous vous êtes nourri de littérature française, Hugo, Balzac, Flaubert etc. Est-ce que les écrivains centre-européens ont joué aussi un rôle dans votre création ?

« On a très peu traduit. Le premier roman tchèque que j’ai lu, c’est Hašek qui a écrit ‘Le Brave soldat Chweik’. (Rires) J’ai lu ça. Cela me fascine aussi, cet humour. C’est burlesque. C’est un autre sens de l’humour que je ne connaissais pas avant. Je n’ai pas lu seulement, comme vous l’avez dit tout à l’heure, les auteurs français classiques. J’ai un intérêt et une curiosité très vastes. J’ai lu presque tout ce qu’on peut trouver à la bibliothèque. Les traductions d’auteurs de littératures anglaise, allemande, italienne, russe et même américaine. J’ai beaucoup lu y compris des auteurs tchèques. »

Il y a eu un grand tournant dans votre vie, et c’était votre départ de Chine. Ce départ, cet exil a-t-il vraiment changé votre vie ? Et considérez-vous votre situation actuelle comme un exil ?

'Ciel et Terre'
« En Chine je n’arrivais pas à imaginer la vie en exil. Même quand j’habitais en France, encore avant les événements de Tian’anmen, je ne pensais pas qu’un jour je pourrais mener une vie en exil en Occident. Je comprends assez bien les conditions des écrivains occidentaux. Il faut gagner sa vie par l’écriture. C’est très, très pénible, sans parler d’un écrivain qui n’écrit pas dans la langue du pays, qui n’est pas reconnu dans le pays. Comment peut-il vivre en tant qu’écrivain ? J`étais déjà au courant de ça quand je suis allé à Paris. Mais d’un coup, en 1989, les événements de Tian’anmen ont été là et j’ai été obligé de prendre la décision si je voulais rester ou rentrer en Chine. Si j’étais rentré en Chine, c’en aurait été fini de ma liberté. J’ai donc pris la décision. D’ailleurs, j’avais déjà condamné et critiqué ce massacre et je ne pouvais donc pas rentrer. Heureusement j’avais déjà d’autres moyens. Mes tableaux ont été très vite appréciés et je gagnais ma vie par ma peinture, par mes tableaux. C’était impensable quand j’étais en Chine parce qu’on ne pouvait pas vendre des tableaux en ce temps-là. Après le départ j’ai pu me lancer vraiment dans mon travail de l’écriture et dans d’autres activités, y compris le théâtre. »

Quel rôle le Prix Nobel a-t-il joué dans votre vie ?

Le Prix Nobel pour Gao Xingjian,  photo: Hans Mehlin,  Nobel Web AB 2000
« Oui, d’un coup c’était un tourbillon. Le jour de l’annonce de ce prix j’ai été emporté par les mass medias. Et après c’étaient des voyages, des invitations, des obligations, c’était très, très fatigant, et j’en suis tombé gravement malade. C’étaient comme ça pendant quelques années. Et après, c’était aussi une bataille pour reprendre ma liberté, mon emploi du temps parce que je suis un artiste et je ne peux pas être une décoration de n’importe quelle circonstance. Dans ce cas là j’ai persisté à réorganiser ma vie et à reprendre mon travail d’artiste et d’écrivain. »

Votre vie ressemble un peu à celle de Milan Kundera. Comme vous il est parti, il s’est exilé, il s’est établi finalement en France mais il est devenu écrivain français. N’êtes-vous pas tenté de devenir aussi écrivain français ?

« Je le suis déjà. J’ai ma nationalité française. »

Mais vous écrivez quand même en chinois…

« … et aussi en français. Tout récemment j’ai publié ma cinquième pièce écrite directement en français qui a été jouée à Paris en mars. Voilà. »