Comment amener une baleine sous un chapiteau

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Avez-vous lu « Moby Dick ou la Baleine blanche », le célèbre roman de Hermann Melville ? Connaissez-vous cette aventure fascinante du capitaine Achab qui se lance à la poursuite d'une baleine en laquelle il trouve un rival à sa taille ? L'histoire de cette homme passionné qui finit par sacrifier sa vie, son bateau et son équipage dans ce combat de géants, est sans doute un des livres les plus célèbres de la littérature américaine du XIXe siècle. Il a été plusieurs fois porté à l'écran, adapté en bande dessinée et a inspiré aussi Daniel Gulko de l'ensemble Cahin Caha qui a décidé d'en faire un spectacle de cirque. Daniel Gulko, un des artistes invités du festival du nouveau cirque Letni Letna à Prague, a révélé quelques aspects intéressants de son projet à Radio Prague.

« C'est un nouveau spectacle qui n'est pas prêt. De la part du festival c'est un acte de foi, un geste de soutien parce que le spectacle ne sera créé qu'en mars 2007. Ici on va montrer une sorte de « work in progress », un bout du travail, donc pour nous c'est très bien. »

Les spectateurs pragois ne verront donc au festival, les 1er, 2 et 3 septembre, qu'une partie du spectacle de la compagnie Cahin Caha intitulé « Moby Dick incarcéré » que son auteur situera dans le contexte moderne et dont la réalisation définitive prendra encore quelques mois. Daniel Gulko travaille sur ce projet avec Petr Forman du Théâtre des frères Forman, ensemble qui s'est fait connaître par des créations expérimentales. Après avoir monté un spectacle inspiré par les contes des frères Grimm, avec lequel il est venu à Prague il y a deux ans, Daniel Gulko récidive et cherche de nouveau son inspiration dans la littérature. Une fois de plus on se pose donc la question : La littérature est-elle adaptable pour le cirque ?

«En fait, je n'aime pas les sujets littéraires. Je ne les aime pas du tout. Je n'en ai jamais fait avant « Grimm ». Avec « Grimm » c'était une découverte du pouvoir de l'histoire mais aussi de la difficulté de respecter l'histoire, de faire plier la forme à l'histoire parce que c'est physiquement difficile, parce qu'il est techniquement difficile d'exprimer par des images les différents moments de l'histoire. Il ne s'agit absolument pas des raisons artistiques mais techniques. Donc c'était une lutte pour raconter une histoire en gardant cet engagement physique. J'ai choisi Moby Dick parce que je voulais encore expérimenter, donner la place à l'histoire mais garder le côté rituel, expérimental, le côté d'expérimentation corporelle. »


J'ai lu Moby Dick pour la première fois dans mon enfance. J'ai été fasciné par cette histoire du capitane Achab qui consacre toute son existence à la poursuite de Moby Dick, une poursuite qui lui coûtera la vie. En ce temps-là, c'était pour moi surtout un roman d'aventures. Aujourd'hui, c'est pour moi plutôt un livre sur une obsession, roman sur un homme qui finit par être complètement aveuglé par la soif de lutte et de vengeance. Daniel Gulko voit encore d'autres aspects du livre :

« C'est rigolo, moi aussi j'ai lu Moby Dick très jeune et je me souviens de quelque chose de tellement énorme, difficile à soutenir mais très fascinant. Maintenant quand je le relis (je suis à ma quatrième lecture, trois fois en anglais et une fois en français pour la version française), j'y vois un livre très drôle, un livre qui est aussi très bizarre dans sa forme. Souvent Melville cesse de raconter l'histoire pour nous parler de toutes les espèces de baleines, ensuite il quitte la narration pour nous dire comment un charpentier fait les rames d'une barque de chasse, il va dans les détails complètement techniques et ce n'est qu'après qu'il revient à l'histoire. Quand le livre est sorti, les gens ne l'aimaient pas parce que il n'y pas assez d'histoire. Cependant, quand on a ressorti le livre au début du XXe siècle, c'était une découverte pour les surréalistes et pour les dadaïstes qui ont dit : 'Cet écrivain fait du collage avant qu'on ait découvert l'art du collage. Et c'est aussi ce que je vois.' »

A son avis, ce sont les pétroliers qui sont les monstres marins dangereux de notre temps. D'ailleurs, il serait trop simple de réduire le rôle de Moby Dick dans le roman à un symbole du mal. Melville est un grand écrivain et son oeuvre nous propose toute une gamme d'interprétations qui ne sont pas toujours évidentes au premier abord. Vue sous cet angle, la baleine blanche prend une signification beaucoup plus large:

« Le capitane Achab est tellement obsédé par cette baleine qu'il se détruit. Et en même temps il nous dit dans le livre : 'La vie, ce n'est pas se réveiller, gagner un peu d'argent, manger son repas du soir et aller se coucher. La vie c'est la passion, c'est la quête intérieure.' C'est très beau et cela nous attire tous. Sauf que lui, il va aller jusqu'à l'obsession, jusqu'à ne plus s'occuper de lui et de son équipe. Et il dit aussi une autre chose qui est très belle : 'Ce que nous voyons n'est qu'un masque et il faut lever ce masque et toucher ce qui est en dessous. Peut-être la baleine n'est qu'un masque, peut-être la baleine est le mal qui est en dessous et il faut détruire le masque pour voir ce qui est en dessous.' Je ne sais pas si vous comprenez. Et il y a encore une autre chose que dit Melville: 'La baleine n'est pas le mal. Ce n'est pas possible. Le mal n'existe pas. C'est une idée que nous avons créée. La baleine est un animal qui vit sa vie mais c'est l'homme qui crée le mal.'»