Bernard Minier : « J'espère m’inscrire dans la durée »

Bernard Minier, photo: © Bruno Lévy

Pendant une grande partie de sa vie Bernard Minier a été douanier et il a failli le rester jusqu’à la fin de sa carrière professionnelle. C’est grâce à un spécialiste du polar qui lui dit un jour de finir son roman « Glacé » qu’il se lance dans l’écriture et devient un des meilleurs auteurs français de romans policiers. Ses livres ont été traduits en plusieurs langues et même en tchèque. La maison d’édition XYZ a publié les traductions tchèques de ses romans « Glacé » et « Le Cercle ». Venu présenter la traduction de son deuxième roman aux lecteurs tchèques, Bernard Minier a accordé à Radio Prague un entretien dont nous vous présentons ici la seconde partie.

Bernard Minier,  photo: © Bruno Lévy
Avant de devenir écrivain, vous avez été fonctionnaire des douanes. Est-ce une bonne préparation pour devenir auteur de romans policiers ?

« Alors là, c’est une question à laquelle j’aurais du mal à répondre. Je ne pense pas du tout que ce soit une préparation pour devenir romancier. Que vous dire à ce sujet ? Que ça m’a donné une discipline, c’est-à-dire que j’avais l’habitude de travailler avec des horaires fixes et je continue. C’est bien parce c’est un métier où l’on est extrêmement libre de ses mouvements et donc on peut être tenté de reporter les choses au lendemain. Voilà, cette discipline que j’ai acquise quand j’étais dans les douanes, je la conserve. C’est à peu près la seule chose que cela m’ait apporté en matière d’écriture. »

Le héros de votre série de polars, Martin Servaz, commandant de police, est déjà célèbre. Pouvez-vous brosser un court portrait psychologique de ce personnage?

« Alors mon Servaz, c’est un type presqu’anormalement normal. C’est ce que je voulais faire. Ce n’est surtout pas un type ‘borderline’, alcoolique et flingueur qu’on a l’habitude de voir. C’est quelqu’un qui a le vertige, qui a peur de la vitesse, qui oublie toujours son arme dans sa boîte à gants, mais en même temps c’est un travailleur obsessionnel, acharné et surtout acharné à questionner les apparences. Et c’est en ça qu’il m’intéresse parce qu’au fond, à travers ses enquêtes, non seulement il questionne pour trouver un coupable, mais sa question va au-delà de ça, il cherche la vérité derrière les apparences d’une manière générale. Et c’est surtout quelqu’un qui ne voit pas la vie comme un flic, encore que j’ai rencontré beaucoup de policiers, parce que maintenant j’en connais quelques-uns pour qui c’est le cas aussi. Il voulait être écrivain quand il était jeune et il voit la vie plutôt comme un philosophe, comme un érudit. Et ça m’intéressait beaucoup, de faire en sorte que sa vision des choses soit différente. »

Quelle part de vous-même avez-vous mis dans Martin Servaz ?

« Le moins possible. Non, il y a un aspect de moi en tout cas. Je pense que je n’ai pas ses qualités mais j’ai certains de ses défauts et en particulier j’ai le plus grand mal avec les nouvelles technologies, les téléphones portables, les ordinateurs, les réseaux sociaux, c’est la plus grande difficulté pour moi. Je suis resté ancré dans le XXe siècle et j’ai eu du mal à entrer dans le XXIe. Et en cela nous sommes assez semblables. »

Martin Servaz est héros de trois de vos romans « Glacé », « Le Cercle » et « N’éteint pas la lumière ». Evolue-t-il au cours de ces trois romans et dans quel sens ?

« Oui, je pense qu’il évolue. Il évolue déjà dans le premier, dans « Glacé » puisqu’il est confronté à cette espèce de double, de double noir, de miroir, d’alter-ego négatif, ce qui le fait se remettre pas mal en question, et surtout dans ‘ Le Cercle’, où il n’est pas mal cabossé à la fin du livre, où il retrouve son ancien amour de jeunesse et où tout ça va très mal se passer. Après, on ne va pas dévoiler ce qui se passe dans le troisième parce que les Polonais vont lire le second. Mais oui, je pense qu’il change d’un livre à l’autre et je suis en train d’écrire le quatrième, et pour le coup, dès le départ, il lui arrive une expérience extrême traumatisante, extrêmement forte, dont je ne dirai rien ici, il faudra lire le livre. C’est une de ces expériences fondamentales, il y en a peu d’une telle dimension, qui font qu’on en revient toujours totalement changé. Toutes les personnes qui ont vécu cette expérience en sont revenues changées de fond en comble. »

Votre dernier roman « Une putain d’histoire » est situé aux Etats-Unis. Pourquoi ce changement, ce dépaysement ? Voulez-vous vous mesurer avec les auteurs de grands polars américains ?

Photo: XO
« Je n’aurais pas cette prétention, ce serait un peu comme boxer contre Mohammed Ali, il faut quand même connaître ses limites. Non, c’était plutôt que j’avais envie de faire une parenthèse, de m’essayer à autre chose et j’avais surtout envie de parler un peu de mes lectures de jeunesse. Il s’agissait de Marc Twain, Sallinger, ce mythe de la jeunesse toujours présent dans la littérature américaine. C’est une idée qui m’est venue en 2013 avec l’affaire Snowden puisque c’est un roman dont l’un des thèmes principaux est la surveillance globale de l’humanité connectée, et donc quasiment la fin de la vie privée. C’est un des sujets principaux. Donc voilà, ça ne pouvait que se passer là-bas. Donc je me suis rendu là-bas, j’ai rencontré des shérifs, des policiers, j’ai enquêté et je suis revenu avec ce livre. Mais c’est une parenthèse qui est déjà refermée. Et je vais revenir à mon personnage fétiche et à mes fondamentaux. »

N’êtes-vous pas tenté de vous imposer sur le marché des livres américain ?

« Je suis traduit aux Etats-Unis. Les deux premiers romans. ‘Le Cercle » sort d’ailleurs ce mois-ci, en même temps qu’en République tchèque. Il sort après ‘Glacé’ chez St. Martins’ Press, une grande maison d’édition. Evidemment j’aimerais bien m’imposer sur le marché américain mais ça ne dépend pas que de moi. »

« Glacé » et « Le Cercle » ont été déjà traduits en tchèque. Les traductions de vos romans en langues étrangères sont-ils importantes pour vous ?

Bernard Minier,  photo: Albatros Media
« Oui, c’est quelque chose que je trouve quasiment miraculeux, absolument formidable, d’avoir écrit des livres qui se passent dans le Sud-Ouest de la France et qui sont ancrés dans une réalité géographique très précise, très circonscrite, les Pyrénées, Toulouse, le Sud-Ouest, les flics, etc., et de m’apercevoir que des lecteurs allemands, polonais, tchèques, anglais, italiens y trouvent leur compte et finalement se reconnaissent dans ces personnages qui sont tellement français. Je trouve ça extraordinaire. C’est peut-être aussi parce que je suis persuadé que plus on creuse profondément son petit coin de jardin, plus on arrive à quelque chose d’universel, c’est-à-dire qui parle à tous et pour tous. Et inversement, plus on ratisse large, plus on s’éloigne du sujet. »

Qu’est-ce que cela vous fait quand les personnages de vos romans parlent dans des langues étrangères dans les traductions de ces livres ?

« Eh bien, comme je ne maîtrise pas forcément d’autres langues, à part l’espagnol un petit peu et l’anglais, je ne peux regarder ça que de très loin. En anglais, c’est surprenant. J’ai la chance d’avoir de bons traducteurs en tout cas, j’en connais quelques-uns et j’ai pu avoir lu quelques articles dans la presse. Les traductions sont appréciées et c’est quand même une chance énorme. »

Comment voyez-vous votre avenir littéraire ?

« Je le vois le plus long possible. J’espère m’inscrire dans la durée parce que c’est ce qui est le plus difficile, en fait. Ce n’est pas d’obtenir un succès ou deux, c’est de durer. Ma fois je pense que je vais continuer avec Servaz pendant quelque temps mais un jour ou l’autre il faudra passer à autre chose. »

N’êtes-vous pas tenté de sortir du domaine policier et d’écrire un livre tout à fait différent, un livre d’un autre genre ?

« Si, si, j’y ai déjà songé. J’avais envie d’écrire un livre de jeunesse ou de m’inscrire dans d’autres genres. Pour l’instant je suis un écrivain qui est assez lent dans son écriture, chaque livre me prend dix-huit mois et ça ne me laisse guère de temps pour m’écarter de cette voie-là. Mais ça viendra. »