A la recherche de la poésie authentique de la Chine ancienne

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« Je suis convaincu que la poésie chinoise a survécu tout simplement parce qu'il était facile de la tenir en mémoire. Il y avait le rythme et la mélodie, il était facile de l'apprendre par coeur », dit Ferdinand Stoces, homme pour qui la poésie de la Chine ancienne est devenue la passion de toute sa vie. Né en Tchécoslovaquie, cet ingénieur agricole a vécu et travaillé en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Aujourd'hui, à l'âge de 77 ans, il partage sa vie entre la Tchéquie et la France.

Ferdinand Stoces
Comment devient-on traducteur de la poésie chinoise ?

« Je suis devenu traducteur de la poésie chinoise tout simplement par amour, parce que j'adorais la poésie de la Chine ancienne. Nous avions à l'époque en Tchécoslovaquie un livre de poèmes de la Chine ancienne que j'ai appris par coeur et j'adorais cette poésie. Malheureusement j'ai appris par la suite qu'une grande partie des poèmes que je connaissais par coeur étaient des oeuvres d'Alfred Henschke qui disait clairement : 'Moi, j'invente mes poèmes'. Et les autres poèmes ont été des oeuvres retraduites de Judith Gauthier. Or la plupart des poèmes du livre de Judith Gauthier, intitulé 'Le Livre de Jade' paru en 1867, ne correspondaient pas non plus aux originaux chinois. »

Vous parlez du livre par lequel vous avez fait pour la première fois connaissance de la poésie chinoise ancienne. C'était le livre des poèmes traduits et choisis par Bohumil Mathesius. Quelle était la méthode de ce traducteur ?

« Tous les poèmes réunis dans son premier livre, ont été traduits par Mathesius directement de l'allemand. »

Comment voyez-vous aujourd'hui les traductions de Bohumil Mathesius?

«Ce qu'il a fait par la suite avec le sinologue et académicien Prusek, c'étaient de très belles traductions. Il a réussi à attirer l'attention, en 1939 et 1940, avec des livres quoi étaient en grande partie des paraphrases. Mais on ne sait pas exactement à partir de quoi il a fait ces paraphrases. »

Où avez-vous appris le chinois ?

« J'ai étudié le chinois, deux ans environs, avec ma professeur Mme Zheng Su, mais mon but n'était pas du tout d'apprendre le chinois pour faire des traductions de poèmes, bien que nous ayons pris pour matière pour notre étude qui a duré deux ans, le livre « Fleurs de camélias » de Li Ch'ing-Chao. Mon but a été de comprendre la langue et la façon de penser, mais je ne cherchais pas à devenir traducteur. Comme je ne suis pas un sinologue de métier, je savais que si je voulais faire les traductions des poèmes en faisant moi-même les équivalents des caractère chinois, je n'arriverais à comprendre un tout petit peu ce qu'il faut qu'à un âge très avancé. Alors j'ai préféré prendre un raccourci et m'appuyer sur les traductions des sinologues ou sur celles de mes amis chinois qui étaient tous des savants et de grands admirateurs de la poésie chinoise ancienne. «

Quelle doit être donc d'après vous, la méthode du traducteur de la poésie chinoise. Quels aspects de cette poésie faut-il souligner, quels pièges faut-il éviter?

« Pour traduire un poème en français j'avais toujours besoin d'une traduction mot à mot en n'importe quelles langue, en russe, allemand, en tchèque, en français, et ensuite je me suis procuré toutes les interprétations de ce poème. Et j'avais devant moi tout cela pour faire ma propre version. Donc je savais ce qui était l'équivalent des caractères chinois, je savais ce que mes prédécesseurs avaient fait, et j'ai bâti ma traduction de façon à capter le rythme et la mélodie ce qui permet de faire une poésie qui vit. »


En France la connaissance de la poésie chinoise s'est répandu entre autres grâce à Judith Gauthier, fille du poète et romancier Théophile Gauthier, une femme belle, douée et célèbre, ayant vécu entre 1845 et 1917. Ferdinand Stoces explique quelle a donc été le rôle de Judith Gauthier dans la diffusion de cette poésie et analyse l'authenticité de ses traductions.


«Judith Gauthier a publié son premier livre en 1867. Ce livre n'a jamais été commenté par les sinologues, mais il a été accueilli très chaleureusement par la critique littéraire. C'était de petits poèmes en prose, trois à quatre lignes d'habitude, et c'était très joli. Mais quand j'ai fait plus tard l'analyse de ces poèmes je n'ai trouvé qu'un seul qui correspondait plus au moins à un original chinois. Les autres sont tout simplement inventés par cette talentueuse poétesse. »

Etait-il difficile de démontrer aux Français que ces poèmes n'étaient pas authentiques? Est-ce que vous vous êtes heurté en France à une résistance lorsque vous vouliez mettre en cause l'authenticité de ces poèmes ? C'était quelque chose comme si vous vouliez déboulonner une statue.

Finalement c'était le professeur Jacques Pimpaneau qui m'a aidé à publier cela à Lisbonne au Portugal, dans la revue Oriente qui paraît en anglais et en portugais. Et par la suite, en 2004, a été publiée en France la réédition du Livre de jade de Judith Gauthier et dans cette réédition on ne dit rien sur la nature véritable de ces poèmes. On dit que ces poèmes sont traduits du chinois. »

Si nous passons sur le fait que les traductions de Judith Gauthier ne sont pas authentiques, que peut-on dire de leur valeur littéraire? Est-ce que c'est une belle poésie ?

« Oui, je dirais que oui. Déjà en 1867, des commentateurs ont dit beaucoup d'éloges sur le Livre de jade mais ils ne croyaient pas du tout qu'elle traduisait du chinois. Ils disaient tous que c'étaient de très beaux poèmes en pensant que c'étaient des poèmes à Judith. »