Prague et Washington au temps de la Guerre froide

Barack Obama, photo: Štěpánka Budková

Lors de son passage à Prague, le président américain Barack Obama s’est montré tout autant séducteur que direct. Pas d’ambiguïté ainsi sur le projet de base de radar anti-missiles en République tchèque, justifié tant que la menace iranienne persiste. Pragmatique, Obama l’est en fait tout autant que les relations qui existèrent entre Prague et Washington pendant la guerre froide.

Barack Obama,  photo: Štěpánka Budková
« Par une étrange ironie de l’histoire, la menace d’une guerre globale et nucléaire a régressé mais le risque d’une attaque nucléaire a augmenté (...) Nos efforts pour contenir ces dangers sont basés sur un système de non-prolifération, mais un nombre important de personnes et de nations refusant les règles, nous pourrions arriver au point où l’équilibre ne pourrait plus être maintenu. »

Barack Obama résumait, lors de son discours au château de Prague le 5 avril dernier, la nouvelle donne géo-stratégique mondiale : la guerre froide est finie mais un nouvel âge nucléaire est né. Il emploie d’ailleurs le mot contenir, qui renvoie justement aux débuts de la guerre froide. En 1947, l’administration du président Truman élabore la stratégie du containment, qui consiste à endiguer la puissance soviétique sur le long terme.

Ce qui devient la nouvelle stratégie américaine s’illustre très vite avec le plan Marshall, qui propose, à toute l’Europe sans distinction de régime, une aide économique nécessaire au relèvement de l’après-guerre. Quant à la Tchécoslovaquie, comme pour le reste des pays du bloc de l’Est, les péripéties du plan fixent pour 60 ans ses relations avec les Etats-Unis.

C’est d’abord la plus grande hésitation. Des missions diplomatiques tchèques commencent ainsi par solliciter l’aide économique américaine. Moscou opte pour la prudence vu sa faiblesse financière et le 22 juin 1947, Staline pousse la Tchécoslovaquie à rentrer dans le processus de l’aide américaine. Déjà, un an plus tôt, Prague avait bénéficié de l‘aide de l’UNRRA (Organisation des Nations unies de secours et réhabilitation) sous forme de dons représentant 36 % des marchandises importées dans le pays. Seuls les Etats victorieux, Tchécoslovaquie, Pologne, Yougoslavie pouvaient en bénéficier.

Pourtant, le 24 juin 1947, seulement deux jours après avoir donné son accord, Moscou opère un revirement à 180 degrés. Varga, l‘expert économique du Kremlin, déclare que le plan Marshall masque en fait une crise économique imminente aux Etats-Unis. Le rapport Jdanov est quant à lui bien plus pertinent lorsqu’il évoque le plan, nous le citons : « le plan Marshall avait comme objectif de sonder la fermeté de la situation économique (des pays d’Europe orientale et balkanique), de tenter de les séduire et de les lier ensuite par le "secours" du dollar ». Début juillet, la Tchécoslovaquie se voit refuser par Moscou de participer à la Conférence de Paris, sur le thème du plan Marshall.

Pour le président Beneš, c’est autant le signe de la rupture avec l’Ouest qu’une grande déception. L’historien Jiří Kocian évoquait sur nos ondes les espoirs suscités par l’aide américaine :

" La Tchécoslovaquie avait manifesté un vif intérêt à l’offre de négociation et de partenariat, avec la certitude qu’une telle aide représenterait un grand bénéfice pour l’économie du pays, tant sur les plans technologiques que financiers. On avait conscience que l’aide américaine constituerait un stimulant important."

Staline et Klement Gottwald
En 1948, la rupture est consommée avec les Etats-Unis. D’abord, parce que le coup de Prague a valeur de symbole pour Washington, qui hésite à interpréter les intentions de Staline. Les faucons de la Maison-Blanche y voient un prélude à l’invasion de l’Europe, d’autant plus qu’éclate bientôt la crise de Berlin, suite au blocus soviétique.

L’Allemagne est d’ailleurs un enjeu important et polémique au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Sur ce point également, le fossé entre Prague et Washington ne peut que s’agrandir. Truman souhaite une réintégration progressive de l’Allemagne au sein de la défense occidentale. Pour les Tchèques, on assiste à une véritable crainte du relèvement allemand, amplifiée par le spectre de représailles allemandes suite à l’expulsion des Sudètes après guerre. Staline, qui partage lui-même ces appréhensions, sait en jouer habilement pour mieux souder l’allié tchèque à son glacis défensif. Sur ce point, les divergences avec les Etats-Unis dépassent, du côté tchèque, les contraintes de la guerre froide. Elles rejoignent d’ailleurs les préoccupations de Paris, qui fera échouer, en 1954, les projets de Communauté européenne de défense (CED), qui prévoyait un réarmement allemand.

Après le refus soviétique du Plan Marshall, les grandes lignes des relations entre Washington et Prague sont dictées par le plus strict pragmatisme, on s’en serait douté. Désormais, la défense de l’Europe occidentale face au communisme passe au premier plan et le statu quo d’une Europe séparée en deux paraît déjà accepté, avant d’être officiellement entériné lors de la conférence d’Helsinki en 1975. Un apparent abandon, qui cache une stratégie américaine à long terme : celle de l’essoufflement économique du rival soviétique. L’un des derniers soubresauts de cette lutte, l’affaire des euromissiles, donnera des sueurs froides à toute l’Europe et à la Tchécoslovaquie en particulier, puisque de nombreuses rampes de lancements de missiles SS-20 soviétiques étaient disséminées dans le pays.

"Les gens étaient très enthousiastes, ils aimaient la musique et ils appréciaient de voir un groupe jouer, s‘amuser et rester correct. On s’est beaucoup amusés !"

C’était Napoleon Murphy Brock, collaborateur de Frank Zappa, et qui évoquait un concert du musicien américain à Prague en 1978, en pleine normalisation.

Car même pendant la guerre froide, les relations entre les Etats-Unis et la Tchécoslovaquie ne se sont pas limités à des intérêts géo-stratégiques. Les passerelles culturelles ont été nombreuses, nous l’avons évoqué à plusieurs reprises sur nos ondes, témoignant de l’attachement des Tchèques à l’allié américain. En cela, l’hommage d’Obama à Masaryk, symbole d’une période révélatrice et fondatrice des traditions démocratiques tchèques, a été très pertinent.