Pavla Jazairová, sur les sentiers du monde, du communisme à la démocratie

Pavla Jazairiová

Une rubrique historique un peu particulière aujourd’hui puisqu’il s’agit de la suite d’un entretien réalisé cet été avec Pavla Jazairová. Nous l’avions rencontrée à l’époque pour parler de son expérience à la rédaction française de la radio tchécoslovaque dans les années 1960, à l’occasion des 75 ans de Radio Prague. Mais Pavla Jazairová ne se limite de loin pas à cette expérience. C’est aussi une vie et une expérience hors du commun et dans l’émission d’aujourd’hui Radio Prague vous emmène avec elle sur les traces de son enfance, de sa jeunesse sous le communisme, mais aussi sur les routes de l’Afrique et des pays arabes des années 1970 à nos jours.

Pavla Jazairová
Pavla Jazairová, vous êtes journaliste, écrivain. Vous avez une vie riche et pleine quand on se penche sur votre biographie. Vous avez travaillé autrefois pour la rédaction française de Radio Prague en direction de l’Afrique. Il faut préciser que vous êtes née en 1945 à Munster en France et que c’est le fruit du hasard…

« En effet, mon père et ma mère était en Allemagne et ils ont juste eu le temps de traverser le pont du Rhin qui a été bombardé juste après. Ma mère était tchèque, mon père hollandais. Les écoles supérieures étaient fermées à l’époque par les nazis en Tchécoslovaquie. Elle a été envoyée en Allemagne où elle a rencontré mon père. Elle est tombée enceinte et me voilà ! Elle a terminé ses études de médecine à Paris. »

Votre enfance, vous l’avez passée en France ? En Tchécoslovaquie ? Entre les deux ?

« Entre les deux, c’était abominable. On m’envoyait ça et là par le train, je faisais la navette entre ma grand-mère maternelle en Tchécoslovaquie et ma mère à Paris. On ne m’a pas laissée finir une seule année scolaire. »

C’est ce ballotage incessant qui vous a donné plus tard la bougeotte ?

« Oui, car quand on éduque, qu’on élève un enfant ainsi, on le forme d’une certaine façon. J’avais sept ou huit ans et j’allais seule, à la police, à Prague, demander à partir voir ma mère à Paris. On m’envoyait faire les démarches toute seule à huit ans ! C’est incroyable… Mais en fait ça marchait ! »

Comment avez-vous plus tard réussi à voyager en pleine normalisation dans les années 1970 ?

Pavla Jazairiová,  photo: abart-full.artarchiv.cz
« Pendant la normalisation, je disais que mon père était hollandais et mon frère a toujours été citoyen néerlandais. Les Néerlandais n’ont pas voulu de moi parce qu’il y avait eu la guerre, que la population masculine avait été décimée. Et au moment de ma naissance, mon père n’avait pas encore divorcé de son ancienne femme. Il m’a reconnue, mais mes parents ne se sont mariés que plus tard. Depuis, mes parents sont décédés. Et à l’époque, mon frère m’envoyait depuis la Hollande des invitations truquées du type : ‘J’invite ma sœur à faire avec moi un voyage au Togo que je finance entièrement’… Tout cela est faux, il n’est jamais au Togo et il n’a rien financé. »

Donc ensuite vous preniez la route toute seule…

« A cette époque j’avais déjà été vidée de la radio. Je travaillais donc en tant qu’interprète. J’allais au Comité national où se trouvait une vieille dame et je disais que je voulais rendre visite à mon frère. Elle me mettait un tampon sur mon papier. Je pouvais donc partir mais sans avoir le droit de changer de l’argent. A l’époque, on pouvait changer l’équivalent de 15 euros, mais pas plus. J’allais avec 15 euros en poche et sinon je m’en procurais au noir. Ensuite c’était toute une histoire pour pouvoir le faire passer. C’était très amusant parce que je me souviens avoir travaillé avec Gilbert Bécaud et Hugues Aufray, deux grands chanteurs français. Ils venaient avec leurs musiciens et je me souviens d’avoir demandé à un des musiciens de garder une somme d’argent avec lui que je récupérerais à Paris, une fois sortie de Tchécoslovaquie. Il a accepté. Mais quand j’ai appelé, on m’a dit que le numéro n’existait pas ! Finalement c’était une erreur, et j’ai pu récupérer mon argent. On voyageait avec trois fois rien à l’époque, en autostop… »

Vous partiez d’où pour l’Afrique et combien de temps ?

« Je partais trois mois. On partait de France ou d’Espagne, on arrivait au Maroc. Ce n’était vraiment pas confortable. Pas question de dormir à l’hôtel, de manger au restaurant ! C’était à la dure. On avait 10 dinars algériens par jour. On pouvait s’acheter avec cela du pain et une boîte de sardines ou du lait condensé. Mais les gens étaient très hospitaliers à l’époque, et c’était très intéressant de voyager alors. C’était l’époque de Bourguiba, juste après l’indépendance. J’ai donc vu l’Algérie juste après l’indépendance… j’ai vu comment ça s’améliorait et comment ça se détériorait. J’ai beaucoup appris. Comme cela, nous sommes allés jusqu’en Afrique occidentale, jusqu’au Togo. Naturellement, en Afrique occidentale, on ne pouvait pas faire de l’autostop, il fallait payer les taxis-brousse. »

Vous qui connaissez l’Afrique depuis ces années-là, qui avez vu cette évolution, comment est-ce vous la percevez ?

« L’Afrique était belle alors, alors qu’aujourd’hui avec la globalisation, c’est le désastre. Il y avait des métiers. Dans les marchés, souvent l’argent n’existait pas, c’était l’échange, le troc. Aujourd’hui, il y a toutes les marchandises qui viennent d’Asie et qui sont de mauvaise qualité. Il y a les sacs en plastique… Ce sont des petits détails comme ça, mais vous savez, les sacs poubelle, ça se jette, ça bouche les canalisations et le paludisme revient. Les métiers n’existent plus car tout s’achète moins cher ailleurs. Les gens ne travaillent donc plus et n’ont pas de perspectives. C’est très grave ce qui se passe en Afrique. »

Vous avez beaucoup voyagé en Afrique, mais vous connaissez également très bien le Proche Orient. Vous avez d’ailleurs été mariée avec un Irakien…

Mufid Jazairi
« Il est journaliste et a été ministre de la Culture après la chute de Saddam Hussein. On s’était rencontrés à l’époque à la radio. »

A l’époque justement, sous le communisme, comment était-ce perçu de se marier avec un Irakien ?

« Il y avait naturellement toujours du racisme mais c’était un autre type de racisme : en étranger, dans la République socialiste tchécoslovaque, était perçu comme une personne ayant beaucoup d’argent. Donc on les enviait parce qu’on supposait qu’ils avaient des devises et vivaient dans le luxe. Naturellement pas les Cubains ni les Vietnamiens. Mais les Africains, les Arabes étaient considérés comme des nababs. Les jeunes de mon âge me snobaient. Mais je savais que moi-même j’étais différente d’eux. Ce n’est pas par hasard que j’ai rencontré Moufid, il était étranger et moi d’une certaine façon aussi. »

Grâce à toute cette expérience de voyages, de rencontres, on fait aujourd’hui toujours appel à vous à la télévision, à la radio, dès qu’il se passe quelque chose au Proche Orient. C’est important pour vous de transmettre vos connaissances ?

« Evidemment. Surtout maintenant, avec le Printemps arabe, car les Arabes et l’islam est très mal vu ici. Les Français n’imaginent pas de quelle manière on informe ici en République tchèque : c’est vraiment immonde la manière dont on parle des musulmans. »

Quand on vous demande ce que vous pensez du Printemps arabe, que répondez-vous ?

« Que les gens veulent la liberté ! C’est quoi la liberté ? La même chose pour tout le monde. »

On pourrait faire l’analogie avec le Printemps de Prague ou la révolution de velours…

« Bien entendu. Naturellement ce sera beaucoup plus complexe dans ces pays. Cela demandera un travail immense. Il s’agit d’autres sociétés, avec des intérêts et des enjeux géopolitiques etc. »

Etes-vous allée récemment dans un des pays de cette région ?

« Il y a un an j’étais en Egypte. »

Avez-vous senti qu’il s’y passait quelque chose ?

« Oui, j’ai senti. Je n’étais pas venue depuis dix ans en Egypte et la situation s’était grandement dégradée. C’était un régime répugnant, les gens en avaient marre, ils avaient besoin de vivre. Ils étaient dans la misère, même la classe moyenne. »

Que vous apportent encore aujourd’hui vos voyages ?

« D’abord, ça m’amuse. Ensuite, ça m’intéresse toujours, ça me fatigue aussi. C’est un peu prétentieux à dire, mais j’en ai tellement vu qu’il y a des choses qui ne m’intéressent plus tellement. »

Pavla Jazairiová
Cet entretien s’achève peu à peu. Vous avez sillonné la terre et finalement, vous avez décidé de vivre hors de Prague, dans le nord de la Bohême, dans une petite maison à la campagne… Est-ce à cause de tous ces voyages que vous avez besoin de ce recul par rapport à la ville, d’être au calme ?

« J’aime beaucoup la solitude. J’aime beaucoup la nature. C’est magnifique de vivre à la campagne. Je peux me promener tous les jours avec mon chien et personne ne m’embête plus ou moins ! Je peux travailler, j’ouvre la fenêtre, je suis au vert, et c’est splendide. »