Mary Hrabik-Samal : une histoire de l'émigration tchécoslovaque II

Mary Hrabik-Samal

Deuxième partie de l’entretien avec Mary Hrabik-Samal, fille de Martin Hrabík, l’un des principaux responsables du parti agrarien dans l’entre-deux-guerres, avant d’émigrer aux Etats-Unis via la France après la prise de pouvoir des communistes en Tchécoslovaquie. Mary Hrabik-Samal raconte les trois années passées en France, de 1948 à 1951, et sa vie d’émigrée tchèque aux Etats-Unis.

Paris
Même en France vous étiez dans des camps ?

« Oui, presque tout le temps, parce qu’on n’avait pas beaucoup d’argent. C’était difficile de trouver un domicile à Paris en France. Et on a aussi passé quelque temps, moi et mes frères, en Suisse. Je pense que c’était la Croix rouge et le Parti socialiste suisse qui organisaient des séjours des enfants de réfugiés en Suisse. Comme mes frères étaient petits, ils étaient dans des familles où il y avait eu beaucoup d’enfants et un bébé venait dans leur famille. Mais le problème est que mes frères ont complètement oublié notre famille. Ils sont ensuite revenus en France et quand ils ont vu ma mère, un de mes frères lui a dit ‘Du bist nicht meine Mutti’ - ‘tu n’es pas ma mère’. Ils avaient oublié le tchèque et on a dû leur réapprendre à parler tchèque et français. Pour moi, le séjour suisse a été beaucoup plus difficile parce que j’étais plus âgée et ma famille suisse ne s’était pas rendu compte que je m’ennuyais parce qu’ils ne m’ont pas envoyée du tout à l’école. J’étais assez malheureuse, mais je me rendais bien compte que ma famille avait de gros problèmes, et que je ne pouvais pas leur compliquer la vie en me plaignant. »

A Paris, comment vivaient vos parents, quels étaient leurs problèmes ?

« Ma mère, pour gagner un peu d’argent, faisait la cuisine dans ce camp de réfugiés, et mon père faisait de la politique. Il organisait le parti agraire. Mais aussi le problème qu’il y avait en France à cette époque, est que les réfugiés ne pouvaient pas travailler. Ils n’avaient pas de permis de travail. Tous les six mois ou chaque année, il fallait aller à la police pour avoir une carte de séjour et il fallait attendre pour avoir un visa pour aller aux Etats-Unis. »

Je sais que le premier camp de réfugiés où nous avons vécu était à Ivry, à Paris. C’était un quartier très communiste et j’avais l’impression que nous n’étions pas bienvenus.

Avec un responsable politique tchécoslovaque important comme l’était votre père, on pourrait s’attendre à ce que l’accueil soit meilleur, ou plus facile. De plus, le contexte politique était un peu défavorable pour les émigrés tchécoslovaques...

« Oui, c’était difficile mais il faut comprendre que c’était trois ans après la deuxième guerre mondiale. Les Français avaient assez à faire avec la reconstruction de la République française. »

Après la guerre, en France, le parti communiste français était très fort et les émigrés tchécoslovaques ont pu être parfois considérés comme anti-communistes. Comment viviez-vous cette situation ?

« Oui, c’était difficile. Je sais que le premier camp de réfugiés où nous avons vécu était à Ivry, à Paris. C’était un quartier très communiste et j’avais l’impression que nous n’étions pas bienvenus. »

Pour votre père qui essayait d’organiser cette résistance et qui essayait de libérer la Tchécoslovaquie, qui rencontrait-il et comment a-t-il vécu ce climat pro-communiste en France ?

« La première chose qu’il a essayé de faire a été d’entrer en contact avec le parti agraire français. Mais ils n’avaient pas beaucoup d’argent et ne pouvaient pas vraiment nous aider. Après cela, mon père a essayé avec d’autres d’organiser la résistance, d’organiser les réfugiés. Mais on s’est vite rendu compte qu’on ne pouvait attendre aucune aide des Français. On essayait de trouver de l’aide auprès des Américains mais les Américains, comme pour les Français, la chose la plus importante n’était pas de libérer la Tchécoslovaquie. Pour les réfugiés tchèques, c’était la chose la plus importante. Alors on se débrouillait. C’était toujours problématique parce qu’on avait de l’argent qui venait de la CIA mais c’était déguisé, et il y en avait très peu, et il y avait beaucoup de personnes qui avaient besoin d’aide. Alors c’était très difficile. Enfin, mon père, quand nous sommes venus aux Etats-Unis, a décidé que la seule solution pour survivre était de travailler manuellement. Nous sommes allés à Cleveland où il a travaillé dans des usines qui faisaient de l’acier. »

Il a donc arrêté la politique aux Etats-Unis ?

« Il a continué la politique tchèque, mais ce n’était plus sa façon de gagner sa vie. Il a aidé à organiser le parti agraire en exil, et il faisait partie des organisations tchèques aux Etats-Unis. D’une certaine façon, il a continué sa vie, mais il ne gagnait plus sa vie avec la politique. Il gagnait sa vie avec ses mains. »

Pavel Tigrid
Vous avez sans doute rencontré des personnalités importantes de l’émigration tchécoslovaque. Je pense notamment à Pavel Tigrid qui a passé du temps aux Etats-Unis...

« Je n’ai pas rencontré Monsieur Tigrid mais j’ai souvent entendu son nom. Je connaissais toutes les personnes importantes qui étaient de la droite, c’est-à-dire du parti agraire, les démocrates slovaques. Je connaissais le ministre de l’Intérieur Monsieur Černý qui était le chef du parti de mon père. Il y avait toujours quelqu’un chez nous. Je vivais à moitié la vie de mes parents, mais je devais me débrouiller dans les milieux américains. Je devais aller à l’école américaine. C’était un peu schizophrénique. »

Vous avez finalement réussi à concilier les deux éléments puisque vous êtes enseignante à l’université aux Etats-Unis mais vous enseignez l’histoire de l’Europe centrale...

« Oui, j’ai commencé avec mon doctorat en sciences politiques mais au fur et à mesure, je suis revenue à l’Europe de l’Est. Ma thèse était sur les partis agraires mais les choses qui se passaient en Tchécoslovaquie m’ont toujours fascinée alors j’essaie d’écrire sur ce sujet. »

Et c’est en faisant votre doctorat que vous êtes revenue ici ?

« Non, parce que j’ai écrit mon doctorat de 1968 à 1972. C’était politiquement impossible de faire des recherches ici. De toute façon, les archives du parti avaient été détruites. Même les archives des journaux du parti avaient été détruites. Alors je suis venue ici, mais seulement pour voir la famille. J’ai trouvé quelques documents que j’ai pu exporter mais j’ai fait mon doctorat surtout avec des documents trouvés en dehors de la Tchécoslovaquie, parce qu’à cette époque, le parti agraire était tabou, on ne pouvait pas parler de ça. »

Comment vous êtes-vous alors retrouvée en contact avec des personnes qui appartenaient aux milieux dissidents ?

Zdenka Brodská
« J’ai une amie qui s’appelle Zdenka Brodská, qui est partie de Tchécoslovaquie en 1976 je crois. Elle enseignait le tchèque à l’Université du Michigan et elle était aussi rédactrice du journal Proměny, et ces derniers étaient du milieu des dissidents. J’ai alors beaucoup appris à ce sujet et comme elle ne pouvait pas entrer en Tchécoslovaquie, et que moi je le pouvais, elle m’a envoyée ici. Elle m’a donné des noms, et comme carte de visite, j’avais une photographie où nous étions ensemble, parce que si je venais et me présentais simplement, il était possible qu’on ne me fasse pas confiance. Mais en leur montrant cette photographie où nous étions ensemble, j’ai été acceptée. C’est comme ça que j’ai commencé à avoir des contacts avec des dissidents. Zdenka venait de Brno et y avait beaucoup de contacts. Elle connaissait aussi Jiřina Šiklová (sociologue tchèque, ndlr). Et quand on connaît Jiřina Šiklová, on connaît presque tout le monde. De plus, Jiřina avait l’habitude de se servir de n’importe qui pour faire ce qu’elle a besoin de faire. Elle m’a donc utilisée, tout de suite, pour aider à faire sortir des documents hors de Tchécoslovaquie. »