Les événements d'octobre 1967 à Strahov : un prélude au « Printemps de Prague »

Strahovské koleje

Il y a tout juste 40 ans, le 31 octobre 1967, la police réprima brutalement une manifestation d'étudiants de la cité universitaire de Prague-Strahov. Cet événement fut un prélude à la période de détente politique et de réformes démocratiques qu'a connues, en 1968, la Tchécoslovaquie, période dite du « Printemps de Prague ».

Au commencement était l'obscurité. Les coupures fréquentes d'électricité à la cité universitaire de Prague-Strahov, construite en 1960 sur une colline en face du Château de Prague pour héberger les participants aux spartakiades qui se déroulaient au stade de Strahov, furent à l'origine des protestations des étudiants, notamment ceux des Hautes études techniques, qui logeaient là. Lorsque, le 31 octobre 1967 au soir, la cité fut à nouveau plongée dans l'obscurité, les étudiants, dont la patience était arrivée à bout, sortirent dans la rue et prirent la direction du Château de Prague. Bougies à la main et scandant « Il nous faut de la lumière, nous voulons plus de lumière », un slogan bien ambigu aux oreilles du régime d'alors, ils arrivèrent jusqu'au quartier de Mala Strana avant que la police ne les arrête rue Nerudova.

Milan Kundera au 4e Congrès des écrivains en 1967,  photo: CTK
Le pouvoir communiste, dont les plus hauts dirigeants siégeaient au même moment au Château, décida de ne pas tolérer la manifestation, au début apolitique, des étudiants. Les raisons ? D'abord parce que d'autres événements qui ne resteront pas sans influence sur l'évolution politique du pays avaient précédé l'émeute estudiantine : en juin 1967, au congrès de l'Union tchécoslovaque de la jeunesse, et plus encore au 4e Congrès des écrivains qui se tenait parallèlement, des voix s'étaient élevées pour réclamer la pluralité des opinions et critiquer la politique du PCT. Le Congrès des écrivains s'était transformé en un conflit ouvert entre la culture et le pouvoir. Ses participants, parmi lesquels Milan Kundera qui avait ouvert les débats par un essai intitulé « Sur la non évidence de nation », avaient critiqué la censure et l'incompétence des responsables à l'égard de la culture.

Autre raison de la répression de l'émeute estudiantine : l'historien Vit Smetana explique qu'une crise était aussi sur le point d'éclater au sein du parti : Antonin Novotny, qui depuis 1957 cumulait les fonctions de président de la République et de premier secrétaire du PCT, était pris entre le feu des durs du parti et celui des réformistes libéraux qui lui reprochaient son conservatisme et réclamaient des réformes et une démocratisation de la société.

La cité universitaire de Prague-Strahov
En outre, la direction communiste était confrontée aux problèmes économiques croissants du pays. Les coupures d'électricité, mais aussi d'eau et de chauffage dont les étudiants de la cité universitaire de Strahov souffrirent à l'automne 1967 en étaient d'ailleurs la conséquence. Tous ces facteurs constituèrent un cocktail qui explosa lorsque les étudiants défilant près du Château se mirent à scander : « Nous voulons plus de lumière. »

Munie de matraques et de gaz lacrymogène, la police dispersa brutalement le défilé qui regroupait près de 2000 étudiants. Nombre d'entre eux furent blessés, plusieurs arrêtés, beaucoup ne purent continuer leurs études...

L'intervention contre les étudiants n'est pas restée sans suite. Pour la première fois, la presse informa ouvertement ses lecteurs de la brutalité policière. La répression de la manifestation et les excès de la police furent condamnés par les dignitaires académiques de la plupart des facultés de Prague et des autres villes ainsi que par un large public. Le procureur de l'armée ouvrit une enquête, mais celle-ci resta inachevée étant donnée l'évolution de la situation en Tchécoslovaquie...

En effet, grâce également à la manifestation de Strahov, la position des partisans de l'aile conservatrice du parti s'affaiblit encore un peu plus. Antonin Novotny, critiqué par ailleurs pour ses propos nationalistes tenus à l'adresse des communistes slovaques qu'il appelait les « rouspéteurs slovaques », fut démis de ses fonctions en janvier 1968. La nomination d'Alexandre Dubcek au poste de chef du comité central du PCT ouvrit la voie aux réformes. Le programme d'action adopté en avril 1968 donna son feu vert à une reconstruction de l'économie qui comprenait dorénavant des éléments d'une économie de marché. Le mouvement de démocratisation spontané gagna l'ensemble de la société. L'année 1968 vît s'instaurer les libertés d'expression, de création artistique ou encore de la vie culturelle. La censure fut abolie, la vie religieuse vécut une renaissance et les associations civiques, dont Junak (la fédération des scouts tchèques), furent renouvelées...

La cité universitaire de Prague-Strahov
Le 40e anniversaire de la répression de l'émeute estudiantine de Strahov met en évidence le fait que les étudiants ont toujours été parmi ceux qui avaient le courage d'exprimer leur opinion. En 1939, l'étudiant en médecine Jan Opletal avait ainsi déjà mené une manifestation d'étudiants pour célébrer l'anniversaire de la fondation de la République tchécoslovaque. Après sa mort des suites des blessures subies lors de l'intervention brutale des nazis contre les étudiants, les écoles supérieures tchèques furent fermées sur ordre d'Hitler. Cinquante ans plus tard, la manifestation du 17 novembre 1989 pour commémorer l'événement marqua le début de la fin du régime. Mais avant cela, il y eut encore, en janvier 1969, Jan Palach, qui s'immola par le feu pour protester contre la passivité de la société tchèque vis-à-vis de l'occupation soviétique du pays et qui fut imité, un mois plus tard, par Jan Zajic...