Le sport tchèque face aux secousses du XXème siècle

Barcelone 1992, photo: CTK

En septembre dernier, la République tchèque s’est officiellement portée candidate pour accueillir les Jeux Olympiques de 2016. Ce n’était pas la première fois ! En 1980, Prague aspirait déjà à abriter les 22èmes JO mais ce fut finalement Moscou qui fut choisie. On s’en doute, l’histoire du sport tchèque fut étroitement liée à celle, mouvementée, du siècle dernier...

Contrairement à une idée sans doute répandue, le Comité Olympique tchèque n’est pas une création de l’après-communisme. Il naquit même avant même l’indépendance de la Tchécoslovaquie puisqu’il fut fondé le 18 mai 1899 par Jiri Jarkovsky et Josef Orovsky, un sportif réputé.

C’est dans la perspective des JO de Paris de 1900 que le Comité fut mis sur pied. Mais il faudra attendre les Jeux de 1924, toujours à Paris, pour voir un Tchèque remporter la première médaille d’or. Il s’agit en l’occurrence de Bedrich Supcik, à la corde. Les victoires tchèques seront ensuite, on le verra, légion dans l’histoire olympique.

Les Tchèques appartiennent sans conteste aux nations fondatrices des Jeux Olympiques modernes. D’ailleurs, dans la Prague de la première moitié du XXème siècle – mais cela a-t-il vraiment changé ? – un certain culte du corps fait figure de tendance, comme un peu partout en Europe. La modernité s’incarne alors dans des femmes sportives, aux cheveux courts et des bolides qui font la fascination des peintres futuristes.

Cette préoccupation du corps, on en trouve un écho dans les quotidiens et magazines tchèques des années vingt. En consultant un exemplaire du Prazsky Ilustrovany Zpravodaj de 1929, on trouve deux encarts publicitaires autour de la forme physique. L’un, assez pittoresque aujourd’hui, contre la « maigreur », où des médecins proposent de lutter avec des médicaments contre, nous citons, « la faiblesse, la névrose et l’anémie ». Une autre réclame au titre évocateur - « Physical Culture » - vante des méthodes anglo-saxonnes pour obtenir une taille plus haute et un corps bien fait.

Dans un registre plus sérieux, les Sokols reflètent, à l’échelle sociétale, ce culte du corps. Le mouvement relève à la fois de l’organisation sportive et du projet politique. Ses membres sont d’ailleurs liés au Parti Jeune Tchèque, qui professe des idées nationalistes. Le Sokol est fondé à Prague en 1862 par Miroslav Tyrs et Jindrich Vagner et bientôt, des annexes fleurissent dans le pays mais aussi à l’étranger, sans compter l’organisation catholique de sport Orel (Aigle), créée en 1908.

On retrouve, dans la France de la même époque, un enthousiasme similaire pour la création d’associations gymniques. Certaines d’entre elles rencontreront les Sokols dans le cadre d’événements internationaux. Cette importance accordée à l’éducation physique est une véritable politique d’Etat. En France, on se prépare à la revanche contre l’Allemagne après la perte de l’Alsace-Lorraine en 1870. Il faut fortifier les corps et tremper les âmes par le goût de l’effort physique. Même lien entre sport et affirmation nationale dans l’esprit des Sokols. Leur hymne -« Allez, Faucons, marchons vaillamment » - et leur slogan - « Soyons forts »– le disent assez bien. Mais ce souci de la relève nationaliste par la jeunesse n’a rien à voir avec l’idéologie des régimes totalitaires.

On a déjà évoqué, sur nos ondes, les défilés des Sokols, basés sur des mouvements collectifs et simultanés. La signification de ces exercices d’ensemble est aussi politique : l’harmonie et la synchronisation des gestes symbolise une société démocratique, équilibrée par la solidarité.

La 'Spartakiada',  photo: CTK
Ses idées libérales feront du Sokol la cible privilégiée des répressions : ses activités seront interdites à maintes reprises, pendant la Première Guerre mondiale en 1915, puis sous l’occupation nazie et enfin sous la domination de Moscou. La Seconde Guerre mondiale compte parmi les années noires de l’olympisme tchèque. Début 1943, les autorités du Protectorat de Bohême-Moravie s’apprêtent à saborder le Comité Olympique. Ses membres sont mis au courant et ils choisissent de dissoudre l’organisation. Pour ne pas laisser leurs équipements aux Allemands, les membres du COT les transfèrent au Comité multisports tchèque. De nombreux Sokols sont exécutés par les nazis tandis qu’on en verra d’autre participer à l’insurrection de Prague, en mai 1945.

Mais une fois la guerre finie, les sportifs tchèques doivent affronter les impératifs d’un autre totalitarisme, celui-là venu de l’Est. A partir de 1948, le seul événement sportif de masse autorisé à l’intérieur du Bloc soviétique, c’est la « Spartakiada », créée par l’URSS en 1928, en réaction contre les Jeux Olympiques.

Avec les Spartakiades, c’est un nouveau bagage étymologique qui débarque sur la scène sportive. Le radical « spart » possède en effet l’avantage de condenser plusieurs pans de la mythologie révolutionnaire : il y a l’esclave rebelle Spartacus, sorte de chef marxiste avant la lettre mais aussi la cité antique de Sparte, en Grèce, supposée incarner la première forme de société communiste. Sans compter la Ligue Spartakus, dont les leaders Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, provoquèrent des émeutes insurrectionnelles dans l’Allemagne de 1919. Etrange ironie de l’histoire, ce sont les Tchèques, et non les Russes, qui inventèrent le mot. Les Spartakiades étaient d’abord un événement sportif majeur dans la Tchécoslovaquie de la première République. Elles se déroulaient tous les cinq ans au stade de Strahov. Les premières Spartakiades de Prague ont lieu en 1921, sept ans avant celles de Moscou !

Après le coup de Prague en 1948, le mouvement Sokol est à nouveau dissous. Il est remplacé par deux organisations de jeunesse : les célèbres Pionniers (de 8 à 15 ans) et la ČSM (Union de la jeunesse tchécoslovaque, pour les 15-25 ans). Les Sokols devront attendre 1990 pour renaître une troisième fois.

Barcelone 1992,  photo: CTK
Si l’URSS avait créé les Spartakiades en réaction aux Jeux Olympiques, elle ne dédaigne pas pour autant ces derniers, propagande oblige. Et pour la plus grande gloire du régime, les athlètes tchèques connaissent un véritable âge d’or sous la période soviétique.

Il y a d’abord les JO de Londres, en 1948, avec pas moins de six médailles d’or. Puis vient Helsinki, en 1952, avec les trois médailles d’or du célèbre Zatopek, dont l’une au marathon. Mais c’est à Tokyo, en 1965, que la délégation tchèque établira son record de médailles, en tout quatorze. Aux Jeux Olympiques de Barcelone de 1992, les Tchèques et les Slovaques concourent pour la dernière fois sous le même drapeau.