Le Patron de la Bohême

San Venceslao

En ce lendemain de Saint Venceslas, nous revenons aujourd'hui sur le Saint Patron de la Bohême. Repère constant dans la conscience nationale, le prince premyslide n'a, bien sûr, pas échappé au mythe. Au-delà des légendes, il a cependant jeté les fondements de la vocation européenne des terres tchèques. Retour sur un prince de Bohême canonisé et statufié.

De la Montagne Blanche jusqu'à Münich en 1938, le nom de Saint Venceslas retentit dans l'histoire du pays à chaque grande crise. Venceslas n'est pourtant qu'un duc au pouvoir limité dans cette Bohême du Xème siècle, morcelée entre factions rivales.

Il a pourtant jeté les fondements de la future couronne de Bohême et a surtout ancré le pays dans l'histoire occidentale. Au IXème siècle, les terres tchèques sont passées sous la juridiction de l'évêque de Ratisbonne, en Bavière. Des moines allemands forment le clergé pragois à la liturgie latine, le détournant ainsi des rites byzantins. Lui-même très pieux, Venceslas favorise leur action et fait ainsi entrer la Bohême dans la chrétienté occidentale.

La christianisation poussée heurte les habitudes païennes d'une partie de la population mais elle légitimera, avec le temps, le pouvoir du roi comme émanant de Dieu. Comme ailleurs en Occident, l'Eglise devient un instrument incontournable d'unification politique et, à ce titre, Venceslas jette les bases de l'Etat moderne. Bien sûr, au Xème siècle, la notion d'Etat n'existe pas vraiment dans l'esprit des princes, qui se posent d'abord en rivaux.

Le 28 septembre 935, Venceslas est assassiné par les gardes de son frère, Boleslav. Celui-ci se posera cependant en continuateur de l'oeuvre de son frère.

La ville de Fragha est construite en pierre et plâtre et représente la plus grande ville commerçante

Précurseur, Venceslas l'a aussi été en transformant Prague en un carrefour commercial de premier plan. En 965, soit 30 ans seulement après la mort du prince, le marchand juif Ibrahim Ibn Iakuba, du califat de Cordoue, est de passage à Prague. Il décrit la cité vltavine en ces termes : " La ville de Fragha est construite en pierre et plâtre et représente la plus grande ville commerçante. Y viennent de la ville de Cracovie des Russes et des Slaves avec leurs marchandises. (Viennent) aussi des Turcs et des musulmans. On exporte dans ces pays des esclaves, de l'étain et diverses fournitures. Le pays est le meilleur au nord (...) "

Libuse
La mention de la pierre et du plâtre surprend un peu car, au Xème siècle, les constructions se faisaient encore en bois à Prague, exception faite du Château. L'évocation d'esclaves étonne en revanche beaucoup moins, même si l'historiographie tchèque du 19ème siècle a cultivé une image humaniste des premiers Premyslide. L'esclavagisme visait en fait les populations païennes et prend fin avec la christiannisation totale du pays.

Symbole fort et constant pour la nation tchèque, Saint Venceslas n'a bien sûr pas pu échapper à la légende.

Dès les IX-Xème siècles, les Premyslides se chargent eux-même de créer le mythe, avec un ancêtre incarnée par la prophétesse Libuse. Selon la légende, c'est du haut de Vysehrad que Libuse aurait annoncé la gloire de Prague et fondé le premier peuplement tchèque. Or, des fouilles archéologiques ont montré que la colline de Vysehrad n'avait pas été habitée avant Hradcany, à partir du Xème siècle. Il s'agit là d'un procédé d'auto-légitimation classique depuis César, "descendant" du dieu Mars. En ce sens, son utilisation démontre la maturité politique de la dynastie tchèque.

Autre mythe, datant du Moyen-Age et repris abondement au XIXème siècle : celui du Venceslas pacifique et pacifiste. Répandue par les sources médiévales latines, cette image s'éloigne de la vision émanant de sources slaves de la même époque. Ces dernières décrivent Venceslas comme un prince religieux mais aussi politique et prêt à combattre ses ennemis.

La famille de Venceslas symbolise d'ailleurs bien la violence politique de l'époque. Sa mère, Drahomira, tua la grand-mère du prince, Sainte Ludmila, chrétienne. C'est encore Drahomira qui soutient les prétentions de Boleslav, frère cadet de Venceslas, lequel la fait emprisonner en 924.

L'assasinat de Venceslas par Boleslav illustre moins une haine du christianisme qu'il ne reflète la rivalité des puissances dans l'Empire germanique. Avec l'effondrement de la Grande Moravie à la fin du IXème siècle, le pays est convoité par la Saxe et la Bavière. A travers cette dernière, l'action de l'Eglise et de l'évêque de Ratisbonne se renforce à Prague. C'est Arnulf de Bavière qui, en 922, désigne Venceslas à la tête du duché premyslide.

De l'autre côté, Henri Ier, roi de Saxe, tente de s'imposer en Bohême, où il fait entrer son armée. Il offre au pieux Venceslas l'épaule de Saint-Guy, une précieuse relique qui avait été déménagée de Saint-Denis, à Paris, jusqu'en Saxe. Le symbole politique est évident, Saint-Guy étant le patron de la Saxe.

Alors même que l'église du Château de Prague devait être consacrée au patron de la Bavière, Emeram, elle porte finalement le nom de Saint-Guy. Toutes ces tensions politiques s'ajoutèrent aux tensions internes et jouèrent sans doute leur rôle dans l'assassinat de Venceslas.

Au-delà des mythes, un fait reste averé : Saint Venceslas a bel et bien ancré la Bohême dans l'aire culturelle occidentale.