Le jésuite Petr Kolář : les raisons de l'athéisme élevé des Tchèques résident dans leur histoire

Deux fêtes nationales du calendrier tchèque, mardi et mercredi prochains, célèbrent de grandes figures de l'Eglise : le 5 juillet est la fête des apôtres Cyrille et Méthode venus vers 863 propager le christianisme en Grande Moravie. Le 6 juillet commémore le réformateur de l'Eglise Jan Hus, brûlé vif comme hérétique sur le bûcher de Constance en 1415. Deux fêtes religieuses célébrées dans un pays qui a pour particularité d'être le plus athé d'Europe et où moins d'un tiers des habitants répondent par l'affirmative à la question : « Croyez-vous en Dieu ? ».

Nous avons demandé des explications à Petr Kolář, jésuite et ancien journaliste à la rédaction religieuse de la Radio tchèque :

« La raison trouve ses racines dans l'histoire et aussi dans le présent ou dans un passé très récent. La raison principale consiste dans deux instrumentalisations de la religion chrétienne dans l'histoire tchèque. La première, c'était au moment de la Réforme. Après des guerres sanglantes au XVIIe siècle - la Guerre de Trente ans chez nous - la religion qui s'imposait dans notre pays était le protestantisme. Par exemple, dans la ville de Prague, qui avait 32 paroisses à l'époque, il y avait 31 paroisses utraquistes, protestantes, lutériennes, Frères de Bohême, et une seule catholique, le château de Prague - la chapelle. Or, selon la fameuse règle « Le souverain décide de la religion de ses sujets », malheureusement pour les Tchèques, à la différence des voisins, nous avions un souverain Habsbourg qui était catholique, alors que le pays était protestant. C'est ça, le drame, au départ... Ces Habsbourg avaient été élus au XVIe siècle par le vote tout à fait légal et correct et donc, le souverain catholique a décidé de recatholiser le pays. Et il a commencé par inviter les jésuites et d'autres religieux et cela a été le rouleau compresseur pendant plusieurs générations. La première vague d'exil a frappé, aussi, la direction des églises non catholiques. Le célèbre évêque Comenius s'est exilé lui-aussi avec sa famille, et le pays, petit à petit, est devenu catholique, en apparence du moins. »

Le rapport envers l'Eglise a-t-il évolué à la fin du XVIIIe siècle, avec le début des efforts visant à une émancipation nationale ?

« A la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, pour des raisons politiques, la représentation tchèque à l'intérieur de la monarchie austro-hongroise a senti une pression trop forte, surtout au niveau économique et social, et a voulu obtenir au moins une autonomie. A partir du moment où il s'est avéré que cette autonomie n'était pas possible, ils ont cherché à obtenir l'indépendance de la Bohême. C'est le début des efforts qui ont abouti au début du XXe siècle à la création de la Tchécoslovaquie. Or, ils cherchaient aussi une idéologie de soutien contre les Habsbourg catholiques germanisants. L'idéologie est devenue importante, elle était antigermanique et anticatholique. A la fameuse devise « Détachons-nous de Vienne », on en a ajouté une autre - « Détachons-nous de Rome », deuxième instrumentalisation qui semblait tout à fait naturelle, parce que le passé avant les Habsbourg était hussite, protestant - au début du XXe siècle, lors de la création de la République tchécoslovaque, on a eu une vague de départs de l'Eglise catholique, on a même eu une Eglise tchécoslovaque - imaginez une Eglise française en France - une Eglise tchécoslovaque qui actuellement s'appelle tchécoslovaque hussite, et cette Eglise, dans les années 1930, avait presque un million d'adhérants, c'est-à-dire vraiment une hémoragie à l'Eglise catholique, parce que c'est essentiellement de là que venaient les fidèles, même les prêtres - plusieurs centaines de prêtres ont quitté l'Eglise catholique, et cette Eglise semblait être le courant principal religieux du pays. Or, actuellement, l'Eglise tchécoslovaque hussite est tombée à quelques 70 000 personnes seulement, mais toutes les autres avec. Cette situation, je crois, est dûe à ces deux instrumentalisations, d'abord le catholicisme pour les buts politiques des Habsbourg, ensuite le protestantisme pour les buts de nationalsites tchèques. Un homme simple dans la rue, au bout d'une démarche pareille, se dit, ni l'un, ni l'autre. »

Si on compare la situation en Tchéquie, pays le plus athé d'Europe, à celle notamment de la Pologne, le fait que l'Eglise catholique tchèque ait toujours été du côté des puissants pourrait-il être une des raisons de l'athéisme des Tchèques ?

« L'Eglise catholique tchèque n'avait pas du tout la même position dans la société tchèque que l'Eglise catholique polonaise en Pologne. La Pologne a connu, pendant son histoire, des moments tragiques et dramatiques et à chaque fois, l'Eglise catholique a été du côté de la nation et non pas du côté des puissants, que ce soit les Prussiens, les Russes, les Suédois ou d'autres. L'Eglise catholique, toujours inébranlable, toujours du côté de la nation, contre l'oppresseur. Or, chez nous, dans la monarchie, l'Eglise catholique était du côté des puissants. Donc, elle n'a pas du tout l'habitude de se dresser contre le pouvoir, et de ce fait, elle a été laminée, faible, et même si elle a essayé de se dresser contre le communisme, en 1948, la réponse de la nation a manqué, les gens ne faisaient pas confiance à cette Eglise, sinon à la fin des années 1980, au bout de quarante ans de résistance contre le communisme, et même là, cela s'est manifesté, je dirais, à travers des personnes éparses, et non pas massivement dans la hiérarchie compacte, comme en Pologne. De ce fait, le régime communiste en Pologne n'a jamais pu mettre en marche une telle oppression parce que la nation était derrière son Eglise sachant que c'est elle qui défend les intérêts de la nation. Et dès que les communistes touchaient à une croix quelque part où à un évêque, c'était la menace de l'insurrection : d'ailleurs, dans les années 1950, le régime comuniste polonais a été obligé de libérer les évêques pour calmer la population qui était au bord d'une révolte sanglante. »


Rediffusion du 5/7/2010