L’attitude « honteuse » du PCF vis-à-vis des signataires de la Charte 77

Pavel Tigrid, photo: Fousek.apple, CC BY-SA 3.0 Unported

Etudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Rennes, Julien Morice a réalisé un mémoire portant sur la réception médiatique en France de la Charte 77, cette pétition regroupant nombre d’intellectuels et diverses personnalités, parmi lesquels Václav Havel, réclamant le respect des droits de l’homme dans la Tchécoslovaquie de l’époque de la normalisation. Après avoir évoqué le traitement journalistique de ce document dans la première partie de l’entretien qu’il a accordé à Radio Prague, il a discuté le rôle des partis politiques et tout d’abord celui des émigrés tchécoslovaques en France.

Pavel Tigrid | Photo: Fousek.apple,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0
« L’immigré principal en France, c’était bien sûr Pavel Tigrid qui est arrivé en 1968 en France. Non pas après l’invasion soviétique de 1968 puisqu’il était déjà immigré depuis 1948. Il vivait aux Etats-Unis auparavant puis en 1968 il a décidé de se rapprocher de son pays et de venir en France. Il avait fondé en 1956 la publication littéraire Svědectví, « témoignage » en français, qui reprenait en grande partie des publications d’auteurs tchécoslovaques d’inspiration anti-communiste principalement. Au cours des années 1960, sa position a évolué, il s’est rapproché de quelques réformateurs communistes, qu’il a introduits dans les cercles littéraires de Svědectví. En 1977, c’était vraiment la tête pensante des immigrés tchécoslovaques en France. C’était lui qui permettait d’établir ce lien entre les signataires de la Charte.

Jiří Pelikán,  photo: ČT
Je voudrais aussi prendre l’exemple de Jiří Pelikán, qui avait refondé Listy en Italie. Il avait aussi une importance en France puisqu’il a permis en 1976 d’entamer la version française de Listy qui allait avoir une certaine portée dès 1977, une portée avant tout intellectuelle. Pavel Tigrid et Jiří Pelikán ont souvent été interviewés par des journaux français, surtout Le Monde et Libération. Ils étaient vraiment les têtes pensantes et les canaux de transmission entre le monde politique et médiatique français et les membres de la Charte qui vivaient dans des conditions très difficiles.

Il était impossible de s’exprimer dans leur pays donc la seule manière d’avoir un écho en Tchécoslovaquie était de passer par l’étranger. »

Y-avait-il une résonnance avec la sphère intellectuelle française ? Des intellectuels français ont-ils pris position en soutien aux signataires de la Charte ?

« Dès le 15 janvier 1977, le Comité international pour le soutien des principes de la Charte 77 a été fondé. C’était un comité international qui avait avant tout une base française. Il a été fondé notamment par Pierre Emmanuel, l’ancien directeur de la revue Esprit, par Pierre Daix, un ancien ministre communiste en 1947, et par Gilles Martinet, un membre du parti socialiste, ancien membre du PSU (parti socialiste unifié). Il regroupait différents intellectuels et célébrités. Je pense notamment à Yves Montand ou Simone Signoret. Côté intellectuel, il y avait par exemple le philosophe Vladimir Jankélévitch. »

Et quelle résonnance dans la sphère politique et plus particulièrement au sein du Parti communiste français (PCF), qui est alors tiraillé entre sa loyauté à Moscou et une forme d’autonomisation vis-à-vis des Soviétiques ?

Georges Marchais,  photo: YouTube
« Le Parti communiste est vraiment tiraillé et la Charte 77 l’a vraiment mis dans l’embarras. A partir de 1976, Georges Marchais défend la position eurocommuniste, qui était aussi appuyée par les Partis communistes espagnol (qui n’était pas encore légalisé mais qui allait le devenir en avril 1977) et italien. La tendance eurocommuniste revendiquait une voix spécifique vers le socialisme, vers le communisme, et reprenait une grande partie des idéaux du Printemps de Prague, un idéal plus démocratique que la version staliniste.

En 1977, quand la Charte est apparue, Georges Marchais a attendu très longtemps, jusqu’à fin février, pour faire sa première déclaration officielle sur la Charte et sur ses signataires, condamnant en quelque sorte le régime communiste mais en même temps d’une certaine manière les signataires qui selon lui n’utilisaient pas les meilleurs moyens pour exprimer leurs revendications, même s’ils agissaient dans la plus pure légalité.

La Conférence de Madrid en mars 1977, qui réunissait les trois grands partis communistes occidentaux de l’époque, s’adressait à l’opinion publique internationale et voulait promouvoir les idées communistes à l’échelle européenne. La majorité des médias français, notamment Libération ou Le Monde, attendaient une vaste critique des pratiques du régime tchécoslovaque vis-à-vis des signataires de la Charte 77. Mais absolument rien n’a été communiqué sur ces pratiques dans le communiqué final.

Par contre, Santiago Carrillo, le président du Parti communiste espagnol, et plus tard des représentants du Parti communiste italien lors d’une conférence de presse, ont fait valoir ces critiques devant les journalistes. Cela n’a pas été le cas de Georges Marchais pour le PCF. Le PCF a finalement attendu octobre et les premiers procès contre certains signataires de la Charte pour adresser des critiques assez vives du régime tchécoslovaque. Non pas vraiment en premier pour dénoncer les pratiques à l’encontre des signataires, mais plutôt à l’encontre des pratiques contre les journalistes étrangers puisque l’Humanité n’a pas pu envoyer de correspondant pour ce procès. Mais jusqu’en août 1978, aucune pensée globale n’a été développée par le PCF. »

Quelle est l’analyse aujourd’hui de membres ou d’anciens membres du PCF sur la position de leur parti durant cette période ?

« J’ai notamment eu la chance de m’entretenir avec Pierre Daix, ancien ministre communiste à la fin des années 1940, qui a quitté le PCF au début des années 1970 pour exprimer sa réprobation face à l’attitude du PCF concernant les événements du Printemps de Prague puis de l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. Il m’a clairement dit que l’attitude du PCF à la fin des années 1970 et durant les années 1980 était indigne. Il avait toujours cette foi communiste malgré son départ du parti. Pour lui le PCF, jusqu’en 1989, a gardé une attitude honteuse, selon ses mots. Pour moi, c’est aussi ce qui a provoqué l’échec national du PCF. Il n’a pas réussi à changer de voie, il n’a pas réussi à se réformer.

C’est pourquoi les réseaux entre les communistes et les signataires de la Charte, y compris communistes ou anciens communistes, étaient très faibles, très peu développés. Alors qu'en comparaison, les réseaux entre les trotskystes français et tchécoslovaques, également signataires de la Charte, étaient plutôt intenses et assez bien développés. La Ligue révolutionnaire communiste (LCR) a pu envoyer des fonds, un soutien assez fort finalement, à ces signataires et aux ouvriers aussi qui ont pu connaître quelques difficultés après avoir signé. »