La Tchéquie a levé le secret sur les plans militaires du Pacte de Varsovie

Le 13 septembre dernier est parue une étude de l'historien Petr Lunak qui lève le secret sur les plans d'opérations militaires du Pacte de Varsovie au temps de la Guerre froide. Et c'est à ces révélations jusqu'ici jamais publiées que nous allons nous intéresser dans cette page d'histoire.

Cent trente frappes nucléaires auraient dû être réalisées contre l'ennemi d'alors, l'OTAN, en cas de conflit, si les plans militaires du Pacte de Varsovie de la période de la Guerre froide avaient été accomplis. Cette information et d'autres font partie d'un document secret de 1964 retrouvé dans les Archives militaires historiques de Prague par Petr Lunak, historien, politologue et depuis quelques années membre du secrétariat international de l'OTAN à Bruxelles. Petr Lunak n'a pas hésité à rendre ces faits publics. Son livre, intitulé « La planification de l'impensable », dévoile la doctrine soviétique et la place qu'occupait dans ses plans l'armée tchécoslovaque, qui devait, à elle seule, former l'un des quatre front offensifs, affirme l'auteur :

« Les effectifs militaires de l'armée tchécoslovaque devaient comporter près de 700 000 hommes. »

Le livre dévoile les plans opérationnels de l'armée tchécoslovaque entre les années 1950 - 1970 et il rend également public un document top secret de décembre 1965. Il s'agit de l'accord intergouvernemental sur le déploiement des armes nucléaires soviétiques sur le territoire tchécoslovaque. Il en ressort qu'au milieu des années 1960, l'URSS planifiait une guerre nucléaire en Europe. La mission de l'armée populaire tchécoslovaque dans ces plans aurait été d'occuper le sud de l'ancienne RFA et le sud-est de la France. Huit jours après l'ouverture de l'opération, les tanks tchécoslovaques auraient dû atteindre Lyon. Les documents retrouvés témoignent, d'après Lunak, de tout autre chose que ce que la propagande communiste affirmait :

« Il fournit des preuves de ce que les armées d'Europe de l'Est se préparaient à une guerre offensive dans le but d'occuper en quelques jours l'Europe de l'Ouest. »

Adopté à la fin de l'ère Khrouchtchev, le plan opérationnel de l'armée tchécoslovaque prévoyait qu'après le refoulement de l'attaque occidentale, les armées du Pacte de Varsovie passeraient à une contre-offensive massive. Aussitôt après, l'armée populaire tchécoslovaque devait attaquer dans la direction de Nuremberg, Stuttgart et Munich : « La tâche immédiate est de battre, en collaboration avec l'armée soviétique du 1er front occidental, le groupe central de l'armée allemande dans la partie sud de la RFA et atteindre la ligne Bayreuth, Regensburg et Passau », lit-on dans le document de 1964 rendu public par Petr Lunak, qui poursuit : « Après la liquidation de l'ennemi sur le territoire de la RFA, les armées du Pacte de Varsovie devaient traverser le Rhin, s'attaquer au sud-est de la France et conquérir Lyon ». Le document est signé par le ministre de la Défense nationale de l'époque, Bohumir Lomsky, et le chef d'état-major général, Otakar Rytir.

Ce n'est pas par hasard que le livre est intitulé « La planification de l'impensable ». L'armée tchécoslovaque avait une semaine pour avancer, à l'aide de frappes nucléaires, jusqu'à Lyon, autrement des renforts auraient été envoyés en Europe par les Américains, explique Petr Lunak. Et il insiste sur le fait que les ogives nucléaires étaient stationnées sur le territoire tchécoslovaque, dans les entrepôts de Bela pod Bezdezem, Bilina et Misov.

L'ancien ministre de la Défense et ancien chef d'état-major général Miroslav Vacek rejette l'idée que les entrepôts tchèques étaient remplis de munitions nucléaires, mais il n'exclut pas que cette éventualité puisse avoir été prévue par Moscou :

« Cela ne poserait aucun problème de déplacer, en cas de nécessité, les armes nucléaires sur notre territoire. »

Prague,  août 1968
L'historien Jan Sach, de l'Institut d'histoire militaire de Prague, apporte une précision importante sur les plans opérationnels militaires du Pacte de Varsovie avec lesquels le public a pour la première fois l'occasion de se familiariser:

« En aucun cas on ne peut en conclure que le Pacte de Varsovie s'apprêtait à attaquer en premier l'Occident, il n'en était pas ainsi. En réalité, les deux blocs - l'OTAN et le Pacte de Varsovie, partaient de la supposition que la première attaque serait menée par l'adversaire. »

Une autre révélation surprenante figure dans le livre de Petr Lunak : lorsqu'en 1964, la Pologne est venue avec le plan dit Rapacki sur le gel des armes nucléaires en Europe centrale, des généraux tchécoslovaques s'y sont opposés et n'ont cédé que sur pression de Moscou. Ce qui l'a le plus choqué, c'est que dans la seconde moitié des années 1960, à une période où la détente internationale était à son maximum depuis le début de la Guerre froide, les maréchaux soviétiques ont commencé les préparatifs à une troisième guerre mondiale, ce qui s'est pas resté sans écho auprès de l'armée tchécoslovaque. Les documents réunis par Petr Lunak fournissent un témoignage précieux à cet égard: si, d'une part, les généraux tchécoslovaques planifiaient de puissantes attaques des divisions blindées appuyées par les attaques nucléaires, d'une autre, un groupe d'officiers réformateurs a osé, en 1968, soumettre un mémorandum recommandant que l'armée se concentre sur la défense de la Tchécoslovaquie et abandonne la vision d'une victoire sur le Rhin. Peu après, ce groupe a été dissous.