La première République : un âge d’or des clubs à Prague

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Prague est aujourd’hui particulièrement réputée pour ses nombreux clubs et la diversité de sa programmation musicale. Nous remontons aujourd’hui aux sources de la vie nocturne pragoise, au lendemain du premier conflit mondial.

Avec la première République à partir de 1918, Prague s'approprie une vie nocturne intense à l'instar des grandes capitales européennes. C’est un retour en force de la ville sur la scène culturelle européenne, après des siècles de relatif provincialisme depuis la Montagne Blanche en 1620. Une renaissance comparable à celle qui touche la production culturelle dans la Tchécoslovaquie des années 1960.

Déjà, avant 1918, il existe de nombreux cafés littéraires et artistiques à Prague. Ils permettent aux écrivains débutants de rencontrer les talents confirmés. Cela pouvait tout aussi bien être un café ayant pignon sur rue qu’un café improvisé à la maison. Ainsi, l’écrivain Karel Čapek réunit chaque vendredi dans sa villa de Vinohrady, des écrivains et des philosophes pour débattre culture, actualité, littérature... On n’est pas loin ici des salons littéraires de l’Europe des Lumières.

Jan Werich et Jiri Voskovec
Lors des débats dits de « la Table ronde », on peut voir les grandes figures de la Prague de l’entre-deux-guerres : les duettistes Voskovec et Werich mais aussi Ferdinand Peroutka, grand journaliste et directeur de l’hebdomadaire Présent (Přítomnost).

Même si Tchèques et Allemands de Bohême continuent, avant comme après 1918, à se regrouper dans des associations séparées, le café peut aussi témoigner d’une coexistence harmonieuse entre les deux communautés. Tchèques et Allemands se rencontrent ainsi au Club de la société (Společenský Klub), sur l’avenue Na Příkopě. Le café a donc pu rassembler les deux communautés, à l’instar de la vie théâtrale, où Tchèques et Allemands assistaient souvent ensemble aux mêmes premières.

Chapeau Rouge
A partir de la première République en 1918, de nouveaux styles d’établissement voient le jour : les clubs et cafés musicaux, qui voient Prague se doter d’une riche vie nocturne, à l’instar de Londres et de Paris. Parmi les lieux célèbres, il faut s’arrêter un peu sur le Chapeau Rouge, situé dans la rue Jakubská, dans la vieille ville. Cette institution de ce qu’il faut bien appeler « l’alternative » des années 1920, existe encore aujourd’hui, porte le même nom et offre un programme musical toujours aussi éclectique.

Responsable de la production musicale et artistique au Chapeau Rouge, Daniel Doležal évoque avec nous le club durant l’entre-deux-guerres:

Chapeau Rouge en présent
« Il y avait ici déjà un café aux alentours de 1640, date de la première mention de l’endroit. Le Chapeau Rouge quant à lui est né ici en 1919 et dès le début, il était dédié au monde artistique et musical. On y produisait notamment du jazz. Les musiciens commençaient généralement à jouer vers 22h et il y avait beaucoup d’improvisations mais on jouait aussi les grands standards et styles de jazz que l’on pouvait entendre à l’époque : le Dixieland, etc.... »

« Dans les clubs de Prague pendant l’entre-deux guerre, les concerts commençaient généralement vers 22h pour finir à minuit, 1 heure du matin au plus tard. Après, la plupart des clubs étaient fermés et beaucoup de musiciens se retrouvaient alors au Chapeau Rouge. Le club était d’abord réputé pour être un lieu d’improvisation musicale, où il était possible, même à 3 heures du matin, de venir écouter de la musique. Dans les années 1920, c’était, je crois, l’un des deux seuls clubs du centre qui restaient ouverts jusqu’au départ des derniers clients. D’ailleurs, même les musiciens de jazz étrangers qui venaient jouer à Prague finissaient leur nuit au Chapeau. »

Beaucoup de Tchèques voient la première République comme un âge d’or. Et l’assertion vaut sans doute dans le domaine culturel et artistique. Avec la création de la Tchécoslovaquie, un nouveau souffle, une nouvelle énergie touche la création tchèque, de l’architecture à la musique. Les clubs ne font pas exception à la règle et le Chapeau Rouge des années 1920 symbolise bien l’esprit expérimental qui touche d’autres clubs et cafés, ou l’on mélange déjà poésie, jazz et peinture...

« Le Chapeau n’était pas un club de jazz classique. Il y avait une ou deux pièces avec des petits cabinets. Pour quoi faire? On ne peut que le supposer ! Surtout, quand les musiciens arrivaient ici la nuit et improvisaient avec d’autres musiciens qu’ils ne connaissaient pas auparavant, ils jouaient tout style de musique qui leur venait à l’esprit. Au Chapeau, vous n’entriez pas dans un jazz club mais dans un club éclectique. »

Parmi les grandes figures tchèques qui se produisirent au Chapeau Rouge, citons, en 1929, les Melody Boys, la formation de Rudolf Antonín Dvorský, un ex-membre des célèbres Melody Makers. Mais qui fréquentait le Chapeau dans l’entre-deux-guerres ?

« Des clients jeunes, généralement assez aisés, des artistes, des musiciens, ils se retrouvaient ici. Et puis il y avait aussi, bien sûr, des gens normaux, qui venaient s’amuser et écouter de la bonne musique. Mais pour ce que j’ai pu lire ou entendre, il y avait parfois des soirées complètement folles ici ! »

A l’instar du nouveau visage de Prague dans les 1920 (grands magasins, architecture moderne...), et à l’instar d’autres clubs, parmi lesquelles le Lucerna, le Chapeau symbolise bien le nouveau statut de Prague en 1919 : celui d’une capitale occidentale. Peu à peu, les boîtes de nuit s'y comptent par dizaines. Partout se créent des bars " américains " avec pistes de danse comme le Machacek ou le Gri-Gri. Un âge d’or qui a repris le fil de son histoire depuis la chute du communisme.