La Colonie tchécoslovaque en France de 1914 à 1940

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Jean-Philippe Namont, agrégé et docteur en Histoire, chercheur associé au CNRS vient de publier aux éditions de l’Institut d’Etudes Slaves un ouvrage intitulé « La Colonie tchécoslovaque. Une histoire de l’immigration tchèque et slovaque en France (1914-1940) ». Au micro de Radio Prague, il revient sur cette page mal connue de l’histoire des relations franco-tchécoslovaques et nous expose le rôle central joué par les immigrants tchécoslovaques dans la France de l’entre-deux-guerres.

Vœux de la colonie tchèque de France au président du Conseil Aristide Briand le 12 janvier 1916,  photo: Ministère des Affaires étrangères et européennes,  Archives,  Guerre 1914-1918
Jean-Philippe Namont, qu’est-ce que la Colonie tchécoslovaque de France et pourquoi ce nom de Colonie ?

« Le terme de Colonie s’emploie pour désigner la fédération d’associations qui existent entre 1914 et 1940 en France, mais aussi pour désigner à l’échelle locale, d’une commune, l’association tchécoslovaque du lieu, par exemple, la Colonie tchécoslovaque d’Argenteuil, celle de Lens etc. Elle est créée en 1914, à l’été 1914, avec un double objectif. D’abord, pour organiser l’enrôlement de volontaires tchèques puis tchécoslovaques dans la Légion étrangère française, pour combattre contre l’Autriche-Hongrie, pour libérer la Bohême puis la Tchécoslovaquie. L’autre objectif est surtout d’éviter aux Tchèques qui vivent essentiellement à Paris d’être considérés comme les ressortissants d’une nation ennemie. Donc, il s’agit de fournir des cartes d’identité et d’œuvrer pour la protection de leurs biens matériels pour leur éviter la mise sous séquestre de ces biens. »

Est-ce qu’elle parvient à ses objectifs au sortir de la guerre ?

« Elle y parvient dès le départ, dès l’automne 1914, car le ministère de l’Intérieur autorise cette structure à délivrer des cartes d’identité. Elle devient un consulat sans Etat. A partir de 1915, lorsque s’organise l’émigration politique avec des gens comme Masaryk et Beneš elle est reprise en main, mais elle conserve cette possibilité de délivrer des cartes d’identité. Elle évite ainsi à des ressortissants tchèques d’être emprisonnés. »

Photo: Institut d'études slaves
Après la Première Guerre mondiale, quel est son rôle en France ?

« Après 1918, elle a une volonté englobante. Elle se transforme en un réseau qui n’est plus seulement parisien, car les premières associations étaient seulement parisiennes, elle travaille désormais à une échelle nationale, celle du territoire français et elle accompagne le flux migratoire qui se développe à partir de 1920. C’est donc une fédération. »

Est-ce qu’on peut dire que cette fédération constitue une sorte d’acteur bilatéral dans les relations franco-tchécoslovaques ?

« C’est comme ça qu’elle s’est identifiée dès le départ, dès l’été 1914. C’est un acteur politique. Mais par la suite, dans les années 1920-1930, elle est un relais pour l’Etat tchécoslovaque, c’est-à-dire l’ambassade, les consulats, qui se servent de la Colonie et des associations qui la forment pour recueillir des informations sur les besoins des immigrants et pour distribuer une aide sous la forme d’une subvention aux travailleurs, aux mineurs, aux enfants, etc. »

Vous parliez de flux migratoires, qu’est ce qui fait que dans les années 1920-1930, après la création de la Première République tchécoslovaque, la France est une terre d’élection pour les migrants tchécoslovaques ?

Groupe de volontaires tchèques au Palais-Royal avant leur départ pour Bayonne,  1914,  photo: Collections du Sokol de Paris
« Les migrations tchéco-slovaques, avant 1914, s’inscrivent dans un mouvement long qui se poursuit après 1918. Il est certain que certains migrants tchécoslovaques rentrent au pays après 1918, mais d’autres partent car il y a des perspectives de travail dans d’autres pays que la France. A partir de 1921, les Etats-Unis ferment leur frontière en établissant des quotas. Il faut donc trouver une autre solution pour ceux qui veulent partir, et la France en est une, puisqu’en 1920, une convention d’émigration est signée entre les deux pays et reprend les mêmes termes que les deux conventions que la France avait signées en 1919 avec l’Italie et la Pologne. Donc, il y a des possibilités et la France devient le premier pays d’émigration pour les tchécoslovaques à partir de 1923-1924. »

Toujours sur les migrations, comment expliquez-vous ce départ de Tchécoslovaques ?

« Ca s’explique car il y a des opportunités en France. Les entrepreneurs français ont besoin d’une main-d’œuvre étrangère : ils font appel à des Italiens, ils font appel à des Polonais. La Tchécoslovaquie est un pays allié qui a signé la convention. Pour les entreprises françaises, elle est un vivier en quelque sorte et elles sont très actives pour recruter. L’Etat français les aide, puisqu’à partir de 1929 et 1934 il y a une mission d’émigration en Europe centrale qui recrute principalement des ouvriers agricoles depuis Bratislava et qui sont des Slovaques. Il y a une efficacité de l’Etat et des entreprises françaises à recruter des spécialistes, les verriers par exemple. »

Est-ce que vous pouvez quantifier ces flux migratoires et nous expliquer comment ces migrations se distribuent sur le territoire français ?

Vianne dans le Lot-et-Garonne
« On estime qu’au début des années 1920, il y a 5 000 tchécoslovaques en France et on arrive en 1930-1931 à 70 000. Ces flux confirment le rôle important de Paris et de la Région parisienne. Il y avait beaucoup de Tchèques parisiens avant 1914, il y a ensuite beaucoup d’ouvriers slovaques en banlieue. En 1931, il y en environ 1 500 à Argenteuil et Gennevilliers. Pour le reste, on voit apparaître l’Est, la Moselle, le Nord-Pas-de-Calais essentiellement dans la région de Lens. Et puis quelques communes, Vianne dans le Lot-et-Garonne, la Grand-Combe dans le Gard et, pour les ouvriers agricoles, une dispersion un peu partout en France. »

Une fois la Tchécoslovaquie créée en 1918, les objectifs de la Colonie atteints durant la Première Guerre mondiale, comment expliquez vous le maintien de cette fédération dans la France de l’entre-deux-guerres ?

« Après 1920, elle va mener une action essentiellement sociale. Les besoins des immigrants tchécoslovaques sont grands. Ils ont besoin de conseils, ils arrivent dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue. Ils ont également besoin que l’on pourvoit à leurs besoins en cas de maladie, de période de chômage. Il peut parfois s’agir de payer des enterrements. Et puis, la colonie va beaucoup s’occuper des enfants, pour leur payer des vacances par exemple ou des excursions, mais aussi pour créer des classes et des écoles tchécoslovaques qui vont se former dans les lieux où il y a des concentrations importantes. Elle va aussi organiser une action culturelle pour monter des pièces de théâtre, pour organiser des soirées communes, etc. »

Quelle est la situation de cette fédération au moment de la disparition de la Tchécoslovaquie en 1938 ?

Štefan Osuský,  photo: Hoover Institution
« En France, la situation est particulière en ce sens que lorsque la Tchécoslovaquie n’existe plus en mars 1939, l’ambassadeur Štefan Osuský est confirmé par les autorités françaises dans ce rôle et la Colonie tchécoslovaque est pour lui un pilier, une fédération très active qui veut surtout jouer, en 1939, le rôle qu’elle a joué en 1914 et en 1870 ; car il y avait déjà eu une action militaire. 1870, 1914, 1939, trois moments pour œuvrer politiquement et militairement. Cette colonie se montre donc très active, notamment par le biais d’une propagande très forte. »

Quel est son destin durant la Seconde Guerre mondiale?

« Avec la débâcle, la Colonie tchécoslovaque cesse d’exister immédiatement. Elle encore active en avril 1940 et puis lorsque les troupes allemandes arrivent, elle passe dans la clandestinité. Certains dirigeants partent vers la Grande-Bretagne, d’autres sont obligés de passer dans la clandestinité, de se cacher, tout simplement. Et puis, les associations locales comme la colonie centrale cessent de fonctionner. Certaines archives sont brûlées pour ne pas être saisies par la Gestapo. Il y a ainsi une mise en sommeil. Par contre, certains dirigeants qui étaient actifs, entrent dans la résistance. Qu’il s’agisse du Sokol de Paris ou des communistes qui eux n’étaient pas entrés dans la colonie, mais qui vont jouer un rôle dans la résistance. »

Avec la débâcle, la Colonie tchécoslovaque cesse d’exister immédiatement. Elle encore active en avril 1940 et puis lorsque les troupes allemandes arrivent, elle passe dans la clandestinité.

Est ce que la Colonie française renaît après la fin des hostilités de la Seconde Guerre mondiale?

« Elle ne va pas renaître sous ce nom, mais il y a une volonté des anciens acteurs de la Colonie tchécoslovaque à la faire renaître, en effet. Une fédération va réapparaître et ceci, dès la fin de l’année 1944. Mais beaucoup d’immigrants sont partis. D’abord dans les années 1930. Beaucoup sont partis pendant la Seconde Guerre mondiale, car il existait un Etat slovaque, en théorie indépendant. Et certains dirigeants de la Colonie ont tout simplement disparu. Le président a été déporté et il est mort en déportation, par exemple. Il y a volonté de la faire renaître. Seulement les divisions entre les communistes et les autres, les acteurs historiques de la Colonie de l’entre-deux-guerres, vont faire que la Colonie ne va pas renaître sous cette forme. Une association des originaires de Tchécoslovaquie communiste va naître et, à partir de 1948, sera reprise en main par l’Ambassade au moment du passage au communisme. Les associations comme le Sokol restent à l’écart de façon plus isolée. »


Rediffusion du 02/11/2011