Génétique et recherche historique : des ADN princiers... (II)

Les Přemyslides

Deuxième partie de notre entretien avec Daniel Vaněk, directeur de la société Forenzní DNA servis. Selui lui, la génétique est devenue un apport indispensable pour les historiens... Une chose est sûre : les sous-sols du Château de Prague, où ont lieu les recherches sur les ossements des Přemyslides, est une mine d’or pour les archéologues et les chercheurs.

Photo: Jan Gloc,  Archeosteon
« Dans le contexte européen, nous devons nous estimer chanceux de disposer de tellement d’échantillons, donc si cette étude pouvait aboutir, nous pourrions montrer au reste du monde un bel exemple d’archéo-génétique. Le projet ne porte pas seulement sur l’identification ADN. Ce que nous voulons, c’est que tous les os et crânes (appartenant aux Přemyslides et retrouvés sous le Château de Prague) soient scannés en trois dimensions et qu’ils soient consultables par le public. Ainsi, un étudiant de la Sorbonne, par exemple, pourrait télécharger les images et les comparer avec le squelette de Charlemagne, faire des mesures, etc… En bref, nous fournirions des informations majeures au reste du monde. »

« Si, dans dix ans, quelqu’un demandait à rouvrir les tombes, nous pourrions répondre : nous avons toutes les informations - extraits ADN, scan tridimensionnel, descriptions, mesures, donc… aucun besoin de réveiller les morts ! Les informations sont disponibles, c’est ça l’idée. »

La piste de l’origine germanique des Přemyslides est-elle viable ?

Les Přemyslides
« Répondre à cette question amènerait cent autres questions sur la table. Dans l’histoire de la Bohême-Moravie, il y a de nombreuses interférences avec les Allemands, certaines bonnes, d’autres moins et ce genre de recherche pourrait peut-être contribuer à clarifier certaines choses… »

« Ergolding est une localité en Allemagne, proche de Ratisbonne, à proximité de la frontière avec la République tchèque. A la fin de l’année 2000, on y a trouvé un énorme site funéraire. Il y avait une tombe centrale, avec six squelettes, dont trois de la même famille. On y a trouvé de nombreux objets précieux : cloches en or, épées, etc… C’était le signe clair que ces gens appartenaient à ce qu’on appelerait aujourd’hui les VIPs de l’époque. »

« C’est pourquoi l’Institut archéologique de Bavière nous a commandé ces recherches. Nous avons découvert que deux des squelettes appartenaient à deux frères et, fait troublant, ils se tenaient les mains. Notre grande suprise fut de constater une très grande similitude entre les chromosomes blancs de ces ducs d’Ergolding et ceux de la famille Romanov, fondatrice de la dynastie russe. Désormais on peut raisonnablement penser pouvoir connecter les Přemyslides avec les Ergolding ou un autre lignage germanique. »

Levý Hradec
Les plus vieilles mentions concernant les Přemyslides dans les sources occidentales remontent à 872 et concernent le prince Bořivoj, dont la capitale se situait à Levý Hradec, au nord de Prague. Avez-vous effectué des recherches sur ce site ?

« Vous savez, je ne suis qu’un scientifique généticien. Mon équipe et moi-même nous occupons exclusivement d’analyse de structure ADN, ect… Tout le reste repose sur les archéologues et les anthropologues, qui me fournissent les échantillons à analyser. Je ne suis pas entraîné et formé à trouver des tombes. »

« Le travail de recherche génétique appliqué à l’histoire n’est vraiment pas chose facile. Dans le cas des Ergolding que j’ai évoqué tout à l’heure, il nous fallu plus d’un an pour analyser les ADN des six squelettes. Le plus difficile réside dans le choix de la méthode. Nous devons constamment adapter le protocole. Ce qui fonctionne pour les Ergolding ne marchera pas pour les restes des Přemyslides au Château de Prague ou pour des paysans moraves du Néolithique. »

La tumbe de Bořivoj II à la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague,  photo: Barbora Kmentová
D’après l’étude menée en 2007 par un cabinet de génétique, 50 % des Tchèques seraient Slaves, le reste étant partagé entre des éléments latins, juifs, celtes, etc… Que pensez-vous de ces résultats ?

« Il y a, parmi les Tchèques, un groupe prévalent de chromosome blanc de type R1A, spécifique aux Slaves. Ceci dit, on retrouve ce chromosome parmi les Vikings, au Norvège, dans le nord de l’Angleterre et en Islande ! Il faut donc étudier ces informations de manière vraiment scientifique et ne pas tirer de conclusions hâtives sans connaître le contexte. »

« Non, il est tout à fait faux d’affirmer que 50 % des Tchèques sont Slaves, c’est plus complexe que cela. On peut dire que la majorité des Tchèques, disons 70 %, appartiennent au groupe génétique R1A, un groupe que l’on retrouve surtout en Russie, en Ukraine, en Pologne, etc… Nous devons d’abord analyser des ossements de site slave du VIème ou VIIème siècle et comparer avec les résultats avec la population actuelle. Là on pourra tirer des conclusions, pas avant. »

L’ADN est-elle un outil important pour l’historien du futur ?

« Les historiens travaillent avec des preuves plus faibles que les résultats des analyses ADN. Pour les périodes éloignées, dès les débuts du Moyen-Age, on trouvera toujours trois ou quatre experts, qui ont des vues différentes. Les analyses ADN peuvent apporter des réponses claires. »

Il n’en reste pas moins que la génétique ne peut substituer à tout le champ de la méthodologie historique. Elle en est un outil plus qu’utile pour les identifications. Mais n’a pas de prise sur l’immatériel et qui constitue justement la trame des nouveaux historiens : histoire des mentalités, des affects etc… Autre limite, symbolique celle-ci, mise en avant par Daniel Vaněk : les ossements de saints, qu’il est impossible d’analyser vu leur valeur morale.