Expo Charlemagne : héritage sans accroc au Château de Prague

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« L’Héritage de Charlemagne », c’est le nom de l’exposition visible jusqu’au 14 octobre dans l’aile Marie-Thérèse de l’Ancien palais royal du Château de Prague et produit d’un projet international soutenu par la Commission européenne. L’Empire carolingien constitue en effet au IXe siècle de notre ère un exemple de tentative d’unification de l’espace européen dont n’ont pas été exclus les pays tchèques. C’est ce à quoi s’intéresse particulièrement l’exposition, ainsi que l’explique sa curatrice Jana Maříková-Kubková, qui a accordé à Radio Prague l’honneur d’une visite guidée.

« ‘Un royaume avec une seule langue et une seule coutume est fragile et stupide’. Je trouve cela très beau pour définir l’idée européenne. » Cette phrase de Saint Etienne de Hongrie, cité par notre guide, caractérise l’idée qui sous-tend l’exposition « L’Héritage de Charlemagne » : il s’agit pour les chercheurs originaires de différents pays qui l’ont conçue, de mettre en avant les racines moyenâgeuses communes de l’Europe. Cela étant dit, la visite, qui suit ce fil conducteur, peut commencer :

« Nous sommes actuellement dans l’aile thérésienne du palais royal du Château de Prague. Au premier étage, il est d’abord question de l’idée européenne, des processus d’unification de l’Europe. Comme nous sommes archéologues à la base, nous avons choisi un point de vue culturel. On essaie de montrer que déjà durant la Préhistoire, il y a des moments où culturellement l’Europe s’est unifiée. Vous pouvez ici voir des exemples de la Préhistoire, de l’Empire romain, de l’Empire franc… On présente aussi la copie du traité d’adhésion de la Tchéquie à l’UE en 2004. »

A travers l’histoire, tous les exemples d’unité européenne ou de tentatives de parvenir à cette unité…

Jana Maříková-Kubková,  photo: Archives de l'Université Jan Evangelista Purkyně
« Ce ne sont que quelques exemples choisis, seulement pour démontrer que la tentative d’unification de l’Europe n’est pas une idée nouvelle. Ensuite, comme nous parlons de Charlemagne, nous le présentons un peu, lui et sa famille. Nous avons la copie de la fameuse statue de Charlemagne qui vient d’Allemagne, d’ Ingelheim, l’original étant au Louvre à Paris et il est impossible de l’amener. Dans les parties suivantes de l’exposition, on parle de plusieurs événements, objets ou personnages du Moyen Âge, en voulant en montrer la vie propre, par exemple ici avec la couronne impériale de Charlemagne. Il y est question de l’original de la couronne et de sa vie, comment elle est arrivée à Vienne. On parle aussi du fait qu’on en fait toujours des copies…

Parce qu’elles représentent quelque chose, elles sont des symboles de ce pouvoir…

« Tout à fait, et on expose aussi une copie de couronne pout le château de Karlštein, parce que sous Charles IV, quand il était empereur romain en Europe (au XIVe siècle), il y a bâti une chapelle pour accueillir la couronne impériale. Aujourd’hui, le château aimerait obtenir une copie de la couronne pour montrer que l’original se trouvait là… »

Pour en revenir à Charlemagne, sait-on s’il est passé par les territoires où se trouvent actuellement les pays tchèques ?

Charlemagne par Albrecht Dürer
« Charlemagne est passé sur notre terre en 805. Il est passé par l’Europe centrale et il a tué Lech. Lech était un des princes de Bohême. Donc on sait qu’il est passé par là ! »

Comment étaient les pays tchèques à cette époque ? C’était déjà l’époque de la Grande Moravie ? Qu’y avait-il en Bohême ?

« Cela commence ce moment-là, la période soi-disant de la Grande Moravie, soi-disant parce que la Grande Moravie est une construction du XIXe siècle, instrumentalisée dans les années 1920 pour la nouvelle République tchécoslovaque et ensuite par les communistes. Mais ce qu’on connaît comme la Moravie, cela date plutôt de la moitié du IXe siècle et après. Au début, les pays tchèques étaient plutôt liés à la Bavière. »

Alors ici on voit un caillou…

« C’est une chose très intéressante, parce que cela vient de Nitra, une ville du sud de la Slovaquie. Cela a été trouvé par les archéologues et considéré comme datant du XIe siècle. Mais apparemment c’est quelque chose de beaucoup plus antique, j’ai l’impression que c’est romain. Donc c’est une réutilisation d’une sculpture architecturale au Moyen Âge.

Dans la partie suivante, on représente la diversité en Europe. On représente cinq régions en Europe. Donc la Lotharingie comme le centre du pouvoir de la famille de Charlemagne et comme une région riche et puissante à l’époque…

Photo: T.Lauko,  Museé national de Slovénie / Site officel de Kultura na Hradě
Avec Aix-la-Chapelle, la capitale de l’Empire carolingien …

« Tout à fait. Ensuite, on représente l’Italie, la région qui a permis le transfert de l’art et de la tradition antique, de l’Antiquité tardive jusqu’au Moyen Âge, une période importante de transfert des idées. »

Parce que le nord de l’Italie a fait partie de l’Empire carolingien ?

« Oui et Charlemagne a été couronné empereur à Rome en 800 et il a beaucoup été influencé par l’église Saint-Vital à Ravenne. L’édifice a servi de plan pour des nouveaux bâtiments à Aix-la-Chapelle et il y avait donc une grande influence de l’art du nord de l’Italie vers le reste de l’Empire.

Ensuite, nous avons laissé beaucoup de place pour l’Europe centrale, mais on parle en particulier de la Slovaquie, spécialement de la région de Nitra, une ville très connue pour être un centre important à partir du IXe siècle. Par ailleurs, on veut présenter l’Europe centrale comme un nouveau territoire en faisant un parallèle entre le Moyen Âge et l’Union européenne maintenant. C’est la dernière région à faire partie des grands empires. »

Photo: Adriana Krobová,  ČRo
Les autres régions présentées sont la Carinthie, l’actuelle Slovénie, et la Croatie, des territoires mis en avant en tant que cœur des échanges entre l’Empire franc et l’Empire byzantin. Il est à présent temps de rejoindre le second étage du bâtiment pour poursuivre la visite. En chemin, Jana Maříková-Kubková évoque les différentes approches proposées par les différents pays à avoir déjà accueilli l’exposition : les parallèles historiques à Ename en Belgique, le transfert des idées antiques vers le Moyen Âge à Ravenne, la Slovénie en Slovénie…

Alors nous arrivons dans une nouvelle salle…

« Dans cette partie, on a travaillé avec l’idée de l’universalité. On essaie de présenter tout ce qui est commun pour l’Empire. On commence évidemment avec l’administration de l’Empire, la façon dont cela marchait entre les régions différentes. »

C’était déjà un système féodal ?

« Cela dépend des régions. C’est assez compliqué, je vous invite à lire les textes de l’exposition (rires). Ensuite on s’intéresse aux religions, en montrant qu’il n’y avait pas seulement des chrétiens. Le judaïsme et l’islam étaient déjà présents, très fortement présents durant le haut Moyen Âge. L’islam était présent en Espagne, et le judaïsme surtout en Rhénanie. »

Ici en Europe centrale, le paganisme dominait encore ?

Le croix avec Jésus-Christ,  photo: J. Gloc,  Institut archéologique de l'Académie des Sciences ,  Prague / Site officel de Kultura na Hradě
« Oui, c’était encore du paganisme. A partir du début du IXe siècle, le christianisme commence à se répandre et des sources parlent des Juifs à Prague vers la fin du Xe siècle. »

Cela veut dire que durant l’Empire carolingien, il n’y avait pas systématiquement de missions d’évangélisation des peuples sous l’autorité d’Aix-la-Chapelle ?

« Si, nous connaissons des missions qui viennent dans notre région vers la fin du VIIIe siècle, qui venaient surtout de la région du nord de l’Italie, d’Aquilée, de la Bavière, de Passau ou de Ratisbonne et Salzbourg. On connaît aussi des missions qui venaient de Suisse ou de cette région donc nous étions toujours sous une pluie de missions. »

Mais il a fallu du temps pour que ces missions fonctionnent ?

« Cela dépend. C’est une chose qui est pétrifié dans les livres d’histoire tchèques mais je n’en suis pas tout-à-fait sûre. Par exemple je vois qu’au niveau archéologique, petit-à-petit nous développons des choses très intéressantes pour le début du IXe siècle où il y a déjà des preuves de l’existence de centres liturgiques et chrétiens en Bohême, ici à Prague. Je crois que c’est une question encore ouverte. »

Donc il faudrait revoir quelque peu la légende des évangélisateurs Cyril et Méthode ?

Photo: Adriana Krobová,  ČRo
« Absolument. A partir de 1963, avec de grandes expositions comme celle de la Grande Moravie, qui a circulé dans toute l’Europe, on a voulu démontrer nos racines à l’Est à cause de la politique socialiste et communiste. C’était quelque chose qui était demandé par les dirigeants à l’époque. Nous avons de la documentation des années 1970 où cela était vraiment imposé par le gouvernement, il fallait créer un système idéologique de racines proches de l’Europe orientale. Je crois que c’est aussi une question à ouvrir maintenant. »

Paradoxalement, il y a aussi un aspect politique à cette exposition sur Charlemagne avec la devise de l’Europe, « L’unité dans la diversité »…

« Ce que je voudrais faire, c’est montrer aux gens qu’il faut réfléchir sur l’histoire et qu’il faut toujours voir les choses de plusieurs côtés. »

Boucle d'oreille,  photo: M. Frouz,  Institut archéologique de l'Académie des Sciences / Site officel de Kultura na Hradě
De réflexion et d’unité au sein de l’Empire carolingien, il est ensuite question à propos des réformes linguistiques, courantes dans le contexte de disparition progressive du latin vulgaire, des centres intellectuels en Europe, et par exemple de celui de Liège, où sont passés de nombreux religieux tchèques, ou encore des techniques architecturales qu’on retrouve partout sur le Vieux continent. L’exposition ne serait pas complète sans une présentation poussée des échanges économiques qui lient et relient les différentes régions de l’Empire des Francs. C’est ce sur quoi conclut Jana Maříková-Kubková dans une dernière salle du Château de Prague, celle qui servait aux travaux administratifs au XVe siècle :

Stèle du site de Libice nad Cidlinou,  photo: Museé national / Site officel de Kultura na Hradě
« Ici, on continue avec l’unité de l’espace carolingien, d’abord avec la charte de Zobor. Zobor est un monastère à côté de Nitra en Slovaquie. Cette charte parle de l’histoire du XIe siècle, des biens du monastère, et elle est très intéressante pour comprendre comment une région était administrée, qui payait quoi à qui. Ensuite, une chose qui nous lie ensemble, c’est l’économie et le marché. Il y a une carte où l’on voit le commerce à longue distance avec les routes commerciales dont certaines traversaient l’Europe centrale. On présente des objets qui viennent du site de Libice (aujourd’hui une commune à l’ouest de Prague). Ces objets proviennent de différentes parties d’Europe, une boucle de Lotharingie, des choses qui viennent de l’est, un petit cœur qui vient de la Pannonie, la Hongrie. C’est un site qui n’est pas forcément important au niveau européen. C’est un site important pour la Bohême et l’Europe centrale, donc cela montre qu’il y avait un grand mouvement en fait à l’époque. »

Un espace ludique et un tapis géant représentant la carte du royaume de Lothaire, issu du partage de l’Empire carolingien en trois entités lors du traité de Verdun de 843, achèvent une exposition qu’il est possible et recommandé de découvrir jusqu’au 14 octobre au Château de Prague.