Européens en Bohême, Bohême européenne

Prague
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Dans le contexte de crise que traversent les institutions européennes, nous avons choisi d'axer ces Chapitres de l'Histoire sur la Prague européenne, une Bohême telle qu'elle a toujours existé. Car l'une des magies de la cité vltavine, c'est aussi, on l'oublie trop souvent, d'avoir constitué à travers l'histoire un creuset culturel et européen.

Charles Quint
Au début du XVIe siècle, le rassemblement de la Hongrie et de la Bohême dans une entité plus large s'impose comme une évidence face au danger turc. Lors de la réunion des couronnes tchèques et magyars sous le sceptre des Habsbourg, l'Empire autrichien se présente plus comme une sorte de confédération qu'un domaine centralisé et gouverné depuis Vienne. L'heure n'est pas encore à l'absolutisme des XVIIe et XVIIIe siècles.

Et la nouvelle situation permet à la Bohême de s'ouvrir à l'Italie et à l'Espagne, dirigées par Charles Quint, frère de Ferdinand Ier de Habsbourg. La physionomie de Prague toute entière s'en trouvera modifée, avec la venue d'artistes italiens qui donnent à Prague des allures méridionales. Notons au passage que toutes ces terrasses et balcons ouverts étaient particulièrement peu adaptés aux températures hivernales de Prague !

Bélvédère
La liste des artistes italiens qui s'installent à Prague au XVIe siècle est trop longue pour être énumérée ici. Une chose est sûre : ils auront donné à la cité l'aspect Renaissance qu'elle conserve encore aujourd'hui. Parmi les plus célèbres, citons Paolo Della Stella, architecte supposé du Bélvédère, résidence d'été de l'Empereur sur les hauteurs de Prague, non loin du Château. Egalement le peintre Francesco Terzio, formé à Venise.

Installés à Mala Strana, les artistes italiens forment une véritable petite colonie. Cet afflux se double par ailleurs de celui de nombreux marchands italiens (environ 80 personnes) et allemands (on compte 385 familles). Des marchands allemands sont par ailleurs présents à Prague depuis le XIIIe siècle. Appelés par le roi premyslide Ottakar II, ces colons étaient, pour la plupart, originaires d'Allemagne du Sud et de Strasbourg.

Avec le règne de Rodolphe II, synonyme de grand mécénat, le caractère cosmopolite et culturel de Prague ne fait que s'affirmer. Le peintre italien Arcimboldo, célèbre pour ses portraits naturels de l'empereur, vit à Prague de 1562 à 1587.

Rodolphe II
Mais c'est bien de toute l'Europe, et pas seulement d'Italie, qu'affluent de grands talents. Le peintre Bartholomeus Spranger, originaire d'Anvers, le grand paysagiste hollandais Roelandt Savery, comme, aux XVIIe et XVIIIe siècles, la dynastie allemande des Dienzenhofer, à qui l'on doit l'église Saint-Nicolas de Mala Strana, chef-d'oeuvre du baroque triomphant. Citons encore le Français Mathey, au XVIIe siècle, auteur de l'escalier monumental du château de Troja. Un travail qu'il effectua d'après la conception de Jan Jiri Heerman, originaire de Saxe !

Edward Kelley
La vie scientifique de la Bohême d'avant la Guerre de Trente Ans est également touchée par cet afflux de talents. L'image d'épinal du règne mystique et loufoque de Rodolphe II a la vie longue. Pourtant, au-delà du mythe alchimiste, le Habsbourg amena, de toute l'Europe, des scientifiques de valeur. Citons l'astronome danois Tycho Brahé ou encore le mathématicien et cartographe anglais John Dee. Et notons que la réputation de générosité de l'Empereur pour ses protégés attisait de nombreuses convoitises. On vit quelques fois débarquer au Château de véritables escrocs, comme l'Anglais Edward Kelley, qui prétendait connaître le langage d'Adam !

La période qui s'étend de 1620, année de la défaite de la Montagne blanche, à 1648, année de la fin de la Guerre de Trente Ans, voit l'Europe se déchirer. Mais la fin des hostilités signifie aussi pour la Bohême la chappe de plomb de l'absolutisme autrichien pour les deux siècles à venir.

Le XIXe sera celui d'un retour à ses traditions nationales et d'une redéfinition de celles-ci. La Bohême se cherche et, loin de se couper des courants culturels et politiques européens, elle conserve encore certains trains du provincialisme dans lequel elle est plongée depuis l'absolutisme des Habsbourg.

Une fois l'Etat tchécoslovaque créé, en 1918, le pays peut enfin se redéfinir sur la scène européenne. Dans l'architecture, notamment, Prague apporte avec brio sa touche aux courants culturels européens. Traditionnellement industriel, le pays s'affirme aussi comme une concurrente sérieuse pour ses voisins. La Tchécoslovaquie est la seule démocratie dans la région, où la tendance est, en Pologne, en Hongrie ou en Roumanie, à l'autoritarisme. Les relations sont d'ailleurs au plus bas avec ces voisins. C'est donc tout naturellement que le pays renforce ses relations avec la France et l'Angleterre... avant la grande désillusion de Münich, en 1938, puis la coupure totale de 1948 à 1989.

Depuis 1989, le pays retrouve sa vocation européenne et son visage, de plus en plus, cosmopolite. Aujourd'hui, des Anglais, des Français, des Italiens, des Espagnols, des Allemands vivent et travaillent à Prague. Ils favorisent la connaissance du pays chez eux et participent à la vie d'une ville qu'ils aiment. Souvent, ils parlent tchèque ! N'est-ce pas là l'aboutissement naturel d'une histoire multiséculaire ? L'avenir de la construction européenne réside sans doute dans la réponse qu'on veut donner à cette question.