Cosmas, Dalimil, Marignola et les autres….

Budyšínský rukopis Kosmovy kroniky

Un projet unique est actuellement proposé au public par le Musée national de Prague. Il permet de découvrir les originaux de précieux manuscrits relatant les débuts de l’histoire tchèque et l’ère mythique des premiers princes barbares. L’occasion de vous les présenter dans cette nouvelle édition des chapitres de l’histoire.

Petr Mašek
Un total de six chroniques et manuscrits de textes fondamentaux de l’histoire tchèque sont présentés au public, chacun pendant quinze jours, soit la durée maximale permettant d’exposer des documents papier anciens. L’exposition s’est ouverte le 18 février avec le manuscrit de Bautzen de la chronique de Cosmas qui est le plus ancien exemplaire connu de cette chronique écrite en latin au début du XIIe siècle, comme le détaille le commissaire de l’exposition, Petr Mašek :

La Chronique de Cosmas | Photo: Musée national
« Le premier chroniqueur véritable, c’est Cosmas, et c’est donc avec cette chronique écrite entre 1119 et 1125 que nous avons commencé. Cosmas est le premier à avoir créé l’image complète des légendes tchèques, depuis l’arrivée du peuple dans le pays, jusqu’à l’élection du prince Přemysl. Après la chronique de Cosmas, ce sera au tour de la chronique de Dalimil, la première écrite en langue tchèque autour de 1310. L’ouvrage développe les connaissances de Cosmas sur l’arrivée du peuple tchèque en Bohême et se termine par le règne de Jean de Luxembourg. Grâce à la chronique commandée par Charles IV à Přibík Pulkava de Radenín, maître de l’Université praguoise, nous pouvons nous familiariser avec la personne de Lech, fondateur de la Pologne. L’auteur d’une autre chronique écrite en latin à la fin XVe siècle, Johannes Marignola, moine et explorateur italien invité à Prague par Charles IV, est le moins connu de tous. En tant qu’étranger, Marignola se base sur Cosmas, mais il vient avec des faits nouveaux, en racontant d’une manière tout à fait différente de Cosmas l’histoire de Přemysl le Laboureur appelé à monter sur le trône princier. »

Marta Vaculínová
Comme le rappelle pour sa part Marta Vaculínová du Musée national, la chronique de Cosmas a été offerte dans les années 1950 à l’Etat tchécoslovaque, ensemble avec le Codex de Iéna, par le président de l’ex-RDA, Wilhelm Pieck. L’autographe de Cosmas n’a pas été sauvegardé. Le manuscrit de Bautzen est la plus ancienne copie connue de la chronique de Cosmas, créé quant à elle au début du XIIIe siècle. On écoute Marta Vaculínová:

« La chronique exposée est ouverte à la page où se trouve l’unique illustration que cet ouvrage contient. C’est une enluminure représentant les frères Čech et Lech. On la date à une période postérieure à la création de la chronique. Peinte sur une feuille de parchemin, elle y a été collée plus tard. Il convient de souligner que les enluminures ayant pour thème les personnages réels de l’histoire sont très rares. La plupart des enluminures qu’on trouve dans les manuscrits médiévaux sont liées aux affaires religieuses. »

La Chronique de Dalimil
Contrairement à Cosmas qui est un personnage réel mentionné, lui ainsi que sa femme Božetěcha directement dans le manuscrit, la chronique de Dalimil est en réalité l’oeuvre d’un auteur anonyme. Certaines sources l’attribuent au chanoine de Boleslav, Dalimil Meziříčský. Le chroniqueur qui est probablement d’origine noble ne cache nullement ses sentiments patriotiques dont le livre est empreint. Il est convaincu de la responsabilité des monarques envers leurs pays et leurs peuples. Il incite à la résistance contre les influences néfastes venant de l’étranger, s’oppose aux mariages des nobles tchèques avec les femmes d’autres pays et apprécie, en revanche, la décision du prince Oldřich d’épouser Božena, une simple fille du peuple, au lieu de choisir une princesse allemande. La chronique en 106 chapitres s’ouvre sur le récit de la construction de la fameuse tour de Babel, de la confusion des langues et de la dissémination du genre humain dans diverses parties du monde. Elle évoque ensuite l’arrivée du peuple tchèque en Bohême, les légendes de l’ancêtre Čech, de Přemysl le Laboureur et les prophéties de la princesse Libuše. Il existe également une traduction allemande et latine de la chronique de Dalimil.

Récemment, en 2005, un fragment d’une traduction latine découvert à la Bibliothèque nationale de France a fait l’objet d’une vente publique à Paris et c’est la Bibliothèque nationale de Prague qui l’a acquis. Le fragment contient 24 pages richement enluminées. Selon ses dessins, on a déduit que son auteur était originaire d’Italie du nord et que cette traduction serait liée aux séjours de Charles IV en France et en Italie.

Le Manuscrit de Dvůr Králové
Les deux derniers manuscrits exposés au Musée national sont les manuscrits de Zelená Hora et de Dvůr Králové, découverts au début du XIXe siècle, et connus notamment pour le débat mené autour de leur authenticité. Marta Vaculínová:

« Les manuscrits de Dvůr Králové et de Zelená Hora ont été découverts dans les années 1817 et 1818. Dans la crypte de l’église Saint-Jean Baptiste de la ville de Dvůr Králové, Václav Hanka fait, en 1817, la découverte d’un document appelé en tchèque Rukopis královédvorský, soit le manuscrit de Dvůr Králové. Daté au XIIIe siècle, il présente des poèmes héroïques sur la Bohême. Pour l’écriture, on a employé l’encre ferrique de noix de galle de couleur verdâtre. Le manuscrit contient des enluminures en forme de lettrines dorées. »

Le Manuscrit de Zelená Hora
Le musée de la ville de Dvůr Králové a installé à l’intérieur de la crypte une petite exposition documentant les circonstances de la découverte du manuscrit. Mais passons à l’autre document appelé Rukopis zelenohorský, le manuscrit de Zelená Hora :

« Il a été envoyé en 1818 au Musée national par une personne anonyme. On ignorait à qui appartenait sa découverte. Dans les années 1950, on a conclu qu’il était découvert à Zelená Hora, d’ou son nom. Auparavant, on l’appelait Libušin soud, le tribunal de la princesse Libuše, d’après le poème principal. Deux personnages y apparaissent – Chrudoš et Šťáhlav, les mêmes qu’on connaît de l’opéra Libuše de Bedřich Smetana, d’ailleurs fort inspiré par ce manuscrit. Le linguiste Josef Dobrovský fut le premier à émettre des doutes sur l’authenticité du document daté aux alentours du IXe siècle. Au fil du temps, l’avis a changé, en sorte qu’à la période de Renaissance nationale, le texte a été vénéré en tant que preuve de l’ancienneté des racines du peuple tchèque. Personne n’a alors osé mettre en doute l’authenticité des manuscrits qui sont même devenus une partie triomphante de notre culture, les gens les déclamaient, récitaient par coeur, et ils ont servi de source d’inspiration à de nombreuses oeuvres d’art. »

Cependant, les manuscrits ont aussi été source de polémiques et de controverses. Finalement, en 1886, le philosophe Tomáš Garrigue Masaryk et le philologue Jan Gebauer ont prouvé scientifiquement qu’il s’agissait de faux, bien imités. La publication des résultats a failli provoquer un scandale. La Société tchèque des manuscrits a été fondée au XXe siècle avec l’unique but : défendre l’authenticité des documents de Zelená Hora et de Dvůr Králové. Or les résultats des recherches menées dans les années 1960 sont univoques, souligne Marta Vaculínová :

« Les conclusions des recherches ont prouvé que du point de vue des sciences humanitaires, il ne s’agissait pas de documents littéraires créés dans les années auxquelles ces textes se référaient. Des points d’interrogations persistent pourtant. Nous ne pouvons pas dire avec certitude qui est l’auteur de ces manuscrits, on a toujours soupçonné Václav Hanka et Josef Linda. Même si Václav Hanka, bibliothécaire et en quelque sorte notre précurseur, était une personnalité controversée, impossible d’affirmer avec conviction que c’était lui, l’auteur des faux. »

L’exposition des manuscrits au Musée national refermera ses portes le 29 avril et elle est la dernière avant la fermeture du bâtiment historique du musée pour travaux de rénovation qui sont prévus jusqu’au milieu de l’année 2015.