Avant-gardes tchèques et allemandes

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Nous sommes toujours en été alors pourquoi ne pas évoquer maisons blanches et arbres de pins ... L'Espagne ? Non, le centre de l'Europe, avec une ligne continue partant de Weimar, Dessau et continuant sa route vers Prague et Brno. Vous l'aurez peut-être compris, nous évoquerons aujourd'hui l'histoire du Bauhaus et au-delà, du destin commun des avant-gardes tchèques et allemandes.

Décrié ou adoré, le Bauhaus représente peut-être bien, après l’Art nouveau, le dernier grand courant d’idées en matière d’architecture. Maisons cubiques et blanches, la sobriété du style cache une réflexion permanente sur le bien-vivre et une ingéniosité remarquable dans chaque réalisation.

Né au début des années 1920 en Allemagne, à Weimar, sous la houlette de Walter Gropius, le Bauhaus met en avant des concepts inédits à l’époque : mélange des disciplines, du design à l’architecture en passant par le théâtre, importance de la relation extérieur-intérieur et rencontre entre l’art et l’industrie. Ce dernier point soulèvera la critique de l’artiste tchèque Karel Teige. En 1924, dans la revue Stavba, il reproche au Bauhaus de penser possible l’union des arts artisanaux et industriels.

Le Bauhaus est à l’Allemagne ce que le constructivisme est aux terres tchèques. L’Exposition de la culture contemporaine à Brno, en 1928, marque l’implantation du constructivisme en Bohême-Moravie. Derrière les classifications en –ismes, les deux mouvements sont en fait jumeaux et on peut bien parler d’un mouvement avant-gardiste, qui, de Weimar à Brno, renouvelle l’approche de la construction.

C’est d’ailleurs un natif de Brno, Adolf Loos, qui est souvent considéré comme l’un des inspirateurs du Bauhaus, avec son ouvrage « Ornements et Crime », paru dès 1908 et où il assimile l’ornement à un artifice. Loos partageait de plus une amitié commune avec Walter Gropius en la personne de Le Corbusier. Et c’est ce dernier qui le révélera en le publiant dans sa revue « L’Esprit Nouveau ».

Villa Müller
Parmi les oeuvres de Loos, citons la Villa Müller, à Prague, construite entre 1928 et 1930, pour un riche promoteur immobilier. Maria Szadkowska, historienne d'art et guide de la villa, nous en parle :

« Dans la maison, il n'y a pas d'étages, seulement des niveaux. La plus grande est la pièce centrale qui servait de salon. La salle à manger est tout autre, plus petite et calme, ce à quoi correspondent les tons de couleur brune. De même, le boudoir est un intérieur purement féminin, équipé à l'instar des boudoirs baroques ou rococo dans lesquels la dame avait deux possibilités d'entrée et de sortie, et où elle pouvait inviter ses amies pour prendre un thé ou un verre. »

Maria Szadkowska évoque le choix du brun pour évoquer le calme. Un code des couleurs que l’on retrouve dans les édifices du Bauhaus construits par Gropius à Dessau, dans l’Est de l’Allemagne. Ici, les parties publiques ou communes sont surlignées de bleu et les espaces privés de rouge.

Autres points communs entre les avant-gardes architecturales tchèques et allemandes : la création de nouvelles villes, marquées par la rationalisation du plan urbain et la recherche de solutions pour des logements de masse, modernes et surtout peu chers. Ce sera ainsi le Siedlung Törten, que Gropius crée à la demande de la municipalité de Dessau ou encore les plans de František Gahura pour la construction de la ville industrielle de Zlín, en Moravie.

Ces deux projets se rejoignent par l’importance accordée à l’environnement naturel et au bien-être. Chaque maison est dotée d’un jardin individuel. Seule différence, à Dessau, les maisons sont destinées à des particuliers et à Zlín, elles logent les employés de l’usine Bata.

La modernité et l’audace des réalisations Bauhaus soulèvera dès ses débuts de nombreuses polémiques. C’est d’ailleurs face à l’hostilité du gouvernement de Thuringe que Gropius et ses collègues doivent déménager en 1925 à Dessau. Il en fut de même pour la villa Müller de Loos, à qui la municipalité de Prague reprochait l’absence de décoration et le toit plat.

Mais ce sont les nazis qui porteront les coups les plus durs au Bauhaus. Pour les maîtres du IIIe Reich, le Bauhaus est étranger à la culture germanique. En 1934, le Bauhaus est accusé par Göring de constituer une « couveuse d’esprits bolcheviques » et un an après, Joseph Goebbels déclare : « J'ai trouvé dans le Bauhaus l'expression la plus parfaite d'un art dégénéré ». Les conséquences s'en font vite ressentir. A Dessau tout d'abord ou l'école d'Art du Bauhaus est fermée, le bâtiment étant utilisé comme une école pour Gauleiter. Les nazis iront même jusqu'à faire construire, en vis-à-vis, des maisons supposées représenter un style plus allemand. Tous les enseignants, des grands noms de l'art contemporain, de Kandinsky à Mies Van der Rohe, doivent s'exiler.

Villa Tugendhat
Le lien fort qui exista entre avant-gardes tchèques et allemandes durant l’entre-deux-guerres est bien symbolisé par la restauration de la villa Tugendhat, chef-d’oeuvre Bauhaus de Mies Van der Rohe, près de Brno. Nous donnons la parole à Pavel Ciprian, directeur du musée de Brno, qui témoignait en 2005 :

« En premier lieu, je mentionnerais l'étroite collaboration avec le professeur Ivo Hammer, qui est le doyen de l'Ecole des arts appliqués et de la restauration à Hildesheim, en Allemagne. Par un concours de circonstance, il est marié à Daniel Tugendhat, la fille des bâtisseurs de la villa. Grâce à eux, plusieurs équipes de restaurateurs sont venues à Brno pour faire des recherches sur les matériaux nobles qui ont été utilisés lors de la construction de la villa. »

C'est dans la seconde moitié des années vingt que se concentrent les constructions majeures du Bauhaus, de Dessau à Brno. Cet âge d'or furtif, stoppé net par les remous de l'histoire, aura posé les jalons de l'architecture moderne par son refus du dogme et ses questionnements sur la place de l'environnement, ou encore l'usage du verre pour alléger les structures : « Le luxe d’aujourd’hui, c’est le confort de demain », affirmait Gropius en 1930...