20 ans de mutations de la diplomatie tchèque

Václav Havel, photo: Tomáš Adamec, ČRo

Entre la position à adapter sur le dossier ukrainien, la mise de côté de la politique de défense des droits de l’homme héritée du président Havel au profit d’une approche plus pragmatique des relations internationales ou encore les divergences de vue entre le château de Prague, siège de la présidence, et le gouvernement, les mutations de la diplomatie tchèque sont au cœur des débats. Pour y voir plus clair sur les évolutions de la politique étrangère tchèque depuis 1989, Radio Prague a sollicité Ondřej Horký-Hlucháň, lequel dirige la section recherche de l’Institut des relations internationales de Prague.

Ondřej Horký-Hlucháň,  photo: Site officiel de l'Institut des relations internationales de Prague
« Je pense que la diplomatie tchèque a pendant très longtemps été centrée sur deux appartenances qui n’étaient pas discutées : l’alliance atlantique, l’OTAN, depuis 1998, et puis de façon peut-être plus importante l’entrée dans l’Union européenne en 2004. Depuis, ce consensus, ou ce quasi consensus, car bien sûr les communistes contestent ces deux dimensions de la politique étrangère tchèque, a disparu et nous sommes maintenant témoins de nouvelles divisions au sein de la diplomatie tchèque. Ce n’est pas seulement au fur et à mesure que les gouvernements changent car il y aussi souvent des différences entre le président et le gouvernement, du fait qu’il y a une tradition de personnalité forte à la présidence tchèque. Même si pendant longtemps les présidents tchèques n’ont pas été élus au suffrage universel direct à l’inverse du président Miloš Zeman. »

L’ancien président Václav Havel a justement impulsé une certaine forme de diplomatie largement tournée vers la défense des droits de l’homme en Asie centrale, au Tibet ou dans des pays comme la Biélorussie. Quelle est l’héritage de cette politique ?

Václav Havel,  photo: Tomáš Adamec,  ČRo
« L’héritage du président Havel est très positif. Les commémorations en sa mémoire aux Etats-Unis récemment ont montré que c’est l’une des rares personnalités de l’Europe centrale et orientale qui ont un poids au niveau global. La Révolution de velours est terminée depuis plus de 25 ans et maintenant il est temps de réfléchir à cet héritage et de le rendre plus conforme aux défis des temps présents.

En quelque sorte cet héritage de Václav Havel est devenu quelque chose de très rigide qui se reflète dans les politiques de l’Etat tchèque vis-à-vis des dissidents. Je pense que cette politique a besoin d’évoluer avec le temps et de mettre plus l’accent sur les droits sociaux, sur les droits environnementaux. C’est d’ailleurs ce que l’actuel ministre des Affaires étrangères, Lubomír Zaorálek, tente de faire avec une certaine opposition de la part de la droite. »

Comment sont discutées aujourd’hui les positions atlantistes de Václav Havel, qui ont quand même été beaucoup critiquées, notamment sur le soutien à l’invasion américaine en Irak ou sur le projet américain de bouclier antimissile en Europe ?

Lubomír Zaorálek,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Tout à fait, il y avait un certain décalage entre le soutien aux droits humains et l’alignement sur la politique des Etats-Unis. C’était perçu comme une contradiction et c’est toujours le cas, surtout au parti communiste. Mais je dirais que c’est moins le cas de la part de la social-démocratie tchèque. Avec la situation en Russie, avec l’invasion en Ukraine, on voit qu’il n’y a pas vraiment de malentendu, de différence, sur la politique vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Europe entre la gauche modérée et la droite.

Par exemple, après la prise de pouvoir du nouveau gouvernement de Bohuslav Sobotka, la position tchèque vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, qui était fortement influencée par la politique américaine, n’a pas vraiment changé. Le ministre des Affaires étrangères Lubomír Zaorálek balance entre ce pôle américain et ce pôle européen très habilement. Le fait qu’il n’y ait pas vraiment de critiques de la part de la droite le montre. »

La République tchèque entretient d’ailleurs des liens très privilégiés vis-à-vis d’Israël alors que de nombreux pays européens ont entamé une sorte de critique à l’égard de l’Etat hébreux…

Moshé Arens et Jan Fischer,  photo: CTK
« C’est très historique. Je pense que le souvenir des armes livrées à Israël et qui ont aidé à sa constitution est une chose encore très appréciée et commémorée. Il faut aussi voir que le régime communiste était fortement pro-palestinien. Il y a pu ensuite avoir une sorte de réaction vers des positions très proches des intérêts d’Israël par rapport aux intérêts du peuple palestinien. »

Vous avez évoqué une évolution de la diplomatie tchèque vers une défense accrue des droits sociaux et environnementaux. Comment cela s’exprime depuis un an et l’avènement du gouvernement de Bohuslav Sobotka ?

« Sur ce dossier, on attend encore. La droite a interprété ce changement politique comme quelque chose qui va contre la tradition de Václav Havel et cela a coûté beaucoup d’énergie à la diplomatie tchèque pour sa mise en place. Il faut d’ailleurs aussi prendre en compte le fait que cette politique n’est pas souvent mise en place directement par la diplomatie tchèque, par les ambassades, mais plutôt par des ONG. »

Vous avez évoqué une évolution de la diplomatie tchèque vers une défense accrue des droits sociaux et environnementaux. Comment cela s’exprime depuis un an et l’avènement du gouvernement de Bohuslav Sobotka ?

« Sur ce dossier, on attend encore. La droite a interprété ce changement politique comme quelque chose qui va contre la tradition de Václav Havel et cela a coûté beaucoup d’énergie à la diplomatie tchèque pour sa mise en place. Il faut d’ailleurs aussi prendre en compte le fait que cette politique n’est pas souvent mise en place directement par la diplomatie tchèque, par les ambassades, mais plutôt par des ONG. »

On a pu observer des divergences, notamment l’année dernière, entre la politique extérieure de la présidence tchèque et celle du gouvernement, le président tchèque ayant par exemple soutenu le rapatriement des Tchèques de la région ukrainienne de Volhynie et exprimé ses réserves vis-à-vis des sanctions à l’égard de la Russie. Que reflètent ces antagonismes ? Ce n’est selon vous pas quelque chose de nouveau ?

« Tout à fait, notamment avec le président Klaus, qui était vraiment en opposition sur les sujets européens. Paradoxalement, je pense qu’entre le président Klaus et le président Zeman, il y a une continuité. C’est dû notamment à leurs relations personnelles avec des personnages importants de l’économie et de la politique russe. Que ce soit les contacts de président Klaus avec Lukoil ou quand le président Zeman se rend en Grèce en tant que représentant de l’Etat dans une conférence organisée par le chef des chemins de fer russes Vladimir Yakounine, qui est d’ailleurs sur la liste des personnes non désirées dans l’Union européenne. Il y a donc là des moments où les activités du président vont contre le gouvernement. Il faut dire aussi que ce ne concerne pas seulement les sujets étrangers.

Maintenant la diplomatie tchèque semble donner plus d’attention aux effets de la politique qu’elle promeut en ayant en tête l’expérience de l’Irak et du Kosovo qui sont très présents dans le discours du ministre des Affaires étrangères Lubomír Zaorálek. »

Quel rôle accorde la République tchèque au groupe de Visegrád ? On a vu par exemple des divergences sur le dossier ukrainien entre la Pologne et les autres pays.

« Effectivement, on a vu ça l’année dernière à la conférence de Bratislava Globsec. Je pense qu’au moins à Prague, il y a maintenant une tentative de réconciliation, de trouver des points communs plutôt que des divergences. Il me semble que le palais Černín, où siège le ministère des Affaires étrangères, a toujours mis pas mal de poids sur la coopération au sein de Visegrád. D’ailleurs, la République tchèque en aura la présidence dans la deuxième partie de cette année et la confiance devrait au centre de cette présidence tchèque. »