Valtr Komárek, l’homme de 1989

Valtr Komárek, photo: CTK
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Économiste, pronostiqueur et surtout l’un des hommes politiques clé de la Révolution de velours, Valtr Komárek est décédé ce jeudi à l’âge de 82 ans. Il avait été hospitalisé quelques jours auparavant, suite à une aggravation de son état de santé liée à une opération du cœur. La scène politique entière lui rend hommage ce vendredi, par des mots de respect et d’estime, et traduisant sa tristesse par un « Vous allez nous manquer ». Un homme aux idées à la fois originales et inaltérables, et au parcours insolite.

Valtr Komárek,  photo: CTK
C’est presque du jour au lendemain que Komárek, un économiste quasi inconnu du public et directeur du Bureau des pronostiques de l’Académie des Sciences depuis 1984, devient symbole de la Révolution de velours. La foule scande son nom le 27 novembre 1989 à Prague, alors qu’il s’adresse à elle pendant que le régime communiste achève de s’effondrer.

« Je suis extrêmement heureux que nous y soyons arrivés, nous allons pouvoir bâtir une nouvelle Tchécoslovaquie démocratique et prospère pour tous. »

L’évêque Václav Malý explique la raison de cette popularité soudaine :

« Il a su encourager le peuple de façon très simple, en leur expliquant également certaines questions économiques, ce qui était très important. »

Originaire de la ville de Hodonín et né le 10 août 1930, Valtr Komárek était issu d’une famille juive, et ce n’est que grâce à ses parents adoptifs qu’il a échappé à l’holocauste. Après la guerre, il devient membre du Parti communiste, car, comme il le disait lui- même, il croyait à ses idéaux. C’est sa coopération avec le révolutionnaire latino-américain Che Guevara entre 1964 et 1967 qui le fait connaître. Mais il s’inscrit définitivement dans l’esprit des gens en tant que directeur du Bureau des pronostiques de l’Académie des Sciences tchèque, lequel mandatera à la haute fonction publique, après 1989, tout un groupe d’économistes dirigé par l’ancien ministre des Finances, Václav Klaus. Komárek devient vice-président du premier gouvernement post-révolutionnaire d’entente nationale en décembre 1989. Il a même été pressenti, avec Alexander Dubček et Václav Havel, pour le poste de président de la Tchécoslovaquie. Actif au sein du Forum civique de Havel et de l’Assemblée fédérale, il soutient le retour de la social-démocratie, dont il devient membre en 1991 et député en 1992. Komárek n’a jamais caché son esprit réformiste et ses opinions de gauche. Et tant les hommes de gauche que de droite le respectaient pour sa modestie, ses opinions ou son point de vue économique. S’il s’était retiré de la scène politique après la scission de la Tchécoslovaquie en 1993, il a continué à commenter la vie publique autour de lui. On peut entendre ses opinions sur la démocratie tchèque dans ce documentaire réalisé en 2009 :

« Du point de vue démocratique, le sol du Parlement devrait être bien évidemment un sol sacré, comme un sanctuaire de la démocratie, mais bien sûr il s’agit d’une théorie. En pratique, des lobbyistes et des négociateurs arpentent les couloirs et on se retrouve face à un grand business. »

Valtr Komárek,  photo: Archives de ČSSD
Pour lui, le Parlement est « une vitrine qui doit être régulièrement nettoyée pour la rendre bien transparente ». La société de consommation qui a remplacé le communisme, aurait dompté, démoralisé, et même dérouté les personnes, en en faisant des idiots une fois encore. Il est nécessaire, selon lui, de passer par le respect de l’individu dans un monde rempli de divergences et de tragédies, car ces deux sphères, la société et l’individu, sont parallèles et indissociables.

« Il est nécessaire de se dire ‘c’est notre vie, c’est ma vie, c’est moi qui la forme, mais c’est également ma société, je vis au sein d’elle, et je veux que la société soit polie et respectueuse. Je veux être poli, non pas pour me vanter, comme si je prenais ma douche le soir et je dis aux autres regardez-moi, je me suis lavé, mais je suis poli parce que je veux être poli’. »

Lors de cet entretien en 2009, Komárek invitait à davantage de discussions claires et explicites sur la société et sur la politique, dans la mesure où l’accès au pouvoir ouvrait la clé aux canaux de l’argent dont il est possible d’abuser. Si Komárek était un fervent défenseur du simple citoyen, il avait aussi dénoncé le comportement de la société actuelle, pour laquelle le mot « profiter » se serait substitué à celui de « vivre ». Il insistait sans cesse sur le besoin de protéger la démocratie sans relâche :

« La démocratie est menacée en pratique, c’est pourquoi je clamerais de toutes mes forces ‘Citoyens, protégez votre démocratie! Elle est en danger! Protégez- la !’ Elle vaut la peine d’être protégée. »

Si pendant la Révolution de velours, Valtr Komárek incarnait l’espoir de rendre la politique chose publique, et s’il était plébiscité comme le plus à même de défendre cette idée parmi tous les autres hommes politiques, l’incarnation même de l’espoir n’a pas suffit à le propulser par la suite dans une participation active et critique de la politique. Mais rien n’a jamais pu l’empêcher de s’exprimer.