Un nouveau recueil d’essais de Milan Kundera publiés en tchèque

Photo: Atlantis

La maison d’édition Atlantis, la seule qui dispose, en République tchèque, des droits de publication de l’œuvre de Milan Kundera, a récemment publié le cinquième tome d’essais choisis et traduits en tchèque par l’auteur, intitulé Slova, pojmy, situace (Mots, concepts, situations). A cette occasion, les critiques tchèques évoquent non sans une certaine rancune l’impossibilité de lire en tchèque le dernier roman de cet écrivain désormais français, La fête de l’insignifiance.

Photo: Atlantis
Le nouveau recueil rassemble différents textes déjà parus en France. La première partie, Slova (Mots), correspond au sixième chapitre du livre L’Art du roman, publié en 1986 aux éditions Gallimard. Pojmy (Concepts) sont la traduction du chapitre L’esthétique et l’existence provenant de l’essai Le rideau, dont la publication en France date de 2005, et finalement la partie Situace (situation) est constituée par les textes du livre Une rencontre (2009), notamment le chapitre Romans, sondes existentielles. Kundera y traite essentiellement du récit romanesque, une discipline caractéristique de la culture européenne. Toutefois, plutôt que du contenu de ces essais, appréciés surtout des connaisseurs de l’histoire littéraire, la publication de ce recueil rouvre la question délicate de la relation de Milan Kundera à son pays natal. Nous écoutons un ami de l’écrivain, le dramaturge Tomáš Sedláček :

« Quel regard porte-t-il sur sa patrie ? Sa perception de la Tchéquie passe à travers le prisme des critiques tchèques de son œuvre. C’est une chose qui l’intéresse particulièrement, et je pense que nous devrions admettre que ces critiques ne sont pas toujours motivées par des prismes uniquement littéraires. On peut dire que son rapport à sa patrie est une sorte d’amour dépité. »

Milan Kundera ne laisse personne indifférent. Si d’un côté, certains critiques littéraires tchèques font l’éloge de son œuvre, indifféremment de la langue de publication, en titrant que « Grâce à Kundera le monde sait que nous ne nous mouchons pas dans la nappe » (Jiří Peňás, Lidové noviny, 1 avril 2014), nombreux sont ceux qui, de l’autre côté, l’accusent de snobisme, car il refuse de faire traduire en tchèque ses romans écrits en français. Tomáš Sedláček explique :

Milan Kundera | Photo: Elisa Cabot,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 2.0
« La raison pour laquelle il ne souhaite pas faire traduire ses romans en tchèque est évidente. Kundera a commencé à écrire ses romans en français en 1995. Avant cette date, il écrivait déjà en français, mais uniquement des essais. Il enseignait dans des universités françaises, d’abord à Rennes, puis à Paris, donc, l’emploi du français s’imposait en quelque sorte. Les romans, c’est autre chose. J’avais discuté avec lui une fois à ce sujet, et il m’a dit qu’il était impensable que lui, Kundera, se fasse traduire sa prose dans sa langue maternelle par quelqu’un d’autre. Ce serait une vanité qui nuirait à tout le monde. Il est remarquable qu’à l’âge de 85 ans, il a écrit et vient de publier une œuvre aussi reconnue qu’est son dernier livre La fête de l’insignifiance. »

Le sort de l’œuvre romanesque de Milan Kundera pourrait lui-même faire l’objet d’un roman. Un de ses livres les plus célèbres, L’Insoutenable Légèreté de l’être, écrit en tchèque en 1982 – alors que l’écrivain vivait déjà en France depuis quelques années – est publié pour la première-fois en traduction française chez Gallimard en 1984. L’édition en tchèque lui succède une année plus tard, pas à Prague mais à Toronto. Ce n’est qu’en 2006 que ce roman est publié par la maison d’édition tchèque Atlantis. C’est avec le roman L’immortalité de 1990, traduit en tchèque par Kundera lui-même et publié en République tchèque en 1993 (Nesmrtelnost) que l’auteur avait fait son dernier signe aux lecteurs tchèques, bien que des traductions pirates circulent sur la toile.