Quand la coloratura plonge au fond de l’âme

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C’est un voyage fascinant auquel nous invite le dernier disque de Magdalena Kožená, un voyage au coeur de l’opéra baroque. Cette fois-ci, la mezzo-soprano tchèque propose une collection d’airs d’opéra et d’oratorios d’Antonio Vivaldi. Et comme de coutume elle réussit à trouver sous les fastes du répertoire baroque les palpitations de l’âme.

Difficile de ne pas comparer ce disque à l’Album Vivaldi enregistré en 1999 par Cecilia Bartoli et qui présente l’art lyrique vivaldien dans toute sa splendeur. L’art de la coloratura y est à son apogée et nous sommes fascinés par ce déploiement des moyens vocaux qui semblent sans limites. Magdalena Kožená, elle, aborde ce répertoire différemment. Bien sûr, elle ne peut pas éviter les airs de bravoure sans lesquels l’art de Vivaldi serait tronqué. «Ces feux d’artifices représentent toujours un défi captivant pour moi, mais je n’ai pas mis tellement de ces airs virtuoses dans mon programme » dit-elle dans le livret du disque. Ce sont donc les airs lents qui constituent l’essentiel de l’album, les airs souvent tragiques et désespérés que la chanteuse magnifie par son timbre inimitable et auxquels elle donne une saveur tout particulière. « Ces airs sont assez impressionnistes, dit-elle. Il faut trouver le climat particulier et accepter l’idée qu’on reste dans ce climat pendant un certain temps. (…) Même si ses morceaux lents sont aussi des airs d’opéra ou se profile un drame en filigrane, il faut trouver une seule émotion et ne pas la quitter. C’est bien plus difficile que l’aspect virtuose.»

C’est ainsi que la chanteuse réussit, peu à peu, à plonger celui qui l’écoute dans un univers inconnu et le lui rendre familier. La musique venant du fond des âges redevient fraîche comme l’eau de source. Les plaintes des amants délaissés, les déclarations d’amour, les malheurs et les angoisses des rois et des reines de jadis, les désespoirs et les violentes colères des personnages mythiques et fantastiques reviennent de loin grâce à la magie d’une voix. Depuis le début de sa carrière Magdalena Kožená donne à l’art baroque, l’art de l’artifice, une simplicité et une sincérité désarmantes. Cela ne veut pas dire qu’elle recule devant l’acrobatie vocale, mais elle enlève à la coloratura son caractère acrobatique et la fait servir : elle en fait la peinture de l’âme de ses personnages. Un des plus beaux exemples de cette coloratura assujettie à l’âme est donné dans l’air de Farnace « Gelido in ogni vena », ou les cascades de fioritures illustrent la chute irrésistible dans l’abîme du désespoir.

Le disque « Vivaldi » de Magdalena Kožená est sorti dans la série d’Archiv Productions du label Deutsche Grammophon. Comme sur son disque précédent consacré à Haendel, la chanteuse y est magistralement accompagnée par le Venice Baroque Orchestra dirigé par Andrea Marcon.