Prague recherche un nouveau grand rabbin après la démission de Karol Sidon

Karol Sidon, photo: ČTK

Changement de leadership en perspective pour l’une des plus anciennes communautés juives d’Europe. En effet, le grand rabbin de Prague, Karol Sidon, en poste depuis 1992, a fait savoir ce lundi par le biais d’un communiqué de presse qu’il quittait ses fonctions. Il conservera néanmoins son titre de grand rabbin de République tchèque. Une assemblée des principaux dirigeants de la communauté devrait avoir lieu le 14 juillet prochain pour décider du nom de son successeur.

Jan Munk,  photo: Jana Šustová
Tout comme la communauté juive de France qui a élu la semaine dernière son nouveau grand rabbin en la personne d’Haïm Korsia, la communauté juive de Prague cherche un remplaçant à l’une de ses figures les plus emblématiques : Karol Sidon qui cumule à la fois le titre de grand rabbin de Prague et celui de grand rabbin de la République tchèque. Âgé de 71 ans, il a fait savoir par le biais du président de la communauté juive de Prague Jan Munk, qu’il avait pris cette décision de manière personnelle en raison de son âge mais également afin de lui permettre de se consacrer pleinement à son activité d’écrivain :

« Cette démission ne doit pas et ne devrait pas être une surprise pour les membres de la communauté juive, puisque cela fait depuis longtemps que je prépare mon départ et que j’ai donc déjà eu l’occasion de l’annoncer. J’ai proposé aux représentants de la communauté il y a quelques années un candidat pour reprendre ma fonction de grand rabbin de Prague. Mais ma proposition a été écartée de deux voix lors d’un vote car les représentants lui ont préféré le rabbin David Peter qui a suivi sa formation durant plusieurs années en Israël. Une fois qu’il aura pris ses fonctions, j’ai fait savoir que je lui céderais les locaux dès qu’il aura commencé à trouver ses repères. »

Karol Sidon,  photo: ČTK
Avant de s’imposer comme leader spirituel de la communauté juive de Prague, Karol Sidon a d’abord été sous le régime communiste un dissident actif sur la scène littéraire après des études à la FAMU, puisqu’il a notamment été rédacteur en chef de plusieurs revues censurées. Il est contraint à l’émigration après avoir signé la Charte 77 et suite aux nombreuses pressions que lui fait subir la police secrète tchécoslovaque, la StB. Né d’un père juif mort dans le camp de concentration de Terezín et d’une mère chrétienne, il se convertit au judaïsme et part suivre des études judaïques en Allemagne. Ce n’est seulement qu’au début des années 1990 qu’il rentre dans son pays natal où il est nommé grand rabbin de Prague et de République tchèque après avoir parfait sa formation en Israël. S’il n’a jamais cessé d’écrire, son poste de grand rabbin l’a contraint à plus de discrétion face aux critiques de certains membres de la communauté juive qui l’ont accusé de ne pas se consacrer pleinement à ses fonctions honorifiques. C’est donc sous le pseudonyme de Chaim Cigan qu’il a continué sa carrière. Il a d’ailleurs publié au début de cette année le premier tome d’une trilogie intitulée « Altschulova metoda » (La méthode Altschul) :

Photo: Torst
« Cela faisait longtemps que je n’étais plus dans la sphère littéraire. C’est un peu comme si une personne âgée avec ses genoux fatigués se mettait à courir : c’est d’une certaine manière assez amusant. »

Pour ce qui est du bilan du mandat de Karol Sidon, celui-ci a été marqué par la crise qui a fait suite à sa révocation au poste de grand rabbin de Prague en juin 2004 par l’ancien président de la communauté juive de la capitale tchèque, Tomáš Jelínek. Cela avait entrainé une lutte de pouvoir débouchant même sur certains affrontements violents au sein de la communauté entre partisans du mouvement hassidique Chabad, mené à l’époque par le rabbin Manis Barash, qui prône une pratique ultra-orthodoxe du judaïsme, et les partisans de Karol Sidon, adeptes d’une approche plus « libérale » de la religion. La crise avait trouvé écho jusqu’en Israël où un arbitre religieux avait été chargé de résoudre le conflit. Au final, Karol Sidon avait retrouvé son poste de grand rabbin de la ville de Prague en novembre 2005, mettant ainsi fin à plus d’un an d’instabilité. Aujourd’hui, la hache de guerre semble être enterrée comme l’explique le grand rabbin Karol Sidon:

« Par principe je ne voulais pas revenir sur un épisode qui, de mon point de vue, appartient au passé. Je ne cultive de rancœur à l’égard de personne. Cela va de pair avec le fait que je pense que les choses ont leur temps, qu’elles doivent prendre fin et qu’il faut donc ne pas s’épancher plus sur le sujet. »

Avec près d’un millénaire de présence, la communauté juive de République tchèque compte parmi les plus anciennes d’Europe centrale où elle a fortement contribué au dynamisme culturel et économique de la région avec un héritage architectural important comme celui de la plus ancienne synagogue d’Europe, la synagogue Vieille-Nouvelle construite autour de 1270. Si près de 120 000 Juifs étaient installés en Bohême et Moravie jusque dans les années 1930, ils ne sont plus que 15 000 aujourd’hui, et seulement 3000 sont enregistrés officiellement au sein de la communauté dont 1400 rien qu’à Prague. L’Holocauste puis la longue période communiste ont en effet décimé la population juive et forcé une grande partie à émigrer. Ce n’est qu’après la révolution de Velours de 1989 que la communauté s’est lentement reconstruite autour de personnalités emblématiques comme celle du rabbin Karol Sidon. Peu après l’annonce de son départ du poste de grand rabbin de Prague, voici les vœux qu’ils formulaient pour la communauté :

« Je serais très content si la communauté juive de République tchèque s’ouvrait un peu plus aux Juifs venus de l’étranger. Il faut à la fois que les membres de la communauté locale comprennent qu’ils sont avant tout des Juifs et que les Juifs en provenance d’autres pays comprennent qu’ils ont une communauté qui n’attend qu’eux et où ils pourront trouver leur place. »