Novembre 1989 : l’historien Bernard Michel se souvient

Novembre 1989. Quelques jours après la chute du mur de Berlin, la Tchécoslovaquie allait à son tour entamer sa révolution pour faire tomber le régime communiste. Les événements étant couverts par tous les médias internationaux, de nombreux étrangers sont venus partager ces moments historiques avec les populations concernées. C’est ainsi que l’historien Bernard Michel s’est retrouvé au milieu des manifestants dans les rues de la capitale tchèque. Il était venu à Prague pour la première fois en 1957, alors qu’il était étudiant. Aujourd’hui, il est historien, spécialiste des pays tchèques, professeur émérite à l’université de Paris I – Panthéon Sorbonne, où il a fondé le centre de recherche sur l’histoire de l’Europe centrale contemporaine. Il a également reçu en 2005 le titre de docteur Honoris Causa de l’Université Charles de Prague. Il a confié au micro de Radio Prague ses souvenirs de ce mois de novembre 1989.

« Depuis la chute du mur de Berlin, j’attendais également la chute du régime en Tchécoslovaquie. Et dès que j’ai appris que cela commençait après le 17 novembre, je suis venu immédiatement chez des amis pour participer aux manifestations et être un témoin. Je connaissais bien les gens du théâtre Na Zábradlí. J’y avais des amis, et je suis donc venu fin novembre dans ce théâtre et j’ai pris la parole sur scène pour dialoguer avec la salle. Je suis venu insister sur une idée simple, qui était que l’un des premiers objectifs de la révolution tchécoslovaque, lorsqu’elle aurait réalisé la démocratie, était de préparer son entrée dans l’Union européenne, en particulier par une entente avec ses voisins, et notamment avec la Pologne, qui jouait à ce moment-là un rôle de premier plan.



J’ai bien sûr été dans les manifestations de rue, et sur la place St-Venceslas pour entendre parler non seulement Havel mais également beaucoup d’autres, et notamment Václav Malý, qui avait un énorme succès dans l’opinion publique.

Je suis donc reparti au début du mois de décembre quand il était clair que la révolution avait gagné. Par la suite, j’ai été le premier étranger admis à voir en 2004 les archives de la StB. J’ai vu les dossiers qui concernaient la famille de ma femme, qui avait été condamnée sous le régime communiste. J’ai demandé aussi mon propre dossier. A ce moment-là, j’ai reçu une lettre me disant que mon dossier avait été détruit le 4 décembre, soit juste au moment où j’étais dans la rue. Cela veut dire que c’était le début, que la StB a commencé à détruire les documents le 3 et le 4 décembre. Cela veut dire que mon dossier était sur le sommet de la pile et tout ce qu’ils m’ont appris, c’est que j’étais suivi à ce moment-là par deux directions de la ‘kontrarozvědka’ [le contre-espionnage] »

Vous avez parlé du théâtre Na Zabradlí. C’était un lieu hautement symbolique puisque c’est le théâtre dans lequel Havel a travaillé. Que se passait-il à cette période dans le théâtre ?

« Ça a été un moment fabuleux. Le théâtre Na Zabradlí a décidé de suspendre ses représentations, et il accueillait sur scène des personnalités. Certains étaient revenus d’exil et pouvaient parler pour la première fois. Il y avait beaucoup d’artistes qui avaient été écartés après 1969. Et pendant ces soirées, c’était un dialogue entre les gens qui étaient sur la scène du théâtre et la foule. A ce moment-là, j’avais été chargé par l’ambassadeur de France d’amener des Tchèques parlant français pour pouvoir prendre contact avec la délégation de quatre hommes politiques français qui venaient d’arriver. Et j’ai amené un Tchèque que je connaissais bien, qui avait été écarté après 1969 et qui était laveur de vitres. Je l’ai accompagné à l’ambassade. C’était la première fois qu’il allait dans une ambassade. Il ne m’avait pas dit qu’il venait d’être chargé par le mouvement civique de toute la politique extérieure. Il est ensuite devenu ambassadeur à Paris puis ministre des Affaires étrangères. C’était Jaroslav Šedivý. »