Mohamed Kacimi : « Lancer des passerelles entre le théâtre français et d’Europe centrale »

Mohamed Kacimi, photo: CTK

Dimanche et lundi, le Rock Café à Prague a donné deux représentations de la pièce Terre Sainte, du dramaturge algérien Mohamed Kacimi, interprétée par les acteurs d'une scène expérimentale appelée Studio Saint-Germain. Une pièce sur le thème de la guerre, brûlante d’actualité, que l’auteur installé en France depuis 1982, est venu présenter à Prague.

Mohamed Kacimi,  photo: CTK
« C’est une pièce sur la thématique de la guerre, mais pas une pièce sur la guerre. C’est une pièce contre la guerre qui s’efforce de montrer l’énergie, l’espoir ou la résistance que développent les gens en cas de guerre, en cas de crise, pour ne pas désespérer. C’est toute l’inventivité humaine qui se met en place pour que l’homme ne soit pas broyé par cette machine de la guerre. »

Vous ne situez pas la pièce dans un lieu particulier, mais cela pourrait tout aussi bien se dérouler en Irak, en Afghanistan...

« Oui, c’est un peu n’importe où. Il n’y a pas de localisation précise. Mais je l’ai écrite à l’issue de très longs séjours que j’ai effectués pour des raisons personnelles à la fois en Israël et dans les territoires palestiniens. Donc elle est nourrie de témoignages, de tranches de vie, d’une expérience assez longue que j’ai vécue dans ces deux territoires-là – parce qu’on ne peut pas parler de deux pays. La pièce a été créée après un peu partout en Europe. »

A-t-elle été jouée justement au Proche-Orient ?

« La deuxième création a eu lieu à Jérusalem. Elle a été montée cette année par une troupe israélienne. Et par une pure coïncidence, j’ai assisté à la première à Tel Aviv. Je crois que c’était le troisième jour de la guerre récente à Gaza, au début de l’année. »

Quelles ont été les réactions du public ? Les gens sont évidemment venus vous parler...

La réalisatrice de 'Terre Sainte',  Lucie Málková,  photo: CTK
« C’était assez hallucinant comme représentation car dans la salle on avait beaucoup de soldats qui rentraient du front de Gaza et de colons. Moi j’appréhendais un peu parce que le théâtre israélien et un théâtre très réaliste, très direct, frontal, donc la mise en scène était très réelle. Il n’y avait aucune frontière entre ce qui se déroulait sur le plateau et ce qui se déroulait à une quarantaine de kilomètres de là. Je crois que c’est la première fois – il y avait beaucoup de personnes dans la salle qui approuvaient la dernière guerre, mais ils sont venus me voir en disant : merci, pour la première fois, nous avons pensé aux autres... Je pense que c’est même pour moi un aboutissement de mon travail de dramaturge. »

Vous êtes également président de l’association Ecritures Vagabondes. Justement, cette semaine, dans le cadre du festival Afrique en création, il y a un jeune auteur québécois, Philippe Ducros, dont la pièce va être présentée dans un triptyque de pièces consacré au thème de la maison. Il était d’ailleurs à Prague la semaine dernière. C’est un concept très intéressant, Ecritures vagabondes, pourriez-vous nous parler de ces résidences d’auteurs à l’étranger ?

« Au départ, Ecritures vagabondes est une association née de l’envie d’auteurs et de metteurs en scène de faire découvrir aux auteurs d’expression française ou aux auteurs particulièrement français qui vivent un peu cette crise de l’ego, de la démesure qui affecte l’écriture française contemporaine théâtrale, de le faire découvrir d’autres réalités, d’autres cultures, d’autres enjeux à travers le monde. Cela fait dix ans que nous avons organisé une série de chantiers à travers le monde, aussi bien en Palestine, en Syrie, au Liban, au Mali, au Canada. A chaque fois on réunissait un groupe de cinq, six à huit auteurs qu’on parachutait dans ces pays-là pas évidents. On leur demandait d’écrire quelque chose.

Cette année on amorce une mutation de l’association qui va changer de nom, qui va s’appeler Scènes du monde. Et on va axer pour les années à venir notre travail pour mettre en relation, établir un réseau avec l’ensemble des théâtre alternatifs d’Europe et notamment d’Europe centrale. On va commencer toute une série sur Pristina, Bratislava. Peut-être sur Prague, Vienne. On veut essayer d’ouvrir des ponts entre ces théâtres et les scènes françaises, car en France notamment on a une attention pour le théâtre anglais, allemand et autrichien mais il y a tout un pan du théâtre européen qui échappe complètement à la vision et à l’écoute. Notre projet est vraiment d’ouvrir des portes, des lucarnes, lancer des passerelles avec la jeune création. On veut permettre à de jeunes auteurs français ce qui se fait ici et ailleurs et faire découvrir en France la littérature émergente de ces pays-là. »

Prochaines dates de représentation de Terre Sainte, les 20 et 27 avril, au Rock Café.