Miloš Zeman à Terezín : « Si nous nous laissons manipuler, nous nous comporterons comme des moutons »

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Ce dimanche 19 mai était un autre jour de commémoration lié à la Deuxième Guerre mondiale en République tchèque. Le président Miloš Zeman était à Terezín pour la cérémonie funèbre en mémoire des victimes de la persécution nazie pendant la guerre. En même temps, à Cannes, le réalisateur Claude Lanzmann présentait hors-compétition son dernier documentaire « Le Dernier des injustes », un film qui retrace l’histoire de ce ghetto-modèle à travers le témoignage de Benjamin Murmelstein, dernier président du conseil juif du ghetto de Terezín.

Miloš Zeman,  photo: CTK
« Là où commence Terezín, commence le mensonge. C’est une malédiction, toute la ville repose sur une malédiction. Tout n’était que mensonge, tout était mensonge de la tête aux pieds. » C’est ainsi que Benjamin Murmelstein, le dernier « doyen des Juifs » de Terezín selon la terminologie nazie, parle de cette ville ghetto à côté de Prague où ont été déportés et enfermés près de 150 000 Juifs de Bohême et Moravie. Un « mensonge » car Terezín a servi de vitrine aux Nazis pour masquer leurs crimes. En 1944, les façades des maisons ont été rénovées et les rues nettoyées pour dissimuler l’extermination aux observateurs de la Croix-Rouge venus vérifier de leurs yeux, le 23 juin 1944, les conditions de vie des Juifs du ghetto, après que des Danois y ait été déportés. A travers ce mensonge terrible, Miloš Zeman a rappelé la force de la propagande totalitaire, nazie et stalinienne, et le devoir de s’en protéger :

« Il y a un film qui a été tourné sous le titre de ‘Le Führer offre une ville aux Juifs’, et dans ce film on voit des rues propres, des enfants joyeux et en bonne santé, de grandes quantités de nourriture et des Juifs heureux de travailler. Dans d’autres lieux, des gens croyaient aller se laver quand ils entraient dans des chambres à gaz. Il n’est pas possible de nous laisser abrutir par une telle manipulation. Si nous renonçons à notre droit à l’information, à la comparaison entre plusieurs instruments d’information et si nous nous laissons manipuler, alors nous nous comporterons vraiment comme des moutons. »

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Edifié en 1947, le monument de Terezín est dédié à la mémoire des 42 000 personnes disparues dans ce ghetto qui a aussi servi de camp de concentration pour les résistants tchèques à l’occupation nazie. Chaque année, 250 000 personnes venues du monde entier viennent s’y recueillir, et ils étaient encore nombreux dimanche autour du président. Parmi les visiteurs, cet homme de 87 ans qui a visité le ghetto et les installations militaires de Terezín :

« Oui, c’est un rappel terrible, ce tunnel avec ces pavés, là où étaient conduits les condamnés. Cela dépasse l’entendement de voir jusqu’à quel point l’homme peut aller loin dans la cruauté. Nous avons vu les impacts des balles sur les murs, nous sommes allés dans les blokhaus et ce sont ces endroits qui nous ont le plus impressionnés. »

Miloš Zeman n’était pas la seule personnalité publique présente lors de la cérémonie. Etaient également sur les lieux, entre autres, la vice-Premier ministre Karolina Peake, la présidente de la Chambre des députés Miroslava Němcová, ainsi que le président de l’association des anciens combattants tchèques, Jaroslav Vodička. Celui-ci est revenu sur un sujet qui anime régulièrement les relations entre la République tchèque et ses voisins germaniques : l’expulsion des Allemands des Sudètes en 1945. Il s’attaque notamment à un article du quotidien Lidové Noviny dans lequel le journaliste demandait des excuses pour ces expulsions qu’il juge immorales et contraires au droit. Pour Jaroslav Vodička, il s’agit d’une déformation de l’histoire tchèque :

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« Je rejette toutes les tentatives de manipuler, réécrire ou taire l’histoire. Si une nation oublie son histoire, elle perd une partie d’elle-même. Les autorités de l’Occupation, dans le cadre de la liquidation de la nation tchèque, ont fait interdire l’enseignement de l’histoire tchèque dans les écoles. Avec la libération de sa mémoire, de son histoire, la nation a pu s’occuper de reconstruire son Etat. Alors, je me demande : en quoi et à qui est-il utile que les journalistes tchèques n’hésitent pas à déformer l’histoire si grossièrement ? »

La question des Sudètes est d’ailleurs d’actualité avec la présence de Petr Nečas ce même week-end à Augsbourg en Allemagne, où il a assisté au congrès annuel de l’association des Allemands des Sudètes. En Allemagne également. Le Musée juif de Berlin a ouvert vendredi dernier une exposition qui présente les dessins réalisés par l’artiste Bedřich Fritta durant sa déportation à Terezín, avant son envoi à Auschwitz.