Lukáš Macek : « Une frange de l’opinion publique tchèque nourrit une certaine islamophobie »

Ben Laden

Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et la « décennie Ben Laden » ont profondément marqué non seulement les Etats-Unis, mais le monde entier. Pour parler de la perception de la guerre contre le terrorisme en République tchèque et de l’engagement du pays dans celle-ci, nous avons a invité au micro le politologue Lukáš Macek, directeur du 1er cycle est-européen de Sciences Po à Dijon.

La République tchèque a soutenu les Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme. L’armée tchèque a participé aux opérations militaires en Afghanistan et à la reconstruction de ce pays. Mais ce soutien n’était pas illimité – la majorité de l’opinion publique, ainsi qu’une partie de la classe politique se sont opposées à l’installation d’un radar américain sur le territoire tchèque. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’engagement de la République tchèque dans la lutte anti-terroriste ?

Je pense que l’Europe centrale, du fait de son histoire, sait que parfois, il faut simplifier les choses et dire : ceci est le mal et il faut lutter contre. J’estime que l’expérience des accords de Munich a fait que dans leur réaction par rapport à Ben Laden et, plus tard, par rapport à Saddam Hussein, les Tchèques étaient assez clairs sur ce qu’il fallait faire. Ils ont soutenu, assez spontanément, la politique américaine. »

Y a-t-il une comparaison à faire entre l’engagement de la République tchèque et celui des autres pays d’Europe centrale et orientale ?

« Dans le discours et les attitudes politiques, c’était assez similaire. Il est vrai qu’il y a eu cette histoire spécifique du radar. La République tchèque partageait cette question uniquement avec la Pologne – c’étaient les deux pays contactés par le gouvernement américain pour accueillir ce système anti-missile. Là, il y a eu une grosse différence. La Pologne était tout à fait favorable à ce projet, alors que les Polonais portaient la partie la plus lourde et la plus risquée, car c’est chez eux que devaient être placés les missiles. En revanche, en République tchèque, la question de la participation au système anti-missile a divisé la classe politique et la population était assez nettement défavorable. En Pologne, l’attitude pro-américaine a été plus forte à ce moment-là. »

Les attentats, et c’était sans doute un des objectifs de leurs auteurs, ont divisé le monde : le monde occidental et le monde musulman… En République tchèque, certains intellectuels notamment mettent en garde contre la rhétorique très simplifiée de beaucoup de Tchèques, très méfiants voire hostiles à l’égard de l’islam et pour qui chaque musulman est, potentiellement, un terroriste. Avez-vous l’impression qu’avec le temps, les Tchèques ont tendance à abandonner ce discours ou est-ce le contraire ?

« Le problème est qu’ici, en République tchèque, l’islam est quelque chose d’inconnu. Dans les sociétés occidentales qui ont une relation pratique, parfois difficile, mais concrète avec l’islam, où il y a une présence musulmane importante, les clichés disparaissent plus facilement. Je pense, effectivement, qu’il existe une frange de l’opinion publique, de journalistes, de personnalités qui s’expriment publiquement et qui nourrissent une certaine islamophobie. Mais elle est assez basique, primitive et peu argumentée. Ce qui me frappe, dans certains forums de discussion sur Internet, c’est la vision qu’ont certains Tchèques de la société française. Pour eux, les musulmans de France sont tous à moitié terroristes et exclus de la société. Celui qui connaît la France sait bien que la majorité écrasante des 6 millions de musulmans en France est parfaitement intégrée. Je crois que ces dimensions échappent à beaucoup de Tchèques. »