Les Pirates tchèques, phénomène en Europe

Les Pirates, photo: ČTK

Leur succès est quelque peu passé au second plan en raison de la nette victoire du mouvement ANO et de la percée du parti d’extrême droite Liberté et démocratie directe (SPD). C’est pourtant un véritable tour de force à l’échelle européenne qu’ont réalisé les Pirates tchèques lors des élections législatives. En recueillant un peu plus de 10% des suffrages pour vingt-deux mandats de députés, les Pirates s’apprêtent à faire une entrée historique et remarquée au Parlement. Description d’une entrée fracassante qui ne doit rien au hasard et d’une nouvelle force sur laquelle il faudra désormais sérieusement compter

Les Pirates,  photo: ČTK
Les traits de son visage sont comme taillés au couteau. Il a joué de l’accordéon et chanté, avec plus ou moins de bonheur, dans les clips de campagne de son parti. Il porte de longues dreadlocks le plus souvent sur une chemise noire sans cravate et c’est une des nouvelles figures marquantes de la scène politique tchèque. A 37 ans, Ivan Bartoš a déjà l’apparence d’un vieux loup de mer.

L’apparence et le parler. Informaticien de formation diplômé de l’Université Charles à Prague, le président des Pirates tchèques a la langue bien pendue et n’hésite jamais à exprimer très clairement le fond de sa pensée, parfois même, lorsque cela est nécessaire, à l’aide d’un vocabulaire se rapprochant davantage de celui du capitaine Haddock que de celui que l’on attend plus généralement d’un candidat à l'exercice de fonctions publiques représentatives. Incontestablement, la personnalité d'Ivan Bartoš, incarnation d’un parti qui se veut résolument ouvert et moderne, a grandement concouru à la réussite des Pirates lors de ces élections.

Ivan Bartoš,  photo: ČTK
En l’espace de quatre ans depuis les élections précédentes (2,6% en 2013), les Pirates, qui s’appuyaient aussi sur la qualité de l’action de leurs représentants dans certaines municipalités comme Mariánské Lázně, Brno et Prague, ont gagné plus de huit points. Seul le raz-de-marée ANO, arrivé en tête jusque dans le plus petit des 76 districts du pays, a fait mieux, là où la très grande majorité des partis traditionnels, quelle que soit leur orientation, ont perdu du terrain. A Prague, les Pirates ont même réalisé un score de 17,5%, inférieur de seulement trois points à celui d’un mouvement ANO moins dominateur qu’ailleurs en République tchèque. Directeur de Sciences-Po Dijon, Lukáš Macek avance des explications au succès de cette formation autoproclamée antisystème qui bénéficie d’un fort soutien du jeune électorat et a fait de la chasse aux dinosaures et aux requins de la politique tchèque un de ses crédos :

« Ce parti se situe dans une tradition désormais bien établie de la recherche d’un électorat plutôt citadin, jeune et libéral, plutôt ouvert en direction de l’Europe. Ce mouvement cherche son champion depuis la fin des années 1990. A chaque élection, il y a un autre parti qui arrive à ramasser la mise auprès de cet électorat-là avec des spécificités et des profils sociologiques plus ou moins différents. Il y a eu le Parti des Verts qui a réussi à se hisser dans ce rôle, ce qui s’est traduit par une participation immédiate au gouvernement qui l’a d’ailleurs laminé. Dans les années 1990, c’était l’Union de la liberté. Il y a ensuite aussi le parti Věci veřejné (Affaires publiques) qui a réussi à incarner tout en étant plus modéré cette nouveauté et ce côté antisystème de la classe politique mais pas de la démocratie libérale. Les Pirates, eux, sont un parti encore plus atypique que ceux que nous avons connus par le passé. Je pense que les Pirates ont bien regardé ce qui était arrivé à leurs prédécesseurs et qu’ils vont tout faire pour éviter d’entrer directement au gouvernement. Leur objectif sera de constituer une opposition visible et relativement constructive, quel que soit le gouvernement qui sera formé. »

Lydie Franka Bartosova et Ivan Bartoš,  photo: ČTK
Pour cela, les Pirates, auxquels les critiques reprochent la légéreté de leur programme et un déficit de compétences dans certains domaines autres que ceux qui leur sont proches, devront s’aguerrir aux joutes oratoires qui les attendent désormais à la Chambre des députés tout en participant à des négociations post-électorales au terme desquelles tout laisse à penser qu’ils rejoindront les rangs de l’opposition.

Car leur leader n’a eu cesse de le répéter : hors de question de coopérer avec le mouvement ANO du milliardaire Andrej Babiš inculpé de fraude aux subventions européennes. Ce serait là trahir les engagements pris avant les élections et plus généralement les idéaux des Pirates, attachés à la lutte contre le clientélisme, à l’indépendance de la justice, à la transparence de la vie politique ou encore à l’accès aux données publiques. Qu’on se le dise : les Pirates, le vent en poupe, entendent bien surfer sur la vague de l’élan qu’ils ont fait naître.