Le pianiste Cédric Tiberghien: J'ai pris une certaine liberté par rapport à la partition de Messiaen

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Grâce à la première exécution en République tchèque de la suite symphonique d'Olivier Messiaen "Des canyons aux étoiles" présentée, ce dimanche, par le Prague Philharmonia sous la baguette de Michel Swierzcewski, le public pragois a eu l'occasion de découvrir le jeune pianiste français Cédric Tiberghien. Le pianiste a magistralement interprété la partie de piano solo de cette oeuvre monumentale et flamboyante, marquée par le mysticisme de son auteur et inspirée par le chant des oiseaux. Après le concert, Cédric Tiberghien s'est confié à Vaclav Richter entre autres sur les spécificités d'interprétation de la musique de Messiaen.

"Je crois que toutes les musiques sont difficiles à jouer. Disons qu'il y a un gros travail d'ensemble, avec l'orchestre, avec les autres solistes, avec le chef évidemment. Mais la musique de Messiaen est surtout une musique de l'imaginaire. Donc il y a beaucoup de travail pour apprendre, mais ce n'est pas la principale difficulté. Quand on interprète le chant d'oiseaux il faut que ce soit très joueur, très léger, qu'on ait vraiment l'impression de quelque chose de très ludique."

Messiaen confiait souvent l'instrument soliste, le piano, à sa femme Yvonne Loriod. Avez-vous comparé votre interprétation à la sienne?

"Non. J'ai entendu l'enregistrement, bien sûr, c'est un très bel enregistrement, mais je n'ai pas voulu être influencé, parce que je crois, premièrement, que chaque musicien a sa propre personnalité. Oui, même si elle était épouse de Messiaen, elle était d'abord sa propre personnalité et comme on est différent, j'avais ma propre vision de cette partition. Je ne sais pas si Messiaen aurait apprécié mais c'est important d'avoir la certitude qu'on fait des choses auxquelles on croit. C'est très important. Disons que j'ai pris un peu plus de liberté par rapport au texte justement pour le côté joueur, pour le côté même quelquefois un petit peu improvisé. Il me semble que parfois dans l'enregistrement, dans le disque, on a le sentiment qu'Yvonne Loriod sait très bien où elle va, ce qui est formidable évidemment, mais moi j'avais envie aussi de ce côté un petit peu imprévisible, du côté "oiseau imprévisible", les oiseaux qui peuvent changer de direction, se mettre à chanter tout d'un coup. Et j'avais envie d'aller loin dans cette direction. Evidemment, j'avais travaillé d'une certaine façon et puis dans la salle de concert il se passe des choses, par le public, par l'ambiance etc. Donc il y avait des choses, ce soir, que je n'avais pas prévues et qui sont arrivées, par hasard ou par magie, je ne sais pas."

Comment a été votre collaboration avec le Prague Philharmonia (Philharmonie de chambre de Prague)?

"C'était formidable. Déjà on a eu beaucoup de répétitions, c'était génial. Les musiciens découvraient cette musique complètement. Certains ne connaissaient pas la partition. Le travail s'est fait en commun et cela a permis de développer même des relations humaines peut-être plus proches que pour un concerto habituel où l'on a juste une répétition et un concert et c'est terminé. Là, il y avait vraiment des gens avec qui il y a eu des contacts. On a fait vraiment un travail en gros, de la musique de chambre à quarante-cinq (rires). Et c'était formidable. Les musiciens ont fait un travail magnifique. Et, ce soir, je crois que le concert a été parfaitement réussi et à la hauteur du travail qui avait été fourni."

Et la réaction du public?

"Moi j'ai été impressionné par la qualité du silence. Dans l'oeuvre de Messiaen c'est quelque chose qui est très important. Il commence l'oeuvre par un mouvement qui s'appelle "Le désert" en expliquant que dans le désert on trouve le silence qui permet de se reporter sur soi-même, qui permet une élévation de l'âme. Et là j'ai trouvé une qualité de l'écoute qui était fantastique. Il y a des tas de moments dans la partition où Messiaen demande le silence et il n'y avait pas une personne qui bougeait ou qui toussait. Tout le monde était, je crois, fasciné par la musique. Je ne sais pas si tout le monde a apprécié - parce que on m'a dit que c'était quand même nouveau comme type de répertoire, et surtout comme ouverture de la saison. Mais je crois que les gens étaient fascinés. Fascinés par les couleurs, fascinés par l'espace de Messiaen. Je trouve qu'on a eu un accueil extrêmement chaleureux et suis très heureux d'avoir apporté à Prague avec Michel Swierzewski de la belle musique française."