Le milliardaire Babiš investit dans les médias, pour mieux servir ses intérêts politiques ?

Andrej Babiš, photo: CTK

Faut-il craindre une « berlusconisation » de la politique tchèque ? Quoique sans doute exagérée, c’est néanmoins la question que se posait, ce jeudi, le site d’information ihned.cz. Désireux de s’engager dans la vie politique du pays, le milliardaire et homme d’affaires Andrej Babiš a racheté le groupe de médias MAFRA, qui publie notamment les quotidiens Mladá fronta Dnes et Lidové noviny, deux des principaux journaux tchèques. Communiquée mercredi, l’information n’a pas manqué de susciter aussitôt certaines inquiétudes sur l’indépendance et la liberté d’expression qui seront désormais celles des journalistes de MAFRA.

Andrej Babiš,  photo: CTK
Propriétaire et directeur du groupe Agrofert qui rassemble plus de 200 entreprises agroalimentaires en Europe centrale, Andrej Babiš est un personnage au profil quelque peu ambigu dans le paysage tchèque. Ancien communiste qui a fait sa fortune dans les années 1990 de privatisation sauvage, Andrej Babiš, Slovaque possédant un passeport tchèque, est aujourd’hui considéré comme le deuxième homme le plus riche de République tchèque. Un homme qui pense que l’ancien président Václav Klaus a profité de la révolution de 1989 pendant que d’autres l’avaient faite, et qui, en 2011, a fondé un mouvement politique baptisé ANO 2011 (Action des citoyens mécontents) dont la lutte contre la corruption est le noble et ambitieux objectif.

C’est donc cet Andrej Babiš qui a racheté MAFRA, dont les différents titres représentent plus de deux millions de lecteurs. Depuis 1994, un des plus importants groupes de médias en République tchèque était la propriété de la société allemande Rheinisch-Bergische Verlagsgesellschaft. Le montant de la transaction n’a pas été rendu public. Derrière le tabloïd Blesk, Mladá fronta Dnes est le journal d’information le plus lu en République tchèque. Forcément, la question se pose donc de savoir si Andrej Babiš n’a pas quelques idées derrière la tête en investissant de la sorte à l’approche de la super année électorale 2014. Mais pas surpris par cette réaction, l’intéressé s’en défend :

Photo: Archives de Radio Prague
« Bien entendu, tous les médias en notre possession disposent d’une indépendance totale. Pour nous, c’est un investissement très important qui nous a coûté un paquet d’argent. Ce qui nous importe est donc que les journalistes écrivent et disent la vérité sur les sujets de leur choix. Cela veut dire qu’ils peuvent aussi écrire ce que bon leur semble sur mes activités, y compris des critiques s’ils estiment qu’il y a lieu de critiquer. Ce que nous voulons, c’est qu’ils vérifient leurs informations. En début de semaine, le journal E15 a publié l’information selon laquelle nous avions racheté le groupe de presse Ringier. Bien que fausse, l’information a aussitôt été reprise par tous les médias et il est dommage que personne n’ait songé à la vérifier. Il aurait pourtant suffi de m’appeler… L’important est que les journalistes aient des sources auxquelles ils peuvent se fier. Après, oui, ils peuvent écrire ce qu’ils veulent. »

Lundi, en effet, était sortie l’information selon laquelle Andrej Babiš avait racheté Ringier, le plus important groupe de presse en République tchèque qui publie notamment le tabloïd Blesk, journal le plus lu en République avec plus de 430 000 exemplaires vendus quotidiennement.

Analyste du marché des médias en République tchèque, Daniel Köppl, estime lui aussi qu’Andrej Babiš est bien conscient de marcher sur des œufs :

Andrej Babiš,  photo: CTK
« Je pense qu’Andrej Babiš est quelqu’un de pragmatique et qu’il n’abusera pas ou ne se servira pas des médias à des fins personnelles et plus concrètement politiques, du moins pas de façon aussi ostentatoire ou aussi simplement que le supposent un grand nombre de journalistes aujourd’hui, même si cette crainte peut sembler légitime. Mais Andrej Babiš est aussi quelqu’un de très rationnel dans les affaires. C’est pourquoi il ne devrait pas trop intervenir dans le fonctionnement du groupe. Le seul domaine où il devrait intervenir est le domaine économique. »

Ce jeudi, lors d’une conférence de presse du mouvement ANO 2011 dont il est le président, Andrej Babiš a effectivement confirmé qu’il ne siégerait dans aucun organe directeur de MAFRA et se contenterait du rôle d’investisseur. Dans un souci de transparence et d’indépendance maximales, il entend ainsi à l’avenir ne pas parler avec les journalistes du groupe, ni leur donner la moindre interview. « Qu’ils écrivent ce qu’ils veulent, je ne me mêlerai jamais de leur travail », a-t-il de nouveau répété, tout en précisant que sa position à la tête du mouvement politique pourrait être appelée à évoluer dans un proche avenir. L’ancien diplomate et commissaire européen Pavel Telička, qui a été un des principaux négociateurs de l’adhésion tchèque à l’UE avant 2004, devrait ainsi rejoindre son équipe dans la perspective probablement des prochaines élections européennes, voire peut-être même de législatives qui constituent la priorité d'Andrej Babiš.