Le merveilleux et le terrible dans l’œuvre de Léo Perutz

Suite de l’entretien avec Olivier Dejours, créateur, pour l’Opéra du Rhin à Strasbourg, d’un opéra chanté par des enfants et intitulé ‘Le Pont des Ombres’. Ce spectacle est une adaptation du roman ‘La nuit du pont de pierre’, de Léo Perutz, auteur pragois contemporain de Kafka. Un livre qui évoque l’histoire de l’amour impossible entre l’empereur alchimiste Rodolphe II et une jeune femme juive mariée. Radio Prague a demandé à Olivier Dejours quel public il avait visé.

Olivier Dejours
« Je l’ai écrit autant pour les enfants que pour les adultes. Je pense que pour les enfants, ce n’est pas une histoire qui est écrite au départ pour eux. Et pour les adultes de retrouver la réalité plus vraie de la magie. Personne ne croit évidemment à ces histoires d’alchimiste aujourd’hui, ou au rabbin qui a des pouvoirs surnaturels. Mais c’est vrai ! C’est vrai parce qu’on est dans le merveilleux et dans le terrible aussi. »

Dans quel sens ?

« Perutz n’aimait pas trop qu’on parle de lui, il disait : parlez de mes romans plutôt que de moi. Mais je crois savoir qu’il a mis très longtemps à écrire ce roman et qu’il l’a fini après la guerre. Quand il nous dit que l’ange Azaël reproche au rabbin Löw d’avoir transgressé l’ordre du monde, et qu’il y a l’effroi et le reproche de cet ange face au refus de l’homme de laisser le monde aller tel qu’il devrait être, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y avait la réalité du monde à cette époque. C’est obligé.

Il y a dans ce livre à la fois l’espoir de l’humanité et aussi toute la terreur de ce qui se passe. Je dis d’espoir parce que malgré tout l’une des intrigues principales, c’est la rencontre Rodolphe II avec une femme juive. C’est une rencontre interdite à tous points de vue, d’autant qu’elle est mariée. Mais il n’empêche que le sujet n’est pas de dire : tout le monde s’aime, tout le monde est d’accord. C’est qu’à Prague ont existé côte à côte la ville juive, la vieille ville, et ça était l’objet d’une confrontation mais aussi d’une immense richesse. »

L’opéra et l’histoire ont pour cadre Prague. Au niveau des décors, comment est-ce construit ? Avez-vous reproduit le Pont Charles par exemple ?

« Ce n’est pas parce que je m’adresse à la radio tchèque, mais Prague est vraiment le personnage principal de l’opéra tel qu’il est écrit et composé par moi. Mais le Pont Charles est en effet l’objet principal du décor. De l’intérieur du Pont Charles on voit apparaître le cimetière juif ou bien un atelier d’alchimiste. Le pont tourne parfois, c’est un vrai décor de théâtre. Je l’ai sous les yeux, et c’est vraiment Prague. »