« L’art de tuer » : une reconstitution artistique controversée de l’expulsion des Sudètes

Photo: Lukáš Houdek / Artwall

Lukáš Houdek défraye la chronique à Prague avec sa dernière exposition installée à la Bibliothèque nationale de la technique et sur des murs longeant la Vltava dans le cadre du projet Art Wall Gallery. Le photographe touche au passé douloureux de l’après-guerre tchécoslovaque en reconstituant l’histoire de l’expulsion des Sudètes avec des poupées barbies.

Lukáš Houdek,  photo: CT24
Lukáš Houdek aime les sujets sensibles puisqu’il s’est fait connaître avec des projets artistiques traitant de la situation des Roms en Europe ou encore de la transsexualité en Inde. Cette fois, il remue les souvenirs et l’histoire tchèques en mettant en scène à l’aide de poupées barbies l’expulsion des Allemands des Sudètes en 1945, à la suite de la proclamation des décrets du président Edvard Beneš. Interrogé par Radio Prague, Lukáš Houdek explique le choix de ce thème difficile.

« J’ai choisi ce sujet car il y encore six mois je ne savais absolument rien de la fin de la guerre et des évènements qui ont eu lieu à ce moment-là. On ne l’apprend pas à l’école et je me suis senti trompé, ça me dérangeait qu’on ne parle pas du tout des Sudètes. J’ai eu besoin de visualiser concrètement ces évènements, les meurtres, et de les montrer pour que les gens qui ne les connaissent pas en parlent et réfléchissent sur ce thème. Ce n’était pas facile de juger ces évènements car le problème est bien sûr complexe et il s’inscrit dans un certain contexte, mais je pense que le plus important dans tout ça, c’est de parler de ce qui s’est passé. »

Photo: Lukáš Houdek / Artwall
Vingt-cinq photographies composent l’exposition : vingt-cinq scènes de meurtres, de viols et de suicides. Ces expulsions devaient à l’origine être mises en œuvre de manière juste et ciblée en fonction de la collaboration ou non des populations avec les Nazis. Au final, c’est environ 2,6 millions d’Allemands qui sont expulsés des Sudètes et expropriés de tous leurs biens par l’armée nationale et les civils tchèques. Une violence représentée par des poupées, ce qui confère à ces scènes un caractère surréaliste et dérangeant. Lukáš Houdek.

« Ces poupées répondaient le mieux à mon intention parce que je voulais que ces photographies apparaissent au premier coup d’œil comme des photographies documentaires. Il n’y a pas beaucoup de photographies qui datent de cette époque et elles ne sont pas connues, donc j’ai fait mes propres photos.

Photo: Lukáš Houdek / Artwall
Bien sûr au deuxième coup d’œil on voit tout de suite que ce ne sont pas de vraies scènes mais des figurines. Ce qui m’a plu d’abord dans ces poupées c’est leur image positive, elles sont toujours souriantes. Pour moi cela reproduit bien l’attitude publique des Tchèques qui ont minimisé les évènements et se sont excusés pour ce qui s’est passé pendant la guerre, ce que l’on peut comprendre, mais il n’y a pas eu selon moi d’excuse complète. Aujourd’hui il y a encore des gens qui affirment qu’il ne s’est rien passé. Ce qui est intéressant, c’est que même les Allemands de République tchèque qui sont restés doivent faire comme s’il ne s’est rien passé, ils doivent vivre avec ça. Aujourd’hui ils doivent toujours prétendre qu’il n’y a rien eu, et les poupées symbolisent tout à fait cette apparence feinte. »

Photo: Lukáš Houdek / Artwall
La violence représentée dans ces scènes avait déjà de quoi susciter quelques réactions, l’extrême sensibilité des Tchèques sur la question des Sudètes a fait le reste. Le récent débat pendant l’élection présidentielle autour des propos du ministre-candidat Karel Schwarzenberg sur ce même sujet avait déchaîné la colère d’une partie de la population. Lukáš Houdek a lui-même reçu un certain nombre de lettres et emails négatifs, voire particulièrement agressifs, dont il a parfois publié le contenu sur sa page Facebook. « On sait clairement de qui vient l’argent pour cette exposition, c’est du blabla de propagande. [...] il n’y a aucun regret à avoir. Mort à l’occupant ! » en est un exemple.

Des attaques qui n’arrêtent pas le photographe qui a bien l’intention de continuer à travailler sur le sujet à partir de ses propres archives familiales.