Jiří Gruša, un grand critique du petit esprit tchèque

Jiří Gruša, photo: CTK

Vendredi 28 octobre est décédé, en Allemagne, l'écrivain et diplomate tchèque Jiří Gruša. Agé de 72 ans, l’ancien ancien président du PEN club international est mort lors d’une opération cardiaque. Proche de Václav Havel et aux antipodes de Václav Klaus, Jiří Gruša aurait été, pour beaucoup, le candidat idéal à l’élection présidentielle de 2013.

Jiří Gruša,  photo: CTK
Originaire de la région de Bohême de l’Est, Jiří Gruša est diplômé en philosophie et en histoire à l’Université Charles de Prague lorsqu’il cofonde, pendant son service militaire, au début des années 1960, le magazine « Tvář » qui réunit de jeunes intellectuels non-conformistes. Parallèlement, il se fait connaître par ses poèmes et œuvres prosaïques, basés sur les jeux de mots et des procédés modernistes.

Son style et ses activités déplaisent vite aux autorités communistes : entre 1969 et 1970, il est poursuivi en justice pour ses écrits soi-disant pornographiques. Dès lors, Jiří Gruša est interdit de publication. Il exerce des professions diverses, contribue à la circulation de la littérature non-officielle et publie lui-même en samizdat. Il ne manque pas, évidemment, de joindre sa signature à la fameuse pétition anti-communiste, la Charte 77. Jiří Gruša passe ensuite un an en détention provisoire, suite à la publication en samizdat de son roman « Dotazník » (« Questionnaire »). Finalement, le procès est annulé et Jiří Gruša peut même profiter d’une bourse littéraire aux Etats-Unis qui lui est proposée par son éditeur américain.

Mais, avant son retour à Prague, en 1981, l’Etat communiste lui retire la citoyenneté tchécoslovaque. Jiří Gruša apprend cette nouvelle à Bonn où il est alors contraint de rester. Récemment, Jiří Gruša s’est souvenu de ses débuts en exil sur le plateau de la Télévision tchèque :

«Lorsque vous retirez à un écrivain (moi, à l’époque, j’avais 40 ans) sa langue maternelle qui lui a permis de s’imposer, c’est comme si vous le condamniez à mort. Beaucoup d’écrivains ne l’ont pas supporté, il y a même des statistiques qui le prouvent. Je me suis rappelé de ce que m’avait dit, avant mon départ, mon ami Sergueï Machonin : ‘Ne culpabilise jamais le pays qui t’a accueilli de ton destin’. Alors j’ai essayé de prendre les choses du bon côté. Souvent, il n’y a que la troisième génération d’immigrés qui s’intègre dans la société. Moi, j’ai décidé de ne pas m’isoler au sein d’une communauté tchèque et de m’intégrer tout de suite (…) Bien sûr que le changement de langue n’était pas facile, j’ai été déprimé pendant les cinq premières années en Allemagne, j’ai même eu des ennuis de santé. Mais après, c’est passé du jour au lendemain.»

A l’instar de Milan Kundera en France, Jiří Gruša réussit à écrire et à publier en allemand. A la différence de Milan Kundera, il s’engage, après la révolution de velours, en politique tchèque : non pas dans le but de mettre en avant sa personnalité, mais avec l’idée qui était chère à cet homme cosmopolite, celle d’intégrer la République tchèque dans le contexte européen et mondial.

Jiří Gruša
Successivement ambassadeur tchèque en Allemagne et en Autriche, pendant une courte période ministre de l’Education nationale, directeur de l’Académie diplomatique de Vienne, président du PEN club international jusqu’à 2009, Jiří Gruša a passé les dernières années de sa vie dans la petite commune de Merl, près de Bonn, où il habitait avec son épouse allemande. Il revenait régulièrement à Prague et les journalistes tchèques lui rendaient souvent visite.

Toujours persuadé qu’il faut « prendre les choses du bon côté », Jiří Gruša ne mâchait pas ses mots en commentant les événements politiques dans son pays d’origine. Il était un grand critique du « petit esprit tchèque », de « l’esprit moyen », dont l’actuel chef de l’Etat sait, affirmait Jiří Gruša, parfaitement profiter. Avec le sens de l’humour qui lui était propre, il répétait que l’essentiel était, tout simplement, de ne pas avoir peur du monde qui nous entoure et de ses défis : dans la vie privée comme en politique.