« Jiří Drahoš offre une rupture avec la présidence clivante de Miloš Zeman »

Jiří Drahoš, photo: ČTK

Les Tchèques ont décidé vendredi et samedi de la configuration du second tour de l’élection présidentielle. Le président sortant Miloš Zeman affrontera donc les 26 et 27 janvier prochain l’ancien président de l’Académie des Sciences Jiří Drahoš, un duel que les journaux étrangers notamment présentent comme celui d’une orientation pro-russe contre une orientation pro-européenne de la République tchèque. Ancien correspondant du Monde à Prague et observateur aguerri de la scène politique tchèque, Fabrice Martin-Plichta nous éclaire sur les enjeux de ce scrutin :

Miloš Zeman,  photo: ČTK
« Le président Zeman, après un premier mandat de cinq ans, en briguait un second. Il espérait dépasser les 40% de voix ce que lui laissaient espérer un certain nombre de sondages pendant tous ces derniers mois. Finalement il y a eu une forte mobilisation des opposants qui se sont répartis entre d’autres candidats. Aujourd’hui, la réélection de M. Zeman qui semblait encore acquise il y a peu, n’est plus aussi certaine. »

Comment expliqueriez-vous le succès de Jiří Drahoš ? C’est quelqu’un qui est issu de la société civile, un scientifique, ancien président de l’Académie des Sciences. Il était quand même peu connu du grand public avant de se présenter à l’élection présidentielle.

Jiří Drahoš,  photo: ČTK
« Jiří Drahoš est un scientifique. Les Tchèques en règle générale aiment les scientifiques. En plus, c’est une personne qui s’est présentée il y a déjà un an et qui a sillonné le pays, s’est fait connaître peu à peu. Il demeure encore inconnu pour presque 20% d’électeurs, comme l’a montré un sondage récent. Néanmoins ça ne l’a pas empêché de faire un très bon score. Un score que lui prédisaient d’ailleurs les sondages, après l’arrivée d’un certain nombre de candidats qui ont aussi fait de bons résultats, alors que beaucoup étaient peu connus des Tchèques. Le fait que Drahoš ait si bien réussi, c’est aussi dû en partie au fait qu’il ne dérange personne. C’est quelqu’un d’assez souple et élastique dans lesquels beaucoup de Tchèques peuvent se reconnaître. C’est un homme intelligent, sage, calme, posé, qui offre une rupture avec la présidence clivante de Zeman. »

Ce qui est intéressant, c’est comme vous le rappeliez, le succès des autres candidats, comme Pavel Fischer, également peu connu du grand public, ou le médecin Marek Hilšer. Ils ont fait des scores tout à fait honorables, même par rapport à un ancien Premier ministre comme Mirek Topolánek.

Marek Hilšer,  photo: ČTK
« Tout à fait. Ce qui est intéressant, c’est cette demande de personnalités issues de la société civile qui s’est exprimée par ce vote. Quasiment tous les candidats étaient issus de la société civile, sauf Zeman et Topolánek. Cet ancien Premier ministre n’a fait qu’un pitoyable 4%, mais c’est à l’image de sa réputation dans la société, qui est fort mauvaise. C’est vrai que ces candidats comme Pavel Fischer, ancien conseiller du président Havel, et Marek Hilšer, ont émergé. Ou d’autres candidats comme Michal Horáček, parolier, qui était peut-être le plus connu des candidats, hors Zeman. Il n’a fini que quatrième. Par contre pour Pavel Fischer et ce jeune médecin Marek Hilšer, c’est peut-être l’occasion pour eux d’envisager de continuer en politique et de se préparer pour dans cinq ans. »

Il y a eu plus de 61% de participation à cette élection. On sent que les Tchèques se sont intéressés à cette élection, alors qu’on pourrait penser que le président tchèque ayant peu de prérogatives, l’enjeu n’est pas celui d’un pays avec un régime présidentiel…

« Il a peu de prérogatives, mais il jouit d’une aura particulière dans ce pays. Entre autres parce qu’il y a dans ce pays une tradition de présidents forts. A commencer par le tout premier Tomáš Garrigue Masaryk, mais il suffit de penser à Václav Havel ensuite. Mais déjà sous le communisme, le président n’avait pas beaucoup plus de prérogatives, mais bénéficiait d’une autorité. Les gens considèrent que le président a un rôle de représentation et qu’il doit donner le cap à la société, même s’il n’a pas les instruments constitutionnels pour le réaliser. Les gens s’intéressent donc à qui sera au Château. »

Pour terminer, à quoi peut-on s’attendre dans les deux semaines à venir ? Il va y avoir des débats télévisés. Miloš Zeman est certes assez diminué physiquement, avec une santé chancelante, mais, comme on a pu l’entendre à la conférence de presse samedi, il a toujours sa verve de vieux baroudeur de la politique. Jiří Drahoš est-il de taille à lui faire face ?

« Miloš Zeman a refusé de participer aux débats avant le premier tour, mais il était à peu près certain qu’il ne refuserait pas avant le second tour, car il sait qu’il a une carte à jouer. C’est en effet un excellent débatteur. Malheureusement on ne peut pas en dire autant de monsieur Drahoš qui, dans les précédents débats, s’est montré très fade. Il va donc falloir qu’il travaille énormément cet aspect, qu’il se prépare bien. En face, Zeman va sans doute essentiellement concentrer ses efforts sur les deux débats organisés, car physiquement il n’a pas la force de sillonner le pays. Il va tout miser sur ces débats, et va sûrement chercher sinon à démolir, à tout le moins à ridiculiser son adversaire. »