Grèce : la pellicule de trop pour deux Tchèques

Deux jeunes Tchèques ont été arrêtés en fin de semaine dernière par les policiers grecs alors qu’ils photographiaient une base militaire aérienne située sur l’île de Lemnos, au nord de la mer Egée à la frontière avec la Turquie. La police les soupçonne de travailler pour des services de renseignement. Il s’avèrerait pourtant que les deux hommes aient tout bonnement réalisé ces prises de vue dans le cadre de la préparation d’un jeu vidéo.

Photo: CT24
Le duo tchèque appréhendé par la police grecque dimanche dernier pour avoir pris en photo des objectifs militaires stratégiques est-il la version moderne des James Bond, Mata Hari et autre OSS 117 ou bien est-il plus simplement composée de deux audacieux malavisés ? C’est ce dernier cas de figure qui semble le plus probable puisqu’il s’agirait en fait de deux développeurs de l’une des meilleures entreprises tchèques de jeux vidéo, qui se seraient rendus sur l’île grecque de Lemnos par souci de détails et de précision, en vue de la préparation d’un jeu de guerre. Les deux Tchèques auraient pu être appréhendés plus tôt, car l’année dernière, ils avaient déjà photographié ce petit territoire situé non loin des côtes turques. Selon Petr Polacek, le rédacteur en chef de games.cz, un site Internet spécialisé dans le jeu vidéo, les deux hommes ont fini par irriter les autorités locales grecques :

« Le jeu Arma 3 se déroule entièrement sur l’île de Lemnos. Et ils auraient dû remanier le jeu depuis le début s’ils avaient négligé cet aspect géographique. Comme il n’y a eu aucune protestation officielle, ils n’ont pas cherché à gérer quoi que ce soit au niveau administratif. Ces créateurs se sont attachés à respecter le décorum, mais je pense qu’une certaine hostilité pour les développeurs a grandi, une aversion qui est restée. »

Arma 3
Ainsi, il est possible que, bienveillante dans un premier temps, l’administration de l’île n’ait finalement pas jugé d’un bon œil que sa région devienne le siège d’une guerre, même virtuelle. C’est ce que peut laisser à penser la déclaration du maire de l’un des villages de Lemnos :

« Dans la bande-annonce du jeu, ma maison est visible. Ce n’est pas très agréable de savoir que quelqu’un fait virtuellement la guerre au pas de votre porte d’entrée. »

Bohemia Interactives, le studio de développement du jeu en question, n’en était pas à son premier coup d’essai puisque ses développeurs se sont spécialisés dans les jeux de simulation militaire et ils n’avaient jamais rencontré de problèmes auparavant. L’un de leurs précédents jeux se déroulait dans une Russie fictive et les photos prises à l’époque dans la campagne tchèque n’avaient dérangé personne. Cette fois-ci, ils auraient certainement dû se procurer une autorisation officielle afin d’accéder à la zone militarisée de l’île de Lemnos. Le studio de développement aurait également pu acquérir des cartes officielles de la région. Le ministre des Affaires étrangères Karel Schwarzenberg ne cachait en tout cas pas son irritation suite à l’interpellation des deux Tchèques, âgés de 28 et 33 ans :

Karel Schwarzenberg
« J’espère que les autorités grecques, les autorités militaires grecques vont comprendre qu’ils n’ont pas affaire à des espions mais à des imbéciles. Je ne peux pas me faire à l’idée que des gens puissent être assez bêtes pour aller photographier des bâtiments militaires et dans ce cas il est difficile de leur venir en aide. C’est pourtant ce que nous allons essayer de faire. C’est comme à chaque fois qu’il y a des étincelles entre la Grèce et la Turquie. Et se promener là avec un appareil photo et l’utiliser ! C’est tellement stupide que ça dépasse l'entendement. »

L’île de Lemnos est un lieu très prisé des touristes mais aussi un enjeu stratégique important dans le cadre des relations parfois très tendues entre la Turquie et la Grèce. Et les autorités grecques craignent qu’un jeu mettant en scène ce territoire de façon hyperréaliste puisse apporter certaines informations importantes à un potentiel ennemi. Le procureur n’a pas encore décidé de poursuivre ou non les deux développeurs.

L’année dernière, trois Tchèques étaient retenus en détention en Zambie pour des faits similaires : ils étaient accusés d’espionnage après avoir pris en photo une base militaire. Ils avaient été rapatriés au pays dans des conditions peu claires alors qu’ils risquaient une peine de 25 années de prison.