Face au terrorisme, les Tchèques pourront-ils utiliser leurs armes à feu?

Photo: ČT24

La proposition du ministre de l’Intérieur Milan Chovanec d’inscrire dans la constitution la possibilité pour les personnes qui détiennent légalement une arme à feu d’en faire usage en cas d’attaque terroriste n’a pas obtenu l’aval du gouvernement. En conséquence, c’est au Parlement qu’il reviendra de se prononcer sur cet amendement controversé, « inutile » pour les uns, « populiste » pour les autres, qui entre de surcroît en contradiction avec un projet de directive européenne visant à encadrer davantage le port d’armes.

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300 000 personnes disposent d’un permis de port d’armes en Tchéquie. Demain, si la proposition élaborée par le ministère de l’Intérieur et 34 députés de différentes formations politiques est adoptée, elles auraient la possibilité de faire feu sur un éventuel terroriste ou dans le cas où une menace pèserait sur la souveraineté du pays. Nous n’en sommes cependant pas encore là, où chaque détenteur d’armes pourra se faire justicier, puisque le gouvernement n’est pas parvenu à s’entendre sur cet amendement constitutionnel. Pour qu’il soit adopté, il faudra donc que les trois cinquièmes des parlementaires tchèques, ceux du Sénat et de la Chambre des députés, votent en sa faveur. Ce n’est pas gagné mais le ministre, le social-démocrate Milan Chovanec, croit tout de même dans le bien-fondé de sa démarche :

« La situation sécuritaire en Europe évolue malheureusement vers le moins bien et nous pensons que les citoyens tchèques doivent avoir ancré dans la constitution le droit de porter une arme. Ce n’est pas lié à la directive européenne mais à la situation sécuritaire. Nous ne voulons pas modifier les règles de détention des armes à feu ; nous avons l’une des meilleures réglementations au monde en la matière. Mais d’après nous, il est nécessaire d’indiquer clairement que l’Etat permet à ses citoyens, en lesquels il a confiance, de porter une arme et que ce droit est constitutionnel. »

Milan Chovanec,  photo: ČTK
Pour autant, M. Chovanec se défend de vouloir faire du port d’armes un droit fondamental sur le modèle du deuxième amendement de la constitution américaine. Il n’en reste pas moins que sa proposition est loin de faire l’unanimité. Le social-démocrate Jiří Dienstbier estime par exemple que c’est à l’Etat qu’il revient d’assurer la sécurité de ses citoyens. Le député Martin Plíšek (TOP 09), membre du comité parlementaire en charge des questions constitutionnelles, est également très critique :

« Selon moi, il s’agit d’une manifestation de populisme à l’approche des législatives parce que le droit de détenir et d’utiliser une arme n’a pas besoin d’être inscrit dans la constitution. D’autant plus que des institutions aussi nécessaires que l’armée ainsi que l’état de nécessité sont suffisants pour protéger les citoyens et l’intérêt général, même en cas d’attaque terroriste. C’est donc une proposition inutile qui peut par ailleurs faire l’objet d’abus avec la possible constitution de milices armées qui poursuivront un tout autre but que la défense du territoire, de la souveraineté et de la démocratie en République tchèque. »

Les prochaines législatives sont prévues à l’automne prochain et il est peu probable que les députés puissent se prononcer à temps sur le projet de M. Chovanec. Alors pourquoi toute cette agitation ? Même s’il s’en défend, la mesure voulue par le ministre de l’Intérieur permet de faire pression sur l’Union européenne qui porte actuellement une directive afin de complexifier l’accès légal aux armes à feu, précisément avec l’objectif de lutter contre le terrorisme. C’est ce que pensent certains ministres qui ont œuvré pour que le gouvernement ne valide pas la proposition de constitutionnaliser le port d’armes. Parmi eux le ministre de la Justice Robert Pelikán (ANO) estime d’ailleurs qu’il est absurde de vouloir aller dans ce sens au motif que « nous ne sommes pas au Far West ».

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Pourtant Prague a émis des réserves sur la directive européenne mais aussi indiqué ne pas pouvoir s’y opposer franchement en l’absence d’alliés au sein de l’UE sur le sujet. Des alliés, on en trouve cependant au Parlement européen. Des eurodéputés tchèques des partis de droite TOP 09, STAN ou ANO devraient en effet tenter d’amender le texte au mois de mars. Ils considèrent que la réglementation envisagée serait inapplicable, qu'elle accroîtrait le niveau d’incertitude juridique et qu'elle favoriserait le désamour des citoyens européens pour l'Union européenne.

La République tchèque n’a jamais été ciblée par des attaques terroristes et ne semble pas constituer une cible prioritaire de l’organisation de l’Etat islamique. Il y a tout de même eu un massacre à l’arme à feu en 2015 dans la petite ville d’Uherský Brod, quand un homme avait tiré sur les clients d’un restaurant, tuant huit personnes avant de retourner son arme contre lui. Le meurtrier, souffrant d’un trouble psychique, possédait deux pistolets dans la plus stricte légalité.