Eva Urbanova incarne Adriana Lecouvreur

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Ce jeudi a eu lieu, au Théâtre national de Prague, la première tchèque de l'opéra Adriana Lecouvreur.

Elle s'appelait Adrienne Lecouvreur et c'était une grande tragédienne de la Comédie française au début du XVIIIe siècle. On a beaucoup parlé de ses amours avec le maréchal Maurice de Saxe. On a spéculé sur la cause de sa mort car il s'est avéré que sa rivale en amour, la princesse de Bouillon, avait commandité son assassinat. Sa personnalité et sa vie ont inspiré à Eugène Scribe et à Ernest Legouvé une pièce de théâtre qui allait inspirer à son tour le compositeur vériste Francesco Cilea. Son opéra Adriana Lecouvreur date de 1902. Callas, Tebaldi, Cabaillé, Sutherland, et d'autres divas de première grandeur ont brillé dans le rôle d'Adriana. C'était aussi le rôle rêvé de la cantatrice tchèque Eva Urbanova. Son rêve s'est réalisé, ce jeudi, sur la scène du Théâtre national.

Le metteur en scène, Jiri Nekvasil, à propos de la genèse de cette production :"Il y a deux ou trois ans, on nous a proposé, à moi et au scénographe, le professeur Dvorak, de mettre en scène cet opéra à Erfurt, en Allemagne, où l'on allait ouvrir un nouveau théâtre d'opéra. On nous a aussi demandé si un tel opéra nous intéresserait pour une éventuelle coproduction. J'ai pris ce projet d'autant plus au sérieux parce que j'avais lu dans une interview d'Eva Urbanova, qu'Adriana était le rôle dont elle rêvait. C'était donc la raison principale pour laquelle nous avons dit oui à cette coproduction, et je suis heureux que la première apparition d'Eva Urbanova dans ce rôle se réalise au Théâtre national."

Pour Eva Urbanova, c'était un rêve, certes, mais aussi un défi et un travail difficile:"J'ai étudié cet opéra à peu près deux ans, et c'était un travail intensif. J'ai consulté la partie vocale du rôle à New York, avec mon amie et mon professeur, la cantatrice Renata Scotto, qui avait été une Adriana Lecouvreur exceptionnelle. Nous avons parcouru tout l'opéra. Elle m'a dit qu'il ne fallait pas le chanter comme un opéra vériste, parce que, d'après elle, il s'agit du phrasé d'un pur bel canto italien. J'espère que j'ai réussi à lier tout cela avec les grandes émotions sur scène. Ce sont surtout les passages récités qui sont, je pense, très difficiles pour toute chanteuse d'opéra, parce qu'il faut savoir réciter, et toute suite, déjà dans la mesure suivante, passer au chant."

La conception du metteur en scène, Jiri Nekvasil, et du scénographe Daniel Dvorak marie l'historisme et la modernité. Ils ont situé l'histoire tragique d'Adriana à la limite entre le rêve et la réalité, entre la vie et le théâtre. Les personnages évoluent dans un univers renversé, où l'on voit à l'envers non seulement les décors mais aussi le public représenté par une foule de mannequins qui pendent, tête en bas, au-dessus de la scène et suivent le spectacle avec des yeux rouges et brillants. La musique de Francesco Cilea, tantôt douce et émouvante, tantôt orageuse, est bien servie par le chef d'orchestre slovaque Peter Feranec, ancien directeur artistique du théâtre Bolshoï de Moscou. Eva Urbanova campe une Adriana généreuse et douce, qui n'hésite pas à se transformer en une lionne quand il s'agit de défendre son amour. Elle déploie toute la palette de ses possibilités vocales, des pianissimi éthérés aux paroxysmes de sa grande voix capable d'exprimer la tornade des passions. Son partenaire sur scène, le ténor russe Oleg Gulko, qui a chanté le rôle de Maurice de Saxe déjà à Moscou, donne à son personnage une voix opulente et virile. Le reste de la distribution, notamment Roman Janal dans le rôle de Michonnet et Alina Gurina qui chante le rôle de la princesse de Bouillon, contribuent au succès de l'opéra. Le public du Théâtre national a longtemps applaudi, jeudi soir, ce rêve matérialisé d'une cantatrice.