En 1972, Fidel Castro visitait la Tchécoslovaquie normalisée

Fidel Castro et Gustav Husák, photo: ČT

Embrassades avec le camarade Gustav Husák, décorations au Château de Prague et à l’Université Charles, chasse aux chamois dans les Tatras, soirée folklorique ou encore partie de ping-pong : en 1972, Fidel Castro a effectué une visite de six jours en Tchécoslovaquie communiste ; une visite organisée dans le cadre de la « coopération internationaliste » au cours de laquelle le père de la Révolution cubaine a eu droit aux plus grands honneurs. La mort du « Commandante », vendredi dernier, et alors que les cérémonies d’adieu se multiplient ces jours-ci à La Havane, est l’occasion de rappeler ces échanges de courtoisie entre deux pays dont les relations ont été marquées, trois décennies durant, du sceau de la fraternité.

Fidel Castro en Tchécoslovaquie en 1972,  photo: ČT
Comme on accueille aujourd’hui le président chinois à Prague, c’est en grandes pompes, comme cela se devait à l’époque pour tout dirigeant d’un pays « ami », que Fidel Castro et l’importante délégation cubaine sont reçus le 21 juin 1972 par les dirigeants communistes tchécoslovaques et les obligés petits pionniers. A l’aéroport, dont on est alors loin d’imaginer qu’il portera un jour le nom du dissident Václav Havel, une foule conséquente est déjà réunie pour acclamer l’arrivée du leader cubain.

En ce premier jour d’été, il ne fait certes peut-être pas aussi beau et chaud que sur une plage des Caraïbes, mais suffisamment en tous les cas pour que des dizaines de milliers de Pragois, massés tout le long de la route qui les mène vers le centre de la capitale, saluent avec enthousiasme, ne serait-ce que selon les images de la Télévision tchécoslovaque, le passage de Fidel Castro aux côtés de Gustav Husák, premier secrétaire du Parti, debout dans une Škoda décapotable. Les deux hommes s’apprêtent, entre autres, à aller déposer une gerbe de fleurs au mausolée de Klement Gottwald, premier président communiste tchécoslovaque et symbole du « Coup de Prague » en 1948 qui avait permis d’écarter les forces démocratiques du pouvoir.

Fidel Castro et Gustav Husák,  photo: ČT
« Nous avons suivi l’évolution de la situation en Tchécoslovaquie, notamment ces dernières années, quand les impérialistes ont voulu transformer la Tchécoslovaquie en un champ de bataille idéologique », déclare peu après son arrivée Fidel Castro qui, quatre ans plus tôt, avait vivement soutenu « l’intervention » des armées du Pacte de Varsovie et l’occupation du pays.

Dans cette Tchécoslovaquie recadrée et désormais « normalisée », où le socialisme à visage humain n’est déjà plus qu’un vieux rêve évanoui et où l’ordre a été rétabli à force de répression par un régime parmi les plus conservateurs du bloc de l’Est, Fidel Castro est donc accueilli comme le seraient un Leonid Brejnev ou un Erich Honecker. Et l’enthousiasme est réciproque comme le confirme la conclusion de ce discours enflammé de celui qui est alors le Premier ministre cubain :

Ernesto Che Guevara et Fidel Castro,  photo: Alberto Korda / Museo Che Guevara,  Havana,  Cuba
« Vive le peuple héroïque de Tchécoslovaquie ! Que vive son Parti ! Vive l’amitié tchécoslovaco-cubaine ! Vive la Tchécoslovaquie socialiste ! Vive la Tchécoslovaquie internationaliste ! Et vive la Tchécoslovaquie marxiste-léniniste ! »

Il faut dire que cette Tchécoslovaquie révolutionnaire a soutenu le Cuba de Castro dès l’arrivée au pouvoir de celui-ci, entre autres en lui fournissant armes et emprunts. Une ambassade y est ainsi ouverte dès 1960, tandis que parallèlement, et jusqu’en 1966, la Tchécoslovaquie représente Cuba aux Etats-Unis, pays avec lequel La Havane n’entretient pas de relations diplomatiques. Pour sa part, l’économiste réformateur Valtr Komárek devient, de 1964 à 1967, un proche conseiller d’Ernesto Che Guevara.

Fidel Castro en Tchécoslovaquie en 1972,  photo: ČT
Idyllique, le tableau s’assombrit néanmoins quelque peu en 1968. Les étudiants cubains, encore au nombre de 270 deux ans plus tôt, sont rappelés de Tchécoslovaquie. Fidel Castro critique les livraisons de matériel « made in Czechoslovakia ». « Heureusement », l’écrasement du Printemps de Prague, en août, par les troupes soviétiques permet aux relations entre les deux pays de retrouver toute leur vitalité. Armes, centrales électriques et autres machines produites en Tchécoslovaquie sont de nouveau de la meilleure qualité aux yeux de Castro, tandis que le sucre et le nickel cubains sont particulièrement appréciés de l’autre côté de l’Atlantique.

La chute du régime communiste en Tchécoslovaquie met progressivement un terme à ces nombreux échanges. La nouvelle République tchèque dirigée par Václav Havel, alors très attachée au respect des droits de l’homme dans le monde, critique ouvertement le régime dictatorial en place à Cuba.

Fidel Castro,  photo: ČTK
Il faudra attendre vingt-sept ans, le réchauffement des relations entre Cuba et les Etats-Unis et l’assouplissement de l’embargo économique, pour que Prague nomme un nouvel ambassadeur à La Havane. C’était en août dernier. Avec un objectif ouvertement avoué par la diplomatie économique tchèque : profiter de la dette cumulée par Cuba (d’un montant estimé à 240 millions d’euros) tout au long des échanges entre les deux pays et de la bonne réputation « historique » du savoir-faire tchécoslovaque sur l’île pour relancer les affaires. Comme le clamait haut et fort El Commandante avant de quitter Prague en 1972 : « Que viva la amistad entre Checoslovaquia y Cuba ! ».